Dans son sens le plus général, l’État-providence englobe toutes les actions de l’État qui dépassent ses fonctions régaliennes classiques. En revanche, de manière plus spécifique, l’État-providence fait référence aux interventions sociales de l’État. Ces interventions sont destinées à assurer le bien-être des citoyens à travers des dispositifs de protection sociale, de santé publique et d’éducation. Voici un article qui présente les fondamentaux sur la naissance de l’État-providence en Occident.
Au XIXe siècle
L’État-providence prend forme dès le XIXe siècle en réponse aux bouleversements des solidarités traditionnelles causés par la révolution industrielle, qui transforme profondément les sociétés occidentales. Selon Émile Durkheim, l’État-providence est l’institution clé pour prévenir le risque d’anomie résultant de la transition de la solidarité mécanique à la solidarité organique (1893). Cette conception se justifie par la diffusion de la logique solidariste, développée par Léon Bourgeois, qui soutient que « l’homme naît débiteur de l’association humaine ».
Ainsi, il est légitime que les individus financent l’État, puisque tout succès économique individuel dépend de la société qui le permet. En revanche, de nombreux événements autrefois considérés comme des responsabilités individuelles sont requalifiés en risques sociaux, justifiant ainsi l’instauration de politiques sociales.
Les premières lois sociales apparaissent en Allemagne, avec les systèmes d’assurance maladie et vieillesse instaurés par Bismarck entre 1882 et 1889. En France, les lois d’assistance adoptées entre 1889 et 1914 par les majorités républicaines esquissent un État-providence, cherchant à prolonger et à dépasser la tradition de charité et de philanthropie associée au clergé. En Grande-Bretagne, les Old Poor Laws de 1795 (Speenhamland Act) constituent un premier embryon d’État-providence, mais elles sont abolies en 1834 avec les New Poor Laws.
Au XXe siècle
Le développement de l’État-providence dans les pays occidentaux est marqué par une période tumultueuse entre les deux guerres mondiales. Les politiques déflationnistes de l’entre-deux-guerres provoquent une diminution des dépenses sociales et des coupes salariales, menant à un échec généralisé. Aux États-Unis, l’attention se tourne vers le démocrate J.-F. Kennedy en 1933, tandis qu’en France, le Front populaire de Blum prend la scène politique en 1936.
La crise économique des années 1930 et les nouvelles théories de J.-M. Keynes remettent en question les dogmes libéraux, soulignant le rôle crucial de l’État dans le rétablissement des équilibres fondamentaux. De même, après la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle solidarité et une dynamique sociale émergent des ruines, marquant une période de révision du contrat social.
L.W. Beveridge adopte cette vision macroéconomique keynésienne visant à maintenir une demande stable, en particulier parmi les moins favorisés, tout en réduisant l’incertitude pour encourager la consommation et limiter l’épargne. Cette approche crée un cercle vertueux où la demande stimule l’offre, favorisant des gains de productivité redistribués en partie aux salariés, ce qui alimente à son tour le financement du système de protection sociale. La hausse des salaires incite les entrepreneurs à investir dans des économies de travail, stimulant ainsi la productivité et la croissance.
Tant les partisans de la pensée keynésienne que ceux de la régulation insistent sur la redistribution comme élément crucial de la stabilité, réduisant les inégalités et favorisant la cohésion sociale. Initialement efficace dans des économies relativement fermées, ce système est qualifié par P.-N. Giraud de « croissance sociale-démocrate autocentrée », protégeant principalement des emplois non exposés à la concurrence internationale.
Le rapport Beveridge et la naissance du Welfare State
Le rapport Beveridge
Intitulé Social Insurance and Allied Services et publié en 1942, le rapport Beveridge marque un tournant majeur dans l’évolution de la protection sociale, en particulier dans la période d’après-guerre. Commandé par Winston Churchill, ce rapport propose une nouvelle conception de l’État-providence, introduisant le concept de Welfare State et établissant les obligations de l’État envers la société pour lutter contre les cinq maux de l’humanité : la pauvreté, la maladie, l’ignorance, l’insalubrité et l’oisiveté.
Beveridge formule diverses propositions visant à redéfinir le rôle de l’État après la guerre, préconisant la création d’un système de sécurité sociale, visant à éliminer le besoin à travers un modèle universel, uniforme et unifié, symbolisé par la « règle des 3 U ». Contrairement à la vision bismarckienne, qui réservait les assurances sociales aux travailleurs et limitait l’assistance aux plus démunis, Beveridge promeut l’idée d’une protection sociale universelle pour tous les citoyens, financée par l’impôt, soulignant ainsi la solidarité collective dans la lutte contre la pauvreté.
Ce modèle déconnecte les droits sociaux de la participation à l’activité productive, marquant ainsi une avancée significative vers un système de protection sociale plus inclusif et égalitaire.
Les différentes solutions nationales
Dans la mise en œuvre de l’État-providence, chaque pays a suivi des voies nationales distinctes, reflétant leurs contextes politiques, économiques et sociaux spécifiques.
- Au Royaume-Uni, le Parti travailliste en 1945 promeut un programme visant à établir un Welfare State garantissant le bien-être des citoyens de la naissance à la mort. Cette initiative se traduit par la création d’allocations familiales, d’une assurance-chômage, de congés de maladie, ainsi que par la mise en place du National Health Service, offrant des soins de santé gratuits pour tous.
- En France, le système de Sécurité sociale, lancé en 1945 par le juriste Pierre Laroque, s’inspire à la fois du modèle bismarckien et de la vision de Beveridge. Bien que fondé sur une logique assurantielle financée par les cotisations des travailleurs, il n’a pas réalisé pleinement l’universalité prônée par Beveridge. Les réformes se succèdent, comprenant notamment la création des Assedic en 1958, du Smig en 1950, du minimum vieillesse et des congés payés en 1956, du Smic en 1970, du RMI en 1988 et de la Couverture maladie universelle en 1999.
- Aux États-Unis, la Sécurité sociale est déjà en place depuis 1935, mais une seconde vague d’expansion de l’État-providence survient sous la présidence de Lyndon B. Johnson avec son programme de Great Society. En 1965, le Medicare est créé, offrant une assurance santé publique, suivi en 1967 par le Medicaid, qui fournit une assistance médicale aux plus démunis.
- Les pays scandinaves, tels que le Danemark, la Suède et la Norvège, se distinguent par un modèle universel où la majorité des services sociaux sont fournis par l’État. Ce système repose sur une large assiette fiscale et des impôts élevés, permettant une offre généreuse de services publics, souvent gratuits ou subventionnés, notamment dans le domaine de l’éducation.
Les Trois mondes de l’État-providence (G. Esping-Andersen)
Dans son ouvrage Les Trois mondes de l’État-providence, publié en 1990, Gøsta Esping-Andersen développe une typologie étendue des États-providence, allant au-delà de la dichotomie classique entre les modèles bismarckien et beveridgien. Il propose trois idéaux types pour classer les États-providence en fonction de leur degré de « démarchandisation » des droits sociaux, tout en ajoutant un quatrième modèle pour les caractéristiques spécifiques de l’État-providence dans le sud de l’Europe.
L’État-providence libéral fonctionne sur une logique d’assistance, où l’aide sociale est attribuée en fonction des besoins, généralement de manière modeste, avec une orientation vers le retour au travail comme principale source de revenus légitime. La démarchandisation est faible, avec des allocations limitées et un accès restreint. Les États-Unis, l’Australie et le Canada se rapprochent de ce modèle.
L’État-providence corporatiste repose sur une logique d’assurance, où l’aide sociale est basée sur un système d’assurance sociale publique et obligatoire liée à l’emploi (cotisations sociales). La démarchandisation est de niveau moyen, les aides étant conditionnées à la participation au marché du travail. L’Allemagne et la France, fortement influencées par la tradition bismarckienne de solidarité, tendent vers ce modèle.
L’État-providence social-démocrate est caractérisé par son universalisme, offrant des prestations universelles bénéficiant à tous les citoyens. La démarchandisation est élevée, les individus étant moins dépendants de leur participation au marché du travail pour subvenir à leurs besoins. Les pays scandinaves sont proches de ce modèle, s’approchant également de la logique beveridgienne.
L’État-providence méditerranéen repose sur une solidarité principalement familiale. L’Espagne, le Portugal, l’Italie et la Grèce se rapprochent de ce modèle, où l’aide sociale est souvent assurée au sein de la famille plutôt que par l’État.