Ce deuxième article sur les stratégies de développement des années 1950 aux années 1970 concerne la stratégie d’extraversion et son succès mitigé. Comme nous l’avons vu dans le premier article, cette stratégie, qui repose aussi sur l’industrialisation, ne sera pas non plus une pleine réussite. Certains pays vont en souffrir, d’autres vont au contraire connaître un développement très significatif.
Les spécialisations dans la production de produits primaires n’ont pas été très efficaces
Introduction
Les produits primaires se réfèrent aux biens exportés tels quels, sans subir de transformation significative. Ils incluent les matières premières (par exemple, les minerais) et les produits de base qui ont subi une première transformation mais qui sont destinés à être utilisés dans un processus industriel ultérieur.
Au cours de la période coloniale, de nombreux pays étaient spécialisés dans l’exportation de produits primaires. Ces pays exportaient ces produits sans les transformer de manière significative et importaient des biens d’équipement et des biens intermédiaires. Cependant, cette approche n’était pas stratégique, car elle manquait d’organisation et impliquait souvent un manque de planification gouvernementale. Dans de nombreux cas, ces pays avaient peu d’États pour coordonner et diriger leur économie.
Cette stratégie a parfois été efficace…
Un exemple de réussite notable est celui du Botswana. Peu de temps après son indépendance en 1966, le pays, en dépit de son enclavement géographique et de sa situation désertique, a découvert d’importantes réserves de diamants. Depuis quelques décennies, les revenus générés par ce secteur représentent environ 45 % des recettes de l’État, 80 % des recettes d’exportation, et contribuent à hauteur de 30 à 35 % de son produit intérieur brut actuel.
Ces recettes publiques ont été judicieusement investies dans des domaines essentiels tels que l’éducation, les soins de santé de base et la défense nationale, notamment pour faire face à l’instabilité politique dans les États voisins. Ce choix stratégique a eu un impact significatif sur le Botswana. Le revenu national brut par habitant a quadruplé en l’espace de cinquante ans, le taux de pauvreté est passé de 50 % en 1966 à 19 % aujourd’hui et l’indice de développement humain (IDH) s’est amélioré à 0,698, plaçant le pays au-dessus du seuil des pays les moins avancés.
Aujourd’hui, un fonds souverain est en place afin de permettre au Botswana de réduire sa dépendance aux diamants (dont le stock finira indéniablement par s’épuiser) et d’investir dans d’autres secteurs tels que le tourisme ou l’industrie.
Mais elle a été un échec pour de nombreux pays
Un exemple notable de cette dépendance aux produits de base se trouve dans les pays exportateurs de pétrole (PEP). Par exemple, au Venezuela, plus de 90 % des exportations étaient constituées de pétrole brut. Cette dépendance excessive à l’égard des produits de base rendait ces pays vulnérables aux fluctuations des prix internationaux et aux conditions économiques mondiales.
De la même manière, selon les données de la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement), de nombreux pays africains dépendaient à plus de 90 % des produits de base pour leurs exportations. Certains de ces pays étaient tributaires d’un ou deux produits spécifiques, ce qui les rendait extrêmement sensibles aux fluctuations de la conjoncture internationale. Par exemple, la Zambie dépendait largement du cuivre et le Libéria du caoutchouc, représentant presque la totalité de leurs exportations en dehors des combustibles.
De nombreux pays exportateurs de matières premières sont confrontés à la « malédiction des matières premières »
Ils dépendent directement de la demande mondiale et sont vulnérables aux cours volatils des matières premières. Par exemple, la flambée des cours des produits primaires à partir de 2003, due à la croissance économique de pays émergents comme la Chine, a été suivie d’un effondrement en 2014 en raison de la rupture de la croissance chinoise.
Cet effondrement a été source d’un appauvrissement significatif de beaucoup de pays dont l’économie repose sur les matières premières (agriculture, métaux…). De plus, cette volatilité des prix entraîne une dégradation des termes de l’échange et peut inciter ces pays à accroître leurs exportations pour compenser les pertes, exacerbant ainsi leur vulnérabilité économique.
En outre, la spécialisation dans l’exportation de produits primaires, en particulier le pétrole, peut conduire à une économie où tout est centré autour de cette matière première. Les investissements et les ressources sont détournés de la production de biens adaptés aux besoins domestiques, ce qui entraîne une désindustrialisation et une dépendance excessive vis-à-vis des fluctuations des prix pétroliers.
Contrairement à la stratégie de subordination des exportations
Définition
La stratégie de « subordination des exportations », également connue sous le nom de promotion des exportations, consiste à remplacer les exportations traditionnelles par d’autres exportations en capitalisant sur les avantages comparatifs tels que la main-d’œuvre à faible coût et les matières premières.
Ce modèle d’insertion dans le commerce international via les exportations a été mis en œuvre avec succès par le Japon, bien avant qu’il ne devienne un pays développé. Cette approche a été précurseur et a également été adoptée par d’autres pays, tels que les quatre dragons asiatiques dans les années 1950 et la Corée du Sud ainsi que Taïwan dans les années 1960.
Le succès du Japon
Le modèle du « vol d’oies sauvages » au Japon, élaboré par Akamatsu, met en évidence plusieurs aspects clés de ce processus. Le modèle de développement de l’industrie textile japonaise des années 1930 a montré une substitution progressive des importations par la production nationale. Ce phénomène a été caractérisé par une remontée de filière dans un secteur spécifique, passant de la production de biens de consommation courante à des biens de production, avec une augmentation notable des exportations globales. Cette dynamique s’est étendue à d’autres secteurs de l’économie japonaise, transformant le pays en un moteur de la nouvelle division du travail asiatique.
Cependant, il est essentiel de noter que le succès de ce modèle ne peut être attribué uniquement aux avantages comparatifs et à la substitution des importations. D’autres facteurs ont également joué un rôle crucial. L’intervention active de l’État, en collaboration avec les zaibatsu (conglomérats industriels japonais), a été fondamentale. Le protectionnisme a été utilisé pour protéger les industries dans leur phase de croissance initiale, suivant ainsi les principes de Friedrich List sur le protectionnisme éducateur.
Les relations coloniales avec des pays comme la Corée du Sud, Taïwan et d’autres pays asiatiques ont également joué un rôle clé dans la mise en place d’un système financier dirigé par l’État et coordonné avec les héritiers des zaibatsu, les keiretsu. Ce modèle était également soutenu par le contrôle strict des employés et un fort paternalisme d’entreprise.
Des facteurs externes comme le plan Marshall, ayant fourni une aide financière et des transferts de technologie en provenance des États-Unis, et l’ouverture du marché américain aux automobiles japonaises ont contribué à ce processus très encadré. Les gains de productivité réalisés ont été massivement réinvestis dans l’industrie, renforçant ainsi le développement économique du Japon et établissant un modèle qui a inspiré d’autres pays en développement.
Le succès de la Corée du Sud
De 1965 à 1973, la Corée du Sud a enregistré un taux de croissance impressionnant de 8,8 % du PIB, témoignant de l’efficacité de sa stratégie d’industrialisation axée sur l’exportation et la diversification progressive de ses industries, initialement à partir du secteur textile. Cette période de croissance rapide a été suivie d’une deuxième phase de développement, de 1973 à 2000, où le pays a maintenu un taux de croissance solide de 6,2 %.
Au cours de ces décennies, le pays a réussi à élever son économie de manière spectaculaire, passant de la production de textiles bon marché à des secteurs industriels technologiquement avancés, grâce à une combinaison habile de politiques gouvernementales, de soutien financier étranger et d’investissements massifs dans la recherche et le développement.
En effet, le financement de la R&D est devenu crucial dans les années 1980, alors que la compétitivité-prix des produits coréens commençait à se détériorer en raison de l’augmentation des coûts salariaux. L’État a intelligemment utilisé l’aide publique au développement, provenant principalement du Japon, des États-Unis et de la Banque mondiale, pour investir massivement dans les infrastructures du pays.
Cette croissance remarquable a été le résultat d’une stratégie délibérée de l’État sud-coréen, caractérisée par des relations étroites avec le secteur privé, une protection sélective des industries, des incitations financières pour les secteurs en amont et un soutien continu à la recherche et au développement. Parallèlement, l’État a également promu l’éducation et la santé publiques, tout en gérant habilement les coûts salariaux pour maintenir la compétitivité sur la scène internationale.
Les trois autres dragons ont également bénéficié des financements de la diaspora chinoise, renforçant ainsi leur système financier
La concertation étroite entre l’État et les réseaux économiques a joué un rôle crucial. De plus, les politiques publiques ont mis l’accent sur l’éducation de base, la santé publique et le maintien d’une utilisation intensive de la main-d’œuvre en empêchant la progression des salaires. Ces politiques reposaient sur un État fort qui a imposé un « compromis social », en réalité souvent imposé aux travailleurs pour maintenir la compétitivité économique.
Une stratégie qui, au premier abord, était critiquée
Selon l’analyse de Krugman dans son ouvrage The Myth of Asia’s Miracle publié en 1994, le modèle de développement asiatique avait été initialement perçu comme un succès temporaire. Il craignait que la croissance soutenue ne puisse pas perdurer, mettant en doute la capacité des pays asiatiques à échapper au « middle-income trap » (incapacité à passer d’un revenu intermédiaire à un revenu élevé) et à innover. Krugman pensait que le succès observé était le résultat d’investissements massifs et ne pouvait donc pas être durable.
Cependant, cette prédiction s’est révélée incorrecte. Les économies asiatiques ont su évoluer en attirant davantage de capitaux, se spécialisant progressivement. Cette spécialisation a entraîné une meilleure efficacité (et donc une hausse des salaires grâce à une plus grande compétitivité). Un exemple notable de cette transformation est Singapour, qui était initialement spécialisé dans l’industrie textile, mais est aujourd’hui la plaque tournante financière de l’Asie, avec un secteur tertiaire prospère exportant des services bancaires et d’assurance.
Les nouveaux pays industrialisés d’Asie (NPIA) ont changé leur stratégie de croissance. Au lieu de se concentrer sur une croissance extensive, caractérisée par l’augmentation des quantités de facteurs de production mobilisés (comme le capital et la main-d’œuvre, avec un déplacement de l’agriculture vers l’industrie), ils ont adopté une stratégie de croissance intensive. Cela signifie qu’ils ont cherché à accroître la productivité de leurs facteurs de production, ce qui a été crucial pour leur capacité à rester compétitifs sur le marché international.