Retraites

Le sujet que nous allons traiter aujourd’hui se trouve au cœur du débat public : la réforme des retraites. En arrivant à l’Élysée, Emmanuel Macron avait promis un renouveau du modèle social français, qu’il considérait obsolète. Il avait alors d’abord annoncé l’unification des 42 régimes de retraites, qui se distinguent en fonction du corps de métier, pour créer un unique système à points. Ce projet n’a pas pu être mis en œuvre, mais durant sa campagne de 2022, Emmanuel Macron a réaffirmé sa volonté de réformer le système actuel en repoussant notamment progressivement l’âge de départ à la retraite à 65 ans.

Nous allons donc nous intéresser aux raisons pour lesquelles on parle de réforme.

Pourquoi procéder à une réforme des retraites ?

Le problème financier

Nous disposons en France d’un système de retraite dit bismarckien, un système par répartition financé par les cotisations. Ainsi, le fait de cotiser pour sa retraite pendant sa vie active finance les retraites à un instant T et ouvre le droit de bénéficier d’une retraite. La spécificité de la France est le choix d’une large socialisation des risques. En effet, les dépenses mobilisées dans le système de retraite représentent 14 % du PIB et le taux de remplacement élevé permet une proximité très forte entre le niveau de vie des actifs et celui des retraités.

Cependant, le système actuel semble connaître une crise depuis la fin des Trente Glorieuses, car il est vite touché par un « effet de ciseaux ». D’une part, le ralentissement de la croissance causé par la crise des années 1970 a eu pour conséquence une baisse des recettes, ce qui a pesé sur le financement du système. D’autre part, les dépenses ont augmenté du fait de la hausse du niveau de vie résultant de la période de prospérité qui a précédé, mais aussi du progrès technique. Une réforme des retraites peut paraître nécessaire.

Les problèmes de financement du système de retraites persistent avec l’ajout de la cinquième branche en 2021. L’autonomie — la dépendance due à l’âge — s’ajoute aux risques pris en charge par la Sécurité sociale (jusque-là : la maladie, la famille, les accidents du travail et la retraite). Et le financement de cette cinquième branche n’est pas encore évident. D’autant plus que le vieillissement alourdit le coût de la dépendance et donc le coût de cette nouvelle branche.

Le problème démographique

Le deuxième point concerne le vieillissement démographique, qui a notamment pour conséquence d’augmenter la part des plus de 65 ans dans la population (21 % en 2021 selon l’Insee et 29 % en 2070 d’après les projections).

Ce vieillissement démographique a d’abord une source structurelle. La France se situe dans la phase post-transition démographique avec une faible natalité et une faible mortalité. Par ailleurs, le nombre d’actifs diminue du fait de la baisse du solde naturel et de l’allongement de la durée moyenne d’études. Ce qui retarde l’entrée sur le marché du travail et in fine le nombre de cotisants.

L’autre source est conjoncturelle, c’est le papy-boom. L’indice conjoncturel de fécondité (ICF) était de 2,5-3 entre 1946 et 1965 ; il est aujourd’hui de 1,83. Ainsi, la hausse de la part des plus de 65 ans augmente le ratio de dépendance démographique (le rapport entre le nombre de personnes de plus de 65 ans et le nombre de personnes entre 20 et 64 ans).

C’est un indicateur important étant donné le caractère horizontal de notre système. On compte aujourd’hui 1,5 actif pour un retraité, et le ratio ne fera que baisser dans les prochaines décennies, d’après les projections. La baisse du solde naturel a également une source conjoncturelle : la crise de la Covid durant laquelle les naissances ont diminué et le taux de mortalité a augmenté.

Travailler plus longtemps ? Diminuer les pensions ?

Tout ceci met en danger la soutenabilité de notre système et, pour certains, rend inévitable la réforme des retraites. Quelles mesures sont envisageables ? Allons-nous travailler plus longtemps ? C’est possible.

En effet, l’allongement de la durée de cotisations pour avoir une retraite à taux plein a déjà été un levier d’action dans les réformes paramétriques de ces dernières années. La situation démographique est certes moins défavorable en France que dans d’autres pays comme l’Allemagne ou l’Italie, mais à ce rythme, le taux de remplacement va diminuer et il a déjà diminué depuis la dernière décennie. Il se pourrait donc encore que le niveau des pensions diminue. L’enjeu est de savoir si on peut accepter que le niveau de vie des retraités baisse vis-à-vis de celui des actifs risquant d’arriver à l’horizon 2050-2070.

Il ne faut pas seulement s’intéresser à l’âge légal de départ à la retraite, qui est aujourd’hui de 62 ans. Le nombre d’années à cotiser pour bénéficier d’une retraite à taux plein est important, car si on atteint l’âge de 62 ans, mais que l’on n’a pas cotisé suffisamment d’années, alors on peut soit partir à la retraite avec une retraite diminuée définitivement soit travailler plus longtemps jusqu’à remplir les conditions nécessaires ou jusqu’à l’âge maximal de 67 ans.

Les perspectives de croissance

Il est intéressant de regarder les scénarios de productivité du travail, car ils déterminent le taux de croissance du PIB à long terme. Si on a une tendance à la hausse de la productivité du travail dans les décennies à venir, alors un même niveau de dépenses de retraites représentera une moindre part dans le PIB, ce qui diminuera le poids du financement des retraites.

Aujourd’hui, le poids du financement des retraites inquiète. Il a atteint un pic en 2020 à 15 % du PIB, contre 11 % en 2002, et une moyenne de 7,5 % pour les pays de l’OCDE. La santé des finances publiques est dès lors mise en danger par le creusement du déficit des retraites. Cependant, selon les projections du COR (Conseil d’orientation des retraites) de juin 2021, les dépenses de retraites en pourcentage du PIB vont diminuer à l’horizon 2040-2070, pour atteindre 11 à 13 % du PIB. Ce qui est le signe d’une meilleure productivité du travail à venir.

Abandonner les spécificités françaises ?

Aujourd’hui, les moyens utilisés pour financer les retraites sont essentiellement publics, tandis que d’autres pays, comme le Royaume-Uni, ont un mixte privé/public plus conséquent. Le Royaume-Uni dispose d’un système beveridgien. Il a pour but de créer un filet de sécurité pour chacun, une base accessible à tous, qu’il est possible de compléter grâce aux organismes privés selon les moyens de chacun, ouvrant ainsi la porte à d’autres inégalités d’accès.

Un moyen de réformer le système serait de changer les modalités de son financement en introduisant une part d’épargne privée. Le système ne serait plus totalement par répartition, on donnerait une place aux assurances privées tout en gardant une pension publique pour donner une base à tous sans condition. Un dilemme efficacité/équité s’impose, pouvons-nous accepter la paupérisation d’une partie des retraités et l’augmentation des inégalités de niveau de vie entre actifs et retraités ?

Un autre des écueils actuels est que l’assiette du financement des retraites est restreinte au travail, tandis que d’autres pays, comme le Danemark, financent leur protection sociale par l’impôt. Ainsi, l’élargissement de l’assiette peut être une voie intéressante, notamment en intégrant des éléments de rémunération qui ne sont pas aujourd’hui soumis à cotisation ou en intégrant l’impôt grâce à la CSG.

 

Des voies autres à la réforme des retraites

Un levier d’action autre que la réforme des retraites existe : l’amélioration de l’employabilité des seniors. On parle de rallongement de la durée de travail, mais beaucoup de personnes de plus de 55 ans sont déjà disqualifiées du marché du travail. Elles ne sont ni en emploi ni à la retraite. Elles sont soit au chômage, soit inactives ou bénéficient de statuts de préretraite.

Or, moins les personnes âgées sont employables, plus le vieillissement démographique pèsera sur la viabilité du système actuel. En France, le taux d’emploi des 60-64 ans (35 % en 2022) est inférieur à la moyenne de l’UE (42 %). Il y a plusieurs explications à cela. La proximité de l’âge à la retraite qui rend les coûts de formation moins rentables, la discrimination à l’embauche (80 % des chefs d’entreprise considèrent qu’avoir plus de 55 ans est un désavantage pour les demandeurs d’emploi) et les politiques de lutte contre le chômage qui ont été menées à partir des années 1970 visant à libérer des emplois en faisant sortir des personnes âgées du marché du travail (une stratégie qui n’a pas fonctionné).

Ce modèle diffère des pays plus vieillissants, comme l’Allemagne, où on essaie de garder la main-d’œuvre plus longtemps. S’intéresser au problème de faible taux d’emploi des seniors serait non seulement une bonne stratégie pour la croissance et le financement des retraites, mais aussi pour le bien-être des seniors. Et donner un poids plus fort à la formation continue par rapport à la formation initiale est ici un levier d’action essentiel, alternatif à une réforme des retraites.

Conclusion

On comprend pourquoi le thème de la réforme des retraites est aussi discuté. Il s’agit non seulement de savoir comment empêcher les finances publiques de s’écrouler, mais aussi de savoir comment ces changements vont affecter les actifs d’aujourd’hui lorsqu’ils seront à la retraite.

Le financement des retraites ne figurait pas parmi les enjeux majeurs dans les années 1970 lorsqu’on comptait trois actifs pour un retraité. C’est un problème auquel notre génération doit se soucier. Néanmoins, des voies d’issue existent et les perspectives de productivité sont optimistes. Ce qui devrait éviter l’écroulement de l’équilibre financier.