planification

L’émergence d’une forme de planification à l’Ouest est étroitement liée à ce qui s’est déroulé à l’Est. Cette planification trouve ses racines dans les limites de la régulation par le marché, les leçons tirées des crises économiques des années 1929-1930 et des défis de l’après-Seconde Guerre mondiale. Deux pays développés se distinguent par une planification plus marquée : la France, avec un rôle significatif du plan, et le Japon. Dans les autres pays industrialisés, la planification n’a pas été véritablement mise en œuvre, à l’exception du Royaume-Uni entre 1964 et 1970. Cependant, dans les économies libérales, l’accent de la planification est plutôt mis sur la prospective, une pratique consistant à anticiper les grandes tendances économiques et à évaluer les menaces grâce à diverses études.

Il est important d’avoir des références et des exemples historiques sur la planification, en ce que cela tombe régulièrement aux oraux. Par exemple : le sujet « La planification : idée d’hier ou piste pour demain ? » est tombé à HEC en 2022.

Le modèle français : une planification indicative et incitative

La planification française se distingue par son caractère indicatif et incitatif, contrastant avec la planification centralisée et autoritaire du modèle soviétique. Cette approche trouve son incarnation dans la figure de Jean Monnet, premier commissaire au Plan et également considéré comme l’un des pères de l’Europe. Créée en 1946 avec l’établissement du Commissariat général au Plan, cette forme de planification est bien résumée par Carré, Dubois et Malinvaud : « Le plan a été un guide contenant un ensemble de recommandations, d’indications, de prévisions et d’orientations qualitatives ou quantitatives, plutôt qu’un ensemble articulé d’objectifs contraignants et de mesures directement exécutoires. »

La planification française repose sur des projections économiques à moyen terme, souvent décrites comme des « études de marché généralisées ». Ces projections proposent des représentations possibles et cohérentes de l’avenir économique, élaborées dans un esprit de collaboration entre les administrations et les entreprises. Le Commissariat au Plan devient alors un espace de dialogue et de concertation, où les oppositions peuvent converger vers des orientations partagées, en s’inscrivant dans une tradition de démocratie sociale. Ces mesures incluent des subventions, des aides ou encore un accompagnement administratif destiné à favoriser l’organisation et la mise en œuvre des décisions conformes aux orientations du plan.

Pierre Massé, ancien commissaire au Plan, résume d’une manière différente l’essence de la planification française, dans son ouvrage Le Plan ou l’anti-hasard (1965). Pour lui, le plan incarne l’idée d’empêcher que le destin des individus soit uniquement dicté par le hasard ou les probabilités. L’objectif fondamental est de sécuriser l’avenir et d’offrir aux citoyens un filet de sécurité, leur permettant de comprendre et d’anticiper les orientations de la société dans laquelle ils évoluent.

La France a mis en œuvre 11 plans économiques

Depuis 1947, la France a mis en œuvre 11 plans économiques, chacun marqué par des objectifs et des priorités reflétant les transformations économiques et sociales du pays. Ces plans peuvent être regroupés en plusieurs phases distinctes. 

  • La première phase concerne les deux premiers plans, centrés sur la modernisation et la reconstruction de l’économie française. 
  • La deuxième phase inclut les troisième et quatrième plans, qui accompagnent l’insertion de la France dans la communauté européenne et l’adaptation à la concurrence internationale. 
  • Vient ensuite une période de crise, marquée par le choc pétrolier des années 1970, où le septième plan se révèle irréaliste face aux nouvelles contraintes économiques et le huitième plan est abandonné.
  • Enfin, les trois derniers plans se concentrent sur les réformes structurelles, les problèmes sociaux et la crise de l’État-providence.

Première phase : modernisation et reconstruction

Les deux premiers plans (1946-1957) sont particulièrement décisifs, posant les bases de l’industrialisation de la France.

Le premier plan Monnet (1946-1952)

Prolongé pour coïncider avec le plan Marshall, il vise à reconstruire un appareil productif détruit par la guerre dans un contexte de pénurie et de nationalisation. Six secteurs clés sont ciblés : charbon, électricité, acier, ciment, machinisme agricole et transports, considérés comme moteurs de l’industrialisation.

Ce plan, financé par l’État et soutenu par l’aide Marshall, cherche à éviter les goulets d’étranglement pour redémarrer la croissance. Cependant, les projections ambitieuses (25 % de croissance) ne sont que partiellement atteintes, avec un résultat de 16 % sur la période.

Le deuxième plan (1953-1957)

Accompagne la sortie progressive de l’économie de rationnement et prépare l’ouverture de la France au commerce international. L’accent est mis sur une production de meilleure qualité et sur l’intégration de nouveaux outils, comme la comptabilité nationale, qui permet d’élargir les projections à d’autres secteurs jusqu’alors négligés, comme l’agriculture, le logement ou les productions d’outre-mer.

Ce plan vise une augmentation de 25 % de la production nationale et de 30 % de la production industrielle, avec un focus particulier sur l’industrie comme moteur de l’économie. Il marque aussi un tournant vers la modernisation à long terme. Les grands instituts de recherche, comme le CNRS, le CEA, l’INSERM et l’INRA, se développent et des infrastructures éducatives sont construites pour répondre au baby-boom et à l’urbanisation croissante. La modernisation des marchés régionaux est également une priorité, comme en témoigne la création de Rungis.

Les résultats de ce deuxième plan dépassent les attentes. La production nationale atteint un indice de 130 au lieu des 125 prévus, et la production industrielle 146 au lieu de 130. Ce succès est en partie dû à l’essor imprévu de la consommation de masse, notamment dans l’automobile, qui devient une industrie motrice avec des effets structurants en amont (fabrication de pneus) et en aval (création de routes, tourisme, restauration, assurances). Toutefois, cette croissance rapide entraîne des déséquilibres : pénurie de main-d’œuvre, hausse des salaires réels et tensions inflationnistes.

Deuxième phase : insertion dans la communauté européenne

Le troisième plan (1957-1961)

Il coïncide avec la signature du Traité de Rome en 1957, posant les bases de l’intégration européenne. C’est avant tout un plan de stabilisation visant à lutter contre les tensions inflationnistes qui caractérisaient l’économie française. Dans ce cadre, le ministre des Finances, Antoine Pinay, met en œuvre un plan de stabilisation monétaire en 1958 sous le gouvernement de De Gaulle.

Une nouvelle parité du franc est établie : le taux de change passe de 350 francs pour un dollar, en 1951, à 492 francs pour un dollar, en décembre 1958. Cette dévaluation crée les conditions de la libéralisation du marché des changes. Cette parité, qui prévaudra jusqu’à la fin du système de Bretton Woods, amorce un rééquilibrage durable de l’économie française. À partir de 1960, un plan intérimaire est adopté, prévoyant une croissance de 11 % sur la période, un objectif qui sera atteint grâce à la relance économique facilitée par ces réformes.

Le quatrième plan (1962-1965)

Qualifié « d’ardente obligation » par De Gaulle, il est conçu comme un outil de développement économique et social. Il vise un partage plus équitable des fruits de la croissance, en traduisant l’idée de François Perroux d’un développement qui prend en compte les besoins humains au-delà des simples indicateurs économiques. Il met l’accent sur les équipements collectifs pour répondre aux besoins croissants de la population dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la culture et de l’urbanisation.

Le plan prévoit que ces infrastructures doivent croître deux fois plus vite que la production globale. Les objectifs de croissance de 24 % sur quatre ans sont atteints. Toutefois, quelques déséquilibres apparaissent. La consommation croît plus rapidement que l’investissement et les excédents commerciaux sont inférieurs aux prévisions, en raison d’une moindre performance des exportations.

Le cinquième plan (1966-1970)

Il fixe un objectif de 5 % de croissance annuelle, tout en assurant l’équilibre de la balance commerciale et une réduction des inégalités. Il promeut une politique de concentration industrielle avec des incitations fiscales pour encourager les fusions et les investissements productifs.

C’est également à cette période que se développe le crédit à l’exportation et que la COFACE est créée pour sécuriser les exportateurs contre les risques économiques. L’État s’implique dans des projets industriels ambitieux, mais certains échouent, comme le Plan Calcul pour l’informatisation, ou le programme du Concorde, peu rentable sur le plan commercial. D’autres projets, comme les fusées Diamant du CNES, connaissent plus de succès.

Enfin, ce plan marque la mise en place du SMIC (1970), remplaçant le SMIG de 1950, en établissant un lien entre les salaires et les prix.

Le sixième plan (1971-1975)

Il est profondément bouleversé par le premier choc pétrolier de 1973. Ce contexte de crise met en lumière les limites de la planification française. Les entreprises, de plus en plus tournées vers l’international, surréagissent face aux chocs des matières premières et énergétiques, ce qui rend difficile l’atteinte des objectifs fixés.

Si les objectifs quantitatifs, notamment en matière de croissance, ne sont pas atteints (croissance zéro en 1975), le plan réalise des progrès qualitatifs : meilleure répartition de la valeur ajoutée, amélioration des infrastructures et développement du crédit pour soutenir les entreprises et les ménages.

Toutefois, le choc pétrolier révèle les failles des modèles économiques utilisés, comme le modèle économétrique Fifi de l’INSEE, qui peine à s’adapter aux nouvelles réalités.

Sur l’ensemble de la période 1947-1965, la croissance moyenne de l’économie française est de 4,5 % par an, plaçant la France en troisième position, derrière le Japon et l’Allemagne.

Troisième phase : la crise et la crise du plan

Le septième plan (1976-1980)

Il marque une rupture dans la planification économique française, abandonnant les objectifs quantitatifs pour privilégier des orientations qualitatives. Le plan se structure autour de programmes d’actions prioritaires (PAP), visant des secteurs stratégiques comme la réorientation industrielle selon le modèle allemand pour renforcer la spécialisation, l’aménagement du territoire et la modernisation du réseau téléphonique.

Ces investissements permettent à la France de devenir, à la fin de cette période, un leader mondial en matière de télécommunications. Par ailleurs, le plan relance le programme électronucléaire, s’inscrivant dans une logique de grands travaux pour répondre à la crise énergétique.

Le huitième plan

Il ne sera jamais appliqué en raison du bouleversement politique de 1981, avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, et du deuxième choc pétrolier.

Ce contexte conduit à l’élaboration d’un plan intérimaire sous la direction de Michel Rocard, conçu pour maintenir une certaine stabilité économique dans un climat de grande incertitude.

Dernière phase : les plans orientés sur les réformes de structure et les problèmes sociaux

Le neuvième plan (1983-1989)

Il se concentre sur la réduction de la contrainte extérieure, avec pour objectif de rétablir l’équilibre des comptes extérieurs et de maîtriser l’inflation. C’est l’époque de la désinflation compétitive, une politique inspirée de l’Allemagne, visant à restaurer la compétitivité de l’économie française en maîtrisant les prix.

Cependant, cette approche s’adapte mal à la situation française, marquée par un chômage croissant dû à l’arrivée massive des générations issues du baby-boom sur le marché du travail. Parallèlement, la France s’efforce de respecter les objectifs européens en vue du grand marché unique de 1993, ce qui impose une gestion rigoureuse des finances publiques.

Le dixième plan (1989-1992)

Il poursuit les réformes en mettant l’accent sur la réduction du déficit budgétaire et l’adaptation de l’économie française aux exigences européennes. Les priorités incluent la réforme fiscale pour soutenir la compétitivité, le renforcement de la formation et de la recherche pour répondre aux besoins d’une économie globalisée, et la modernisation du service public grâce à la mise en place de contrats d’objectifs avec les grandes entreprises publiques.

Ce plan s’inscrit également dans une logique de décentralisation accrue pour accroître l’efficacité de l’action publique.

Le onzième plan (1993-1997)

Il se concentre principalement sur deux problématiques majeures : le chômage, devenu une priorité centrale, et la gestion des budgets sociaux. C’est à partir des travaux de ce plan que naît la loi Juppé de 1995, visant à moderniser la Sécurité sociale.

La question des retraites émerge également comme un enjeu crucial, dans un contexte de vieillissement de la population et de pressions sur les systèmes de protection sociale.

Transition vers de nouvelles approches

À la fin des années 1990, le Commissariat au Plan perd de son influence, concurrencé par des institutions comme le Conseil d’analyse économique (CAE), davantage tournées vers les problématiques économiques contemporaines. Avec Dominique de Villepin, le Commissariat disparaît pour être remplacé par le Conseil d’analyse stratégique, une institution mieux adaptée aux nouveaux défis stratégiques de l’État dans un monde globalisé.

Ces dernières phases de la planification économique française témoignent d’un ajustement progressif aux évolutions internationales et aux contraintes sociales internes. Elles marquent également la fin d’une époque, avec une planification économique de moins en moins prescriptive et de plus en plus orientée vers le soutien à la prise de décision stratégique.