Le capitalisme a toujours connu des crises, c’est-à-dire des périodes pendant lesquelles les « indicateurs » économiques vont dans un sens jugé négatif (stagnation voire recul de la production de biens et services, inflation, chômage, déficits…) : crises de surproduction au 19ème siècle, crise financière en 1929 et grande dépression dans les années 1930… Ces crises ont marqué les étapes de l’évolution du système capitaliste et néolibéral : en effet, depuis le 18ème siècle, le système capitaliste s’est transformé : d’abord marchand, il est devenu industriel à partir de la deuxième moitié du 19ème siècle. L’apogée du capitalisme industriel peut être situé dans la période allant de la fin de la deuxième guerre mondiale au milieu des années 1970. Ce capitalisme étant dominé par la pensée néolibérale, dans cet article nous allons essayer d’analyser les différents facteurs à travers lesquels le néolibéralisme s’est imposé au fil du temps.
Le fordisme et sa crise : cause de l’instauration du néolibéralisme
Le fordisme
Dans les années 1920, Ford fut le premier constructeur automobile à utiliser les chaînes de montage, mais il payait ses ouvriers au-dessus du salaire courant (le fameux « five dollar day » dès 1914) afin qu’ils puissent devenir les futurs acheteurs des voitures qu’ils fabriquaient.
Le qualificatif de « fordiste » sera utilisé bien plus tard, en premier lieu par les économistes de l’École de la Régulation, pour désigner le mode de fonctionnement dominant du système économique dans les pays capitalistes « développés » entre la deuxième guerre mondiale et le milieu des années 1970, qui associait production de masse et consommation de masse.
La base du mode de régulation fordiste est une production de masse très standardisée, s’appuyant sur les principes de l’Organisation Scientifique du Travail (OST) ou taylorisme, fondé sur la séparation entre les tâches de conception et les tâches d’exécution, la parcellisation des tâches d’exécution (d’où les OS, ouvriers spécialisés) et une forte hiérarchie. Ce mode de production permet des gains de productivité très importants : dans le même temps de travail, les ouvriers peuvent produire davantage.
Le mode de régulation fordiste suppose aussi le partage de ces gains de productivité entre la rémunération du capital et celle du travail, avec une augmentation des salaires qui permet une consommation de masse. Le rapport salarial repose alors sur un « compromis » entre salariés et employeurs, les uns acceptant des conditions de travail pénibles, les autres acceptant une moindre progression des profits.
La crise du fordisme
Dès la fin des années 1960, ce « cercle vertueux » est déstabilisé sous l’effet de plusieurs évolutions, principalement :
- les limites du taylorisme : les désirs des consommateurs se modifient, on voit apparaître un rejet de la production standardisée, voire une remise en question de la consommation de masse ; les résistances des salariés face aux conditions de travail se multiplient (mai 1968…), le turn-over et les défauts de qualité freinent les gains de productivité
- le « compromis salarial » sur le partage de la valeur ajoutée peut alors être remis en question, d’autant plus que le chômage s’installe et modifie le rapport de forces en défaveur des salariés
- l’internationalisation croissante de la production et des échanges, et la déstabilisation du système monétaire international (le système mis en place en 1944 à Bretton Woods vole en éclat entre 1969 et 1976) fragilisent les États face aux firmes multinationales
Pour les « néolibéraux », la crise qui commence alors est en premier lieu due à l’intervention de l’État dans l’économie, considérée comme excessive, voire néfaste. Pour ce courant de pensée, la priorité doit être donnée à la lutte contre l’inflation et à la « libéralisation » des marchés.
La mise en place d’un « nouveau » libéralisme
Le libéralisme économique n’est pas une nouveauté : c’est une doctrine apparue dès le 18ème siècle, qui affirme la primauté de l’individu sur les structures collectives, du contrat (censé être librement négocié) sur la loi, et prône le libre-échange.
Le « néolibéralisme » s’appuie sur ces principes, supposés garantir le bien-être matériel le plus élevé possible, mais va les exacerber dans une démarche que l’on peut qualifier d’idéologique. Margaret Thatcher y a gagné son surnom « Tina » : « There Is No Alternative»…
Le raisonnement néolibéral contemporain est le suivant : avec l’internationalisation croissante de la production et des échanges, les entreprises, et au-delà, les économies, sont mises en concurrence ; les États ne sont plus un cadre efficace pour les politiques économiques. Pire, les réglementations, surtout nationales, et en particulier celles qui sont liées à une protection sociale jugée coûteuse et inefficace, sont des entraves à la compétitivité des entreprises. Dans cette optique, le rôle de l’Etat doit être réduit au strict minimum.
Le néolibéralisme s’applique dès lors à travers des politiques économiques de dérèglementation des marchés, de privatisation des entreprises entre autres, mises en œuvre par les institutions internationales et européennes.
La mise en place du néolibéralisme par les institutions internationales
Les principes de déréglementation, dérégulation, libéralisation des marchés s’imposent dans les années 1980, d’abord en Grande-Bretagne sous les gouvernements dirigés par Margaret Thatcher et aux Etats-Unis sous ceux de Ronald Reagan, puis au niveau mondial sous la houlette des institutions internationales et dans l’Union européenne : les marchés des biens et des services (y compris des services publics), les marchés du travail, les marchés financiers, les marchés des changes, les investissements à l’étranger… ne doivent plus être réglementés, le principe de concurrence généralisée – « libre et non faussée » – étant censé être le plus efficace pour orienter les choix de production ou d’investissement.
Parmi les institutions internationales, le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale (BM) ont été – et restent encore largement – les maîtres d’œuvre de ces politiques.