Alors que les défis économiques actuels sont marqués par des questions liées à la productivité, au bien-être des salariés et à l’évolution du marché du travail, la question de la réduction du temps de travail revient régulièrement au cœur des débats. Cet article te propose une analyse détaillée pour mieux comprendre ces débats actuels et savoir traiter ce type de sujet s’il tombe aux concours.
La réduction du temps de travail : une tendance historique grâce aux gains de productivité et aux luttes sociales
Le temps de travail n’a cessé de se réduire depuis le XIXe siècle, passant de 3 000 heures à 1 600 heures dans la plupart des pays industrialisés. Cet abaissement du temps de travail est lié à deux phénomènes.
Premièrement, ce phénomène est dû aux gains de productivité. Ils ont permis, d’une part, de réduire le nombre d’heures travaillées par travailleur et, d’autre part, de créer de nouveaux emplois, justement grâce à la réduction du nombre d’heures travaillées.
Deuxièmement, la lutte sociale a été un facteur majeur de la réduction du temps de travail. Les lois sociales se sont multipliées dès le XIXe siècle et contribuent à la réduction du temps de travail. Déjà, il y a la loi de 1841 à la suite du rapport Villermé dénonçant les conditions de travail des enfants dans le secteur textile : le travail des enfants de moins de 8 ans est interdit et celui des moins de 12 ans est limité à 8 heures par jour. On peut aussi citer le passage à la semaine de 40 heures en 1936 avec deux semaines de congés payés, puis le passage aux 39 heures en 1982 avec cinq semaines de congés payés et, enfin, le passage aux 35 heures avec les lois Aubry de 1998 et 2000.
Les enjeux économiques de la réduction du temps de travail (RTT)
Une corrélation positive peut être établie entre développement économique et RTT, comme le montrent les pays avancés. En effet, grâce aux gains de productivité, les salariés travaillent moins mais gardent le même salaire, ils ont donc davantage de temps libre et sont enclins à consommer davantage. De plus, la RTT améliore leur bien-être, leur santé et donc leur productivité.
Sur le plan de l’emploi, la RTT n’a pas toujours été facteur d’une création nette d’emplois importante, mais elle n’a jamais correspondu à une réduction de l’emploi. La moitié des emplois créés depuis la fin du XIXe siècle est le résultat de la réduction du temps de travail ; l’autre moitié est liée à la croissance économique.
La RTT amène à une réorganisation des entreprises et de la production, qui peut déboucher sur une hausse des gains de productivité et donc une amélioration de la compétitivité. Cela dépend cependant de la taille des entreprises et des secteurs concernés.
Les enjeux sociaux de la RTT
Travailler moins est un signe de progrès social, car cela permet de dégager du temps pour d’autres activités et de s’épanouir autrement que par le travail, en développant une société de loisirs. De plus, travailler moins permet de réduire le chômage en répartissant mieux le travail entre tous, sans nécessairement baisser les salaires. Lafargue revendique en 1880 Le Droit à la paresse : le travail prend une place tellement importante que les travailleurs n’ont pas de temps pour eux, pour leurs amis, pour se reposer…
Cependant, la RTT est aussi facteur d’inégalités sociales : toutes les entreprises ne mettent pas en place la RTT dans les mêmes conditions (modération salariale, réorganisation du travail…). La RTT peut déboucher sur une plus grande flexibilité et une précarité de certains emplois. Ainsi, une partie de la RTT s’explique par un recours croissant aux emplois à temps partiel (18 % des emplois en France). La RTT peut également se traduire, comme avec les lois Aubry, par une stagnation des salaires et donc du pouvoir d’achat.
La loi Robien et les lois Aubry
La loi Robien, votée en 1996, permet aux entreprises volontaires de passer aux 35 heures tout en créant 10 % d’emplois en plus, en échange d’un allégement des charges sociales de 40 % la première année, puis de 30 % les six années suivantes. En 18 mois, 3 000 entreprises bénéficient de ce dispositif, soit 300 000 salariés concernés et 20 000 emplois créés ou sauvegardés.
En 1998, la première loi Aubry généralise la loi Robien et le passage aux 35 heures pour les entreprises de plus de 20 salariés. Les entreprises bénéficient d’allègements de cotisations sociales d’autant plus importants qu’elles le font rapidement. Ces aides sont conditionnées à une baisse du temps de travail d’au moins 10 % et doivent s’accompagner d’une hausse de 6 % des embauches ou de licenciements évités.
En 2000, la seconde loi Aubry réduit la possibilité de recourir aux heures supplémentaires, mais assouplit les conditions pour toucher la baisse des cotisations sociales, car les aides ne sont plus conditionnées au nombre d’emplois créés.
Résultat : avec la loi Aubry I, 20 % des entreprises basculent de 39 à 35 heures et créent 6 à 7 % d’emplois en plus. Avec la loi Aubry II, c’est 30 % des entreprises, mais elles créent seulement 4 à 5 % d’emplois. Ces lois ont permis une RTT assez importante, même si elles se sont traduites par une annualisation du temps de travail contraignante pour les salariés. La Dares (2005) montre que les lois Aubry ont permis une création nette de 350 000 emplois entre 1998 et 2002.
L’impact des lois Aubry sur les différents acteurs
L’impact sur les salariés
Selon la Dares, 50 % des salariés (soit huit millions dans le privé) sont concernés par la RTT de 1998 et 2000. Les lois Aubry n’ont pas affecté leur productivité, mais 59 % d’entre eux considèrent que leur vie quotidienne s’est améliorée grâce à ces mesures, 13 % considèrent que leur vie s’est dégradée (Dares, « RTT et modes de vie », 2001).
Différentes sources d’insatisfaction expliquent cette dégradation de la vie quotidienne pour certains : intensification du travail (pour pallier la baisse du nombre d’heures travaillées), modération salariale (stagnation des salaires pour un certain temps), annualisation du temps de travail qui déstructure le temps de travail. De plus, ces lois ont pu précariser et flexibiliser certains emplois, et accentuer le recours au temps partiel.
L’impact sur les entreprises
Les entreprises ont dû réorganiser le travail. Cela a permis d’importants gains de productivité pour les grandes entreprises tout en bénéficiant d’avantages fiscaux, mais ce fut assez coûteux pour les PME qui ont peu d’effectifs.
De plus, les lois Aubry ont permis un retour du dialogue social, avec des négociations importantes entre syndicats et employeurs pour décider de l’évolution des salaires et de la répartition des heures travaillées, malgré l’essor d’une relative flexibilisation du travail.
Enfin, les comptes des entreprises ne sont pas dégradés par les 35 heures : entre 1998 et 2007, le taux de marge des sociétés non financières reste stable.
L’impact sur l’État
Selon le rapport Romagnan (2014), ces lois furent les moins coûteuses pour l’État et les plus efficaces depuis 1970 : chaque emploi créé ne coûtait que 8 000 € à l’État.
Pourtant, ces mesures font l’objet de critiques. Selon Cahuc et Zylberberg, Le Négationnisme économique (2016), la RTT ne crée pas d’emplois, c’est la baisse des cotisations sociales qui créent ces emplois.
De plus, la RTT avec compensation salariale entraîne une hausse du coût de la main-d’œuvre et donc une baisse de l’emploi. Selon une étude, le passage de 40 heures à 39 heures en 1982 fragilise l’emploi dans les entreprises, les salariés perdent plus fréquemment leurs emplois que ceux qui étaient déjà aux 39 heures.
Vers la fin du travail ?
Pour finir cet article, je te présente la thèse de trois auteurs clés sur cette notion que tu pourras ainsi facilement replacer dans tes dissertations, notamment en troisième partie pour évoquer le futur du travail à l’aune des enjeux actuels.
Jeremy Rifkin, La Fin du travail, 1995
Rifkin annonce la fin imminente du travail liée notamment à « l’éclipse du capitalisme » et au retour en force du progrès technique et de la mécanisation de la production (troisième Révolution industrielle), ce qui va conduire à se passer de l’intervention humaine dans la production ; les humains vont pouvoir s’épargner de la peine.
Rifkin explique alors qu’il faudra repenser la répartition des richesses si le travail humain est remplacé par les machines en mettant en place une société des communs.
Paul Jorion, Le Dernier qui s’en va éteint la lumière, 2016
Selon lui, le travail est amené à disparaître du fait de l’ordinatisation des métiers, il sera alors nécessaire de trouver de nouvelles occupations, comme le prévoyait déjà Keynes en 1930. Selon plusieurs études, 47 % des emplois pourront être confiés à des ordinateurs d’ici 20 ans.
Cette ordinatisation des métiers touchera à la fois les métiers simples et les plus complexes, mais les métiers alliant travail manuel et réflexion seront plus difficilement remplaçables. Par exemple, le métier de trader, pourtant très complexe, est aujourd’hui réalisé quasi exclusivement par des machines et le trader n’a qu’un rôle de supervision, il n’y a plus aucune part d’intuition comme avant.
Mais les questions essentielles du revenu et de l’occupation de la population se soulèvent alors : Jorion préconise ainsi de taxer les machines pour verser la moitié des gains engendrés par ces dernières aux travailleurs qui ont été remplacés par elles, afin de garantir à chacun un revenu décent.
Paul Jorion s’inquiète de cette ordinatisation. De fait, la technologie et l’automatisation peuvent conduire à des inégalités économiques et sociales croissantes. Il met également en garde contre la concentration du pouvoir économique entre les mains de quelques entreprises et individus qui contrôlent les technologies et les moyens de production. Il souligne que cela pourrait entraîner une situation où une minorité possède la richesse et le pouvoir, tandis que la majorité de la population est laissée sans emploi et sans ressources.
Juliet Schor, La Véritable richesse : une économie du temps retrouvé, 2013
La RTT est une urgence écologique et sociale : nous sommes arrivés à un moment où on ne peut plus compter sur la croissance économique pour baisser le chômage. La croissance économique as usual n’est plus adaptée, elle ne fera que dégrader le bien-être humain du fait du changement climatique.
Schor constate que 19 % des Américains en 1996 ont fait le choix de réduire leur temps de travail pour améliorer leur qualité de vie. Ils étaient 48 % en 2004 et, dans l’ensemble, ils en sont tous satisfaits. Depuis 1970, l’intensification du travail rend nécessaire d’alléger le temps de travail et d’améliorer la qualité et les conditions de ce travail. En effet, on a d’un côté des travailleurs submergés par le travail et de l’autre des chômeurs qui vivent dans la pauvreté.
De plus, les pays où la durée du travail est la plus longue sont ceux dont l’empreinte écologique est la plus forte. Or, travailler moins, c’est consommer moins et moins utiliser les transports et, de plus, la RTT réduit l’utilisation des ressources.
Conclusion
La RTT semble être un moyen de répondre à une urgence économique (fin de la croissance), sociale (d’un côté des travailleurs submergés et de l’autre des chômeurs) et écologique, mais la réussite des politiques de RTT passe par l’adhésion à un projet de société plus solidaire et égalitaire.