chine

Tu as peut-être vu ces images d’immeubles neufs entiers détruits en Chine, alors que la récession s’est établie dans l’Empire du Milieu ? Ou peut-être entendu parler des scandales à répétition de surendettement de promoteurs immobiliers chinois ? Faisons le point sur la situation actuelle du marché immobilier chinois, de son impact sur la croissance chinoise et sur la croissance mondiale.

Le marché immobilier : la locomotive du miracle chinois

Avant les réformes de libéralisation progressives initiées par Deng Xiaoping à la fin des années 1970, les citoyens chinois ne pouvaient devenir propriétaires de leur logement dans les villes. Un appartement leur était confié par l’État et ce dernier avait la charge de loger décemment les habitants.

Toutefois, l’envol économique de la Chine et le relâchement des règles régissant le hukou ont favorisé l’exode rural. Les ouvriers se concentrent désormais dans les villes, au plus près des usines, alors que la Chine devient connue comme « l’atelier du monde ».

Ainsi, rien qu’au XXIᵉ siècle, entre 2000 et 2020, le taux d’urbanisation en Chine passe de 36 à 61 %. De nombreux logements sont alors construits aux abords des villes et mis en vente. La propriété des terrains reste publique, mais les promoteurs obtiennent des concessions de 70 ans.

Progressivement, le secteur du bâtiment est aussi utilisé par le gouvernement comme un outil de politique contracyclique. Lorsque l’économie ralentit, les banquiers centraux accordent plus de liquidités aux promoteurs et le gouvernement relâche les contraintes à l’achat (apport personnel, régulations).

La politique du « rêve chinois »

Depuis 2012, le Président Xi Jinping a lancé la politique du « rêve chinois ». Elle vise à améliorer la prospérité de tous et passe notamment par l’ouverture de la propriété à des pans plus larges de la population. En effet, dans la mentalité chinoise, il est important de posséder son bien immobilier (90 % des ménages sont propriétaires aujourd’hui) et cela est un prérequis pour un jeune couple marié.

L’accession à la propriété a par la suite de nombreuses conséquences sociales, comme le fait d’encourager la natalité. Ainsi, le gouvernement central a poussé des politiques de constructions massives pour pouvoir loger décemment plus de monde.

Évidemment, cet appétit pour la propriété immobilière à des origines et des conséquences économiques. D’abord, les marchés financiers ne sont pas encore parfaitement développés en Chine, l’immobilier est ainsi souvent le seul placement sûr pour son épargne. En 2017, l’immobilier représentait 78 % des actifs des ménages chinois, contre seulement 35 % aux États-Unis.

Un marché secoué par des facteurs structurels

Aujourd’hui, il semble que ce modèle de développement immobilier atteigne ses limites.

Le secteur fait face à des limites démographiques

L’exode rural a très fortement ralenti et l’urbanisation est de moins en moins bien vue, car elle est porteuse de nombreux défis (pour la sécurité alimentaire notamment). La population en âge de travailler a atteint son pic en 2011. Et la population chinoise devrait entamer son déclin dans moins de 10 ans.

Les prix des logements ont atteint des sommets

La capacité des ménages chinois à acquérir ces appartements est limitée. Cela prendrait 50 ans de salaire médian pour acheter un appartement moyen à Pékin, contre 10 ans à New York.

Le modèle économique des promoteurs s’essouffle

Celui-ci consiste à acquérir des droits d’usage des terrains auprès des gouvernements locaux, de contracter des crédits auprès des banques, de vendre sur plan les appartements et de les livrer. Pour autant, les promoteurs se livrent à une course pour obtenir les meilleurs terrains. Ce qui accroît leurs dépenses sans qu’ils construisent rapidement les appartements pour autant.

Aussi, les ventes de logements ralentissent (essentiellement dans les villes de rang 2 et 3), privant les promoteurs de revenus nécessaires pour qu’ils puissent honorer leurs immenses dettes. À l’heure actuelle, des logements pouvant héberger 90 millions de personnes ne trouvent pas d’acheteurs. De manière agrégée, les surfaces en construction sont trois fois plus importantes que les surfaces vendues.

Ce plan d’affaires est particulièrement intense en capital et demande donc un endettement conséquent. L’encours d’endettement des promoteurs atteint désormais 50 % du PIB, après avoir connu un taux de croissance annuel moyen de 18 % entre 2008 et 2021. Pendant longtemps, la dette immobilière chinoise a été considérée comme un investissement sûr. Mais le scandale Evergrande en 2020 et son défaut partiel sur sa dette extérieure ont rappelé les investisseurs à la réalité.

Des mesures prises pour réguler le marché de l’immobilier

Face aux limites que rencontre le secteur, le gouvernement a mis en place en 2016 une série de mesures visant à réguler le marché de l’immobilier. Il vise alors trois objectifs : stabiliser les risques liés à l’endettement, rendre le logement accessible à tous et limiter la spéculation.

Les emprunts des principaux promoteurs sont désormais encadrés par trois « lignes rouges » pour limiter l’effet de levier. La part des prêts bancaires accordés aux promoteurs et aux acheteurs de logement est désormais plafonnée. Néanmoins, les conséquences économiques lourdes de la politique « zéro Covid » de la Chine en 2021 et 2022 ont amené à un relâchement de ces régulations.

Le risque d’une crise d’ampleur

Les possibles répercussions sur le reste du monde

Le secteur doit aujourd’hui changer de modèle, car ses failles font de la Chine un colosse aux pieds d’argile. Le secteur du bâtiment représente selon les estimations entre 14 et 30 % du PIB chinois. Une chute de ce dernier serait catastrophique pour la deuxième économie mondiale et la planète entière.

En 2020, les politiques ont tenté de réguler les promoteurs, mais cela les a plongés dans des difficultés financières aiguës (Evergrande). Ces nouvelles règles ont exercé une pression à la baisse sur les investissements, les ventes et les prix de l’immobilier, plongeant les promoteurs dans une crise de liquidité.

Par leur envergure et leur poids dans le PIB, l’État a dû prendre part aux restructurations pour éviter un effondrement systémique. Les grands promoteurs sont en effet largement liés aux banques (toutes publiques ou semi-publiques en Chine) et la vente de terrain représente souvent près de la moitié des revenus des gouvernements locaux. En 2021, les promoteurs chinois ont fait défaut sur près de quatre milliards de dollars de dette offshore. La dette du promoteur Evergrande seule représente 2 % du PIB chinois.

La chute d’un promoteur aurait des conséquences systémiques sur l’économie chinoise dans son ensemble. Rappelons que la construction représente près de 30 % du PIB et emploie 10 % de la population active. La Chine est aujourd’hui bien plus dépendante de l’immobilier que l’étaient les États-Unis, l’Irlande ou l’Espagne avant la crise de 2008. La part de l’immobilier dans le PIB américain n’était alors que de 18 %.

À moyen terme, le ralentissement du secteur risque d’impacter la croissance chinoise. Ceci en détériorant les finances publiques des administrations locales, les effets de richesse sur les ménages et potentiellement en fragilisant des banques. Pour compenser, le gouvernement central pourrait augmenter les transferts et recourir à l’endettement.

Des conséquences concrètes pour la croissance chinoise

C’est donc aujourd’hui un secteur qui pénalise l’ensemble de l’économie chinoise. L’immobilier absorbe tous les capitaux qui auraient pu être utilisés de manière plus productive dans d’autres secteurs comme la technologie. La Banque mondiale explique en partie la baisse de la productivité chinoise par un accroissement du crédit et des investissements dans l’immobilier. Secteur qui a un rendement du capital qui décroît et est inférieur à celui de certains autres secteurs.

De plus, alors que la Chine tente de réorienter son économie vers son marché intérieur, d’encourager la consommation, les prix mirobolants de l’immobilier limitent les capacités de consommation des ménages. Aujourd’hui, le logement représente près d’un quart du budget mensuel d’un ménage chinois, contre 5 % dans les années 1990. En outre, pour financer leur logement, le taux d’endettement des ménages chinois s’est envolé pour atteindre 130 % du revenu disponible, donc l’équivalent des ménages américains.

Les déboires du secteur immobilier pourraient tôt ou tard se propager au monde politique

De plus en plus de Chinois descendent dans les rues pour demander aux promoteurs d’achever la construction des appartements déjà payés. Ils demandent aussi aux gouvernements locaux de s’immiscer.

On entend souvent des analogies entre les problèmes du marché immobilier chinois et la crise des subprimes. Finalement l’analogie n’est pas si lointaine. En effet, dans les deux cas, la construction immobilière est largement encouragée par l’État et s’inscrit dans une dynamique sociale d’encouragement à la propriété.

« Le rêve chinois » ou « le rêve américain » se matérialisent tous les deux dans la possession de son logement et sont aidés par des politiques volontaristes comme « l’American Dream DownPayment Act » de 2003, qui gonfla la bulle immobilière. Ensuite, dans le cas des subprimes ou des promoteurs chinois, la dette est utilisée avec des effets de levier conséquents qui rendent une faillite potentiellement dévastatrice pour toute l’économie.

Ce ralentissement, voire l’éclatement de cette bulle aurait des conséquences planétaires. Sur cinq ans, la croissance chinoise contribue à 30 % de la croissance planétaire (les États-Unis : 10 %). Ainsi, un ralentissement économique en Chine viendrait grever irrémédiablement la croissance mondiale. Aujourd’hui, il semble que la Chine dans sa relation à son marché immobilier soit à la croisée des chemins. Il est nécessaire de changer de modèle si l’on veut protéger la croissance et relancer la productivité.