réindustrialisation

De nos jours, la désindustrialisation est un phénomène qui s’accentue de plus en plus. À titre d’exemple, la part de l’industrie française dans le PIB est passée de 35 % en 1970 à moins de 20 % aujourd’hui. C’est dans ce contexte que Thomas Grjebine et Jérôme Héricourt, dans un chapitre de L’Économie mondiale 2024, démontrent l’importance non seulement économique, mais surtout environnementale d’une réindustrialisation à notre époque.

Contexte

Cet article a pour but de résumer le chapitre 3 de L’Économie mondiale 2024 du CEPII. Ce chapitre, intitulé « Les dilemmes d’une réindustrialisation (verte) en économie ouverte », a été rédigé par Thomas Grjebine et Jérôme Héricourt, tous deux conseillers scientifiques au CEPII, dans le cadre du programme Macroéconomie et Finance internationales.

Intérêt économique d’une réindustrialisation à notre époque

La croissance économique dépend forcément du progrès technique et des gains de productivité. Or, ces derniers sont notamment la conséquence du secteur manufacturier. À ce titre, les auteurs soulignent que la croissance de la productivité dans les pays de l’OCDE est de 3 % pour le secteur manufacturier, contre 1,3 % pour celui des services. 

De plus, le développement du secteur industriel est synonyme d’une augmentation des investissements en R&D (recherche et développement), ce qui a pour conséquence une augmentation du rythme de l’accumulation technologique. À ce titre, les auteurs montrent qu’en 2011, en France, 77 % des dépenses en R&D sur le territoire concernaient les industries. 

Modèle économique chinois vs modèle économique indien

Pour illustrer l’impact significatif du secteur industriel sur la croissance, les auteurs comparent deux modèles économiques qui divergent en fonction de l’importance accordée au secteur manufacturier. D’un côté, le modèle chinois, qui met en avant l’industrie comme moteur de développement, et de l’autre, le modèle indien, qui accorde moins de priorité à ce secteur. 

En 1990, les deux pays avaient un niveau de PIB par habitant relativement proche mais, en 2020, le PIB par habitant chinois était six fois supérieur à celui de l’Inde (mesuré en dollars constants). En 2021, la part du secteur manufacturier représentait 28 % du PIB en Chine, contre 14 % en Inde, tandis que le taux d’investissement était de 42 % pour la Chine et de 30 % pour l’Inde. Les auteurs montrent que ces données sont corrélées et que les différences de productivité s’expliquent par l’importance relative de l’industrie.

L’industrie bénéficie d’un important effet multiplicateur, notamment grâce à la dynamisation des activités locales (restauration, sous-traitance, services, etc.). À ce sujet, les auteurs soulignent que, pour chaque 100 emplois manufacturiers créés, 80 emplois hors secteur manufacturier voient également le jour.

Intérêt du secteur manufacturier pour la transition écologique

Les deux auteurs soulignent les bénéfices d’une réindustrialisation sur le plan environnemental. Selon eux, l’empreinte carbone de la France provient non seulement de son activité économique intérieure, mais surtout de ses importations. En effet, la moitié des émissions de carbone liées à la consommation en France sont produites à l’étranger.

Il est donc nécessaire de rapprocher les lieux de production des lieux de consommation. Cela permettrait : 

  • tout d’abord de réduire les importations en provenance de pays où les normes environnementales ne sont pas respectées :
  • mais aussi de limiter les émissions de gaz à effet de serre liées au transport des marchandises sur de longues distances.

 

À ce titre, la réindustrialisation verte doit donc s’accompagner d’une décarbonation du tissu productif existant, du développement d’industries bas-carbone et, enfin, d’une réduction de la surconsommation de biens industriels.

Toutefois, cette transformation verte, bien qu’elle génère des bénéfices sociaux, représente un coût important pour les entreprises en matière d’investissements. De plus, des dysfonctionnements du marché, tels que les barrières à l’entrée ou la concurrence déloyale, aggravent la situation. Cela nécessite, selon Grjebine et Héricourt, une intervention publique significative.

Cas concret : une Europe en retard sur l’industrialisation verte

Quelques données

Europe vs Chine

La Chine représente 20 % des annonces de méga-investissements industriels, contre seulement 2 % pour l’Union européenne. Concernant les batteries électriques, l’UE capte 23 % des investissements, contre 46 % pour la Chine. Dans la production de voitures électriques, l’UE se situe à 25 %, tandis que la Chine domine avec 50 %.

Europe vs États-Unis

Les États-Unis, de leur côté, ont annoncé un investissement de 39 milliards de dollars dans les microprocesseurs, accompagné d’un crédit d’impôt de 25 % pour soutenir les investissements en équipements dans ce secteur, ainsi que 13 milliards de dollars supplémentaires pour la formation de la main-d’œuvre et la recherche sur les semi-conducteurs. L’UE a annoncé un investissement de 43 milliards d’euros, mais 32 milliards ne sont pas garantis, étant supposés provenir d’investissements privés.

Ces données mettent en évidence le retard de l’Europe dans la transition écologique, ce qui, selon les auteurs, justifie la nécessité d’une politique vigoureuse pour combler ce retard.

En effet, la transition écologique et l’essor de l’intelligence artificielle annoncent, selon les auteurs, une nouvelle révolution industrielle pour le XXIe siècle. Or, aucun pays riche ne s’est industrialisé sans une intervention de l’État.

Exemple historique

En 1806, Napoléon a décidé d’interdire à tout navire anglais d’accoster en Europe afin de contrer la concurrence britannique dans l’industrie du coton. Cette mesure a eu pour conséquence de multiplier par quatre les capacités françaises de filage de coton pendant le blocus, rendant l’industrie compétitive même après la levée du protectionnisme.

Comment rattraper ce retard ?

Pour Grjebine et Héricourt, il faut :

  • sécuriser le financement des plans existants, tels que l’European Chip Act ;
  • s’assurer que les commandes publiques favorisent davantage les industries nationales. En 2014, la part des importations dans les commandes publiques était d’environ 9 % dans la zone euro, contre seulement 4 % aux États-Unis ;
  • déployer davantage les PIIEC (projets importants d’intérêt européen commun) pour renforcer la coopération industrielle au sein de l’UE.

Comment utiliser ces concepts en copie ?

Grâce à cet article, tu peux défendre plusieurs idées dans tes copies :

  • L’importance du secteur industriel pour la croissance économique. Tu peux argumenter que la croissance économique repose sur les gains de productivité, majoritairement issus du secteur manufacturier. Grjebine et Héricourt montrent que la productivité du secteur manufacturier est significativement plus élevée que celle du secteur des services, et qu’un développement industriel soutenu est essentiel pour stimuler l’innovation, notamment à travers la R&D.
  • Le rôle central du secteur industriel dans la transition écologique. Un autre argument est que la réindustrialisation est cruciale pour réduire l’empreinte carbone. Selon les auteurs, la moitié des émissions carbone associées à la consommation française proviennent des importations, souvent issues de pays avec des normes environnementales moins strictes. Tu peux ainsi défendre que relocaliser la production en France, tout en décarbonant le secteur industriel, réduirait les émissions liées au transport et améliorerait le bilan écologique global.
  • La nécessité d’une intervention publique pour réussir la réindustrialisation verte. Les auteurs soulignent que cette transformation écologique, bien que bénéfique, implique des coûts élevés pour les entreprises. L’intervention publique est donc indispensable pour compenser ces coûts, corriger les dysfonctionnements du marché et accélérer la transition industrielle verte, comme l’illustre l’exemple de la Chine et des États-Unis, qui investissent massivement dans ce domaine.

Conclusion

La réindustrialisation, à la fois économique et écologique, est essentielle pour répondre aux défis de notre époque. Localiser la production réduit l’empreinte carbone tout en dynamisant l’économie et en créant des emplois. Face à l’avance de la Chine et des États-Unis, l’Europe doit sécuriser ses financements, soutenir ses industries locales et intensifier les projets de coopération industrielle pour combler son retard. Une réindustrialisation verte permettra à l’Europe de concilier compétitivité économique et transition écologique.