Dans son ouvrage Croissance zéro, comment éviter le chaos ? (2015), la stagnation séculaire est une réalité pour Patrick Artus et Marie-Paule Virard puisqu’ils penchent pour une croissance française de 0,5 % sur les dix prochaines années. La stagnation séculaire prend ses sources dans le modèle d’état stationnaire que théorisera le classique David Ricardo en 1817. En effet, la stagnation séculaire est un état où la croissance est faible à long terme, et elle n’entraîne pas de réel enrichissement de la population. Elle a été théorisée par Alvin Hansen, un économiste et professeur à Harvard, né en 1887 et décédé en 1975. Dans cet article nous analyserons dans quelle mesure il est possible de relancer la croissance de nos jours.

Les moyens pour relancer la croissance 

D’abord, des politiques spécifiques sont nécessaires pour éviter la stagnation séculaire. Il faut des investissements publics tournés vers l’amélioration de la qualité des facteurs de production. C’est la théorie de la croissance endogène qui se concentre sur le rôle de l’Etat dans la relance économique et la durabilité de la croissance. La théorie de la croissance endogène s’appuie sur trois auteurs : Romer, Barro et Lucas.

Selon Paul Romer, la croissance auto-entretenue par l’accumulation du capital-connaissance dans l’économie. Il est conçu comme un sous-produit de l’activité des firmes. Il y à l’idée du « learning by doing » de Kenneth Arrow. Les entreprises gagnent au fil du temps en efficacité de production. L’accumulation du capital-connaissance devient alors une activité consciente pour les firmes travaillant dans la recherche et le développement.

R. Lucas, lui, rappelle le rôle du capital-humain et souligne les externalités positives de ceux faisant un effort d’accumulation valorisé sur le marché du travail. Certes, un coup d’opportunité (lié au temps de travail) est subi, mais c’est dans l’espoir d’avoir un revenu supérieur par la suite. Le gros avantage est qu’ils permettent d’accroître l’efficacité de l’entreprise de là où ils travaillent sans (parfois) avoir eu à payer la formation préalable.

Robert Barro propose, pour sa part, un modèle qui incorpore le rôle positif de certaines infrastructures publiques dans la croissance. En améliorant la qualité des réseaux utilisées par les producteurs, l’état élève l’efficacité globale de ces producteurs grâce, à nouveaux, aux externalités positives. Il peut s’agir de réseaux de transports où les entreprises privées ne veulent souvent pas investir en raison de forts coûts. Puis, pour relancer la croissance de manière durable, il faut lutter contre les inégalités de revenus. Effectivement, un rapport de l’OCDE publié en 2014 indique que les inégalités nuisent à la croissance et qu’il faut de ce fait il faut aller vers plus de progressivité. L’économiste français Thomas Piketty, dans son ouvrage Le capital au XXIe siècle (publié en 2013) propose un impôt progressif mondial sur le patrimoine.

Enfin, la croissance a aussi été relancée périodiquement par les innovations. En effet, la croissance du XVIII – XIXe siècle est portée par des innovations majeures (sidérurgie, textile, énergie), même si celle-ci ralentie à un moment, elle est rapidement relancée à la fin du XIXe, début XXe siècle par l’innovation. Ici, il est possible de faire référence à Schumpeter et son explication du caractère cyclique de la croissance et du rôle des grappes d’innovations.

Les limites de cette reprise

La “baisse irréversible de croissance tendancielle” et la “stagnation séculaire” est devenue une hypothèse de travail chez certains économistes. On ne parle pas ici de la croissance à court terme, qui est calculée chaque année, mais d’un trend de croissance sur vingt, trente voire quarante ans. La croissance d’une économie dépend de sa capacité à utiliser plus de travail et de capital, et à les utiliser de manière efficace, c’est-à-dire faire en sorte que la productivité globale des facteurs (moyenne pondérée des productivités apparentes du travail et du capital) augmente. Cette augmentation est liée au progrès technique.

En 2013, Lawrence Summers affirmait que les économies avancées sont en fait vouées à une stagnation séculaire depuis plusieurs décennies. Ce terme a été forgé par Alvin Hansen à la fin des années trente, lorsque lui-même et ses contemporains pensaient que la Grande Dépression marquait une baisse irrémédiable du taux de croissance tendanciel de long terme.

Larry Summers s’appuie sur deux constats :

  • D’une part, suite à la Grande Récession de 2008-2009, la reprise a été particulièrement lente dans les pays avancés et ce malgré les politiques monétaires ultra-accommodantes menées par les banques centrales ; le PIB n’est pas revenu à sa tendance d’avant-crise.
  • Aujourd’hui, le PIB cumulé des quatre plus grandes économies développées ne dépasse que de quelques points de pourcentage son niveau au pic d’avant-crise. Il s’éloigne même au cours du temps de sa trajectoire tendancielle de long terme, ce qui suggère une détérioration de la production potentielle

Selon Robert Gordon, le ralentissement de l’innovation est la principale cause de l’affaiblissement de la croissance potentielle. Il affirme que les 25 prochaines années seront marquées par une très faible croissance de la productivité. Gordon suggérait toutefois que six autres dynamiques, indépendantes du processus d’innovation, allaient également contribuer à réduire la croissance à long terme. La croissance de la productivité a connu un renouveau au cours des années quatre-vingt-dix avec la diffusion des nouvelles technologies d’information et de communication, mais le potentiel attaché à ces innovations serait à présent épuisé. Les vagues d’innovations qui se sont succédées depuis l’invention de la machine à vapeur ou de l’électricité n’ont pas donné lieu à une transformation radicale des modes de production et n’ont donc pas amélioré de manière aussi significative la productivité d’ensemble de l’économie.

Gordon revient sur cette idée dans son ouvrage The Rise and Fall of American Growth (2016) et dit pourquoi, depuis quarante ans, les innovations technologiques génèrent moins de croissance dans son pays et dans les pays industrialisés : ce serait en raison de la stagnation du niveau d’éducation, de l’augmentation des inégalités, de la hausse du ratio de la dette sur le PIB et des contraintes environnementales. Cette idée est reprise par Patrick Artus et Marie-Paule Virard dans Croissance zéro (2015) qui observent un déclin des gains de productivité dans tous les pays de l’OCDE et dans tous les secteurs. Cela viendrait en partie d’une baisse de l’industrie. Les emplois de services sont moins productifs que les emplois industriels. Les effets des nouvelles technologies sur la croissance à long terme sont faibles et tendent à devenir nuls. L’explication de la stagnation séculaire tiendrait essentiellement à des facteurs d’offre. Il faut alors opérer des réformes structurelles qui relèvent la production potentielle, notamment en réduisant les obstacles réglementaires pour stimuler l’innovation et intensifier la concurrence.

Ainsi, la reprise actuelle de la croissance s’avère être difficile du fait d’un sorte de mouvement naturel vers un état stationnaire.