Le 14 octobre 2024, Acemoglu et Robinson ont été décorés du prix Nobel, ces derniers ayant coécrit de multiples ouvrages et ayant une pensée économique proche. Nous étudierons la pensée de ces deux hommes, que tu as peut-être déjà croisés en cours d’ESH, puisque ce sont des auteurs fondamentaux sur plusieurs chapitres, notamment sur la question du développement des économies émergentes.
Introduction
Pour le développement qui suit, nous allons nous concentrer sur trois ouvrages majeurs qu’ils ont coécrits : Economic Origins of Dictatorship and Democracy (2005), Why Nations Fail (2012) et The Narrow Corridor (2019). Voici des courtes présentations de ces ouvrages pour poser le cadre de leur pensée :
- Avec Economic Origins of Dictatorship and Democracy, ils ont analysé comment l’économie influence le destin politique d’une nation. Les inégalités, la peur des révoltes sociales et la résistance des élites sont autant de forces qui façonnent la trajectoire d’une société.
- Dans Why Nations Fail, les auteurs ont exploré comment des institutions inclusives, fondées sur la participation et la justice, peuvent être des moteurs puissants de progrès humain. Au contraire, des institutions extractives, contrôlées par une élite restreinte, créent des systèmes stagnants et souvent corrompus. Conclusion : la prospérité et la stabilité sont à la portée de toutes les nations qui souhaitent s’engager sur le chemin difficile, mais nécessaire, des institutions ouvertes.
- Dans The Narrow Corridor, ils ont poursuivi leur réflexion en décrivant cet équilibre fragile entre l’État et la société, cet espace qu’ils ont appelé le « couloir étroit » vers la liberté pour mener à des sociétés équilibrées et prospères. Car, pour atteindre la liberté, l’État et la société doivent évoluer en tandem, s’équilibrant mutuellement pour éviter à la fois l’oppression et l’anarchie.
Le rôle des institutions
Institutions inclusives vs extractives
Selon Acemoglu et Robinson, les institutions inclusives permettent à une large partie de la population de participer activement à l’économie, ce qui stimule l’innovation, l’efficacité et la croissance durable. Les institutions inclusives protègent les droits de propriété, appliquent un système judiciaire juste et garantissent la concurrence économique. Par exemple, les institutions britanniques au début de la révolution industrielle ont permis une accumulation du capital et une innovation technologique soutenue.
À l’opposé, les institutions extractives servent les intérêts d’une élite restreinte en limitant les opportunités économiques pour la majorité de la population. Elles exploitent les ressources économiques pour le bénéfice de quelques-uns, limitant ainsi l’innovation et la croissance. Un exemple typique est l’Amérique coloniale espagnole, où l’économie reposait sur l’extraction des ressources naturelles et l’exploitation des populations locales pour le bénéfice de l’Espagne et d’une élite coloniale.
Ils affirment ainsi : « Les nations échouent parce que leurs institutions économiques extractives ne créent pas les incitations nécessaires pour les gens à épargner, investir et innover. » (Why Nations Fail)
« Le revers de fortune »
Un des concepts majeurs d’Acemoglu et Robinson est le revers de fortune, ou l’idée que les sociétés les plus prospères avant la colonisation sont aujourd’hui parmi les plus pauvres en raison de la mise en place d’institutions extractives par les colonisateurs. En revanche, les colonies moins développées, comme celles de l’Amérique du Nord, ont reçu des institutions inclusives favorisant le développement économique à long terme.
Par exemple, les États-Unis et le Canada, initialement peu peuplés et sans ressources immédiates d’exploitation pour les colons européens, ont vu l’émergence d’institutions inclusives, contrairement aux sociétés sud-américaines, où des systèmes extractifs ont été instaurés pour exploiter des richesses naturelles.
Acemoglu et Robinson montrent que les colonies espagnoles d’Amérique latine avaient un PIB par habitant environ 70 % inférieur à celui des colonies britanniques d’Amérique du Nord au début du XXe siècle. Un écart principalement attribué à la persistance des institutions extractives mises en place lors de la colonisation. « Ce ne sont pas la géographie ou la culture, mais les institutions qui expliquent les différences de richesse entre les nations », affirment-ils, toujours dans Why Nations Fail.
Le rôle des élites
Institutions extractives et élites
Les auteurs expliquent que les régimes politiques sont souvent façonnés par les intérêts des élites qui contrôlent le pouvoir économique et politique. Dans les systèmes extractifs, ces élites utilisent leur pouvoir pour maintenir le statu quo et éviter toute réforme qui pourrait réduire leur contrôle. Les réformes démocratiques, quant à elles, surviennent lorsque les élites sont contraintes de partager leur pouvoir pour éviter des révoltes sociales ou des menaces externes.
Par exemple, les réformes progressives en Angleterre aux XVIIe et XVIIIe siècles, telles que la Glorieuse Révolution de 1688, ont permis une redistribution progressive du pouvoir, ce qui a posé les bases des institutions inclusives modernes. En revanche, dans des contextes où l’élite contrôle fermement le pouvoir (comme dans la France pré-révolutionnaire), l’absence de redistribution a entraîné des conflits violents et des révolutions : « Les sociétés prospères sont celles où l’élite économique et politique accepte de limiter son pouvoir en faveur de la croissance et de la prospérité de la société dans son ensemble. » (Why Nations Fail)
Élites et démocratisation
Les élites jouent donc un rôle décisif dans le processus de démocratisation, selon les auteurs. Face à une demande croissante de réformes démocratiques, les élites doivent choisir entre la répression ou l’ouverture. Acemoglu et Robinson montrent que la démocratisation survient souvent lorsque les élites, sous pression, accordent des concessions pour éviter des révoltes. Ce processus de démocratisation reste toutefois fragile et réversible si les élites conservent le contrôle sur les institutions.
Exemple clé : L’Angleterre au XIXe siècle est souvent citée, où des réformes progressives ont permis une transition pacifique vers un régime plus démocratique, car les élites anglaises étaient suffisamment incitées à partager le pouvoir pour éviter des troubles sociaux.
Ainsi, ils affirment : « La démocratisation est souvent le fruit d’un compromis où les élites préfèrent céder des parts de pouvoir plutôt que de risquer une révolution qui menacerait leur position. » (Economic Origins of Dictatorship and Democracy)
La question des inégalités
Inégalités économiques et pouvoir politique
Dans Economic Origins of Dictatorship and Democracy, Acemoglu et Robinson soulignent que les inégalités économiques jouent un rôle crucial dans la formation des systèmes politiques. Dans des sociétés où les inégalités économiques sont extrêmes, le pouvoir politique est souvent concentré entre les mains d’une élite qui résiste aux réformes démocratiques, car celles-ci pourraient menacer leurs privilèges économiques.
Les régimes autoritaires utilisent la répression pour maintenir cet équilibre inégal : « L’inégalité économique crée une incitation forte pour les élites à maintenir des régimes autoritaires, de peur que la redistribution des richesses ne menace leur position. » Les auteurs montrent que, dans les pays avec un indice de Gini supérieur à 0,5 (indiquant des niveaux élevés d’inégalité), la probabilité de transition démocratique est de 40 % inférieure par rapport aux pays ayant un indice plus bas.
Inégalités et révoltes sociales
Les auteurs expliquent que la peur des révoltes sociales pousse parfois les élites à instaurer des réformes démocratiques pour apaiser la population. Lorsque les inégalités deviennent insoutenables, le risque de soulèvements augmente, forçant les régimes en place à se démocratiser pour éviter des bouleversements violents.
Toutefois, en l’absence de pressions fortes, les élites sont souvent réticentes à partager le pouvoir. Dans les sociétés où des révoltes ont éclaté, Acemoglu et Robinson montrent que la probabilité de démocratisation augmente de 70 % si le régime est confronté à une menace directe de soulèvement populaire : « La peur des révoltes sociales est un moteur puissant de changement, souvent plus efficace que les pressions externes pour favoriser une transition vers la démocratie. » (The Narrow Corridor)
Conclusion
En définitive, Acemoglu et Robinson sont des auteurs complémentaires qui ont beaucoup écrit ensemble sur des thèmes vastes, mais qui gravitent globalement autour de la question du développement ou de la stabilité de la démocratie en lien avec la croissance et les inégalités. Ce sont donc deux auteurs qui sont, en plus d’être d’actualité puisqu’ils ont reçu un prix Nobel cette année, super pertinents pour le chapitre sur le développement, souvent abordé en première année.
Voici des sujets dans lesquels tu peux les mobiliser : s’il y a un sujet qui colle parfaitement à la pensée des deux auteurs, cela serait sûrement HEC 2015, « Institutions et développement depuis le début du XIXe siècle ». Là, tu peux développer chacun de leurs ouvrages si tu le souhaites. Il y a aussi le sujet HEC 2019 : « Performances économiques et justice sociale », qui te permet de mobiliser la pensée d’Acemoglu et Robinson pour montrer non seulement comment les performances économiques influencent la justice sociale, mais également dans quelle mesure la justice sociale influence les performances économiques des États.
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