agriculture

Le rôle de l’agriculture dans les stratégies de développement a beaucoup évolué au fil du temps. Autrefois importante dans les stratégies de développement des pays (comme en Angleterre, où elle a joué un rôle moteur dans les révolutions industrielles), l’agriculture a été reléguée au second plan et souvent associée au sous-développement. L’importance relative de l’agriculture dans l’économie a diminué dans de nombreux pays en développement, perdant jusqu’à 25 points de pourcentage entre 1960 et 2015, notamment en Chine, en Inde et en Corée du Sud. Toutefois, l’agriculture est aujourd’hui réhabilitée et devient un outil particulièrement efficace pour le développement des pays. Pourquoi ? Quel est son rôle ?

Introduction

Lorsqu’un pays se développe, la part de l’agriculture dans son économie tend à décroître. Cette tendance est souvent interprétée comme un signe de progrès économique. Cependant, il est essentiel de comprendre que l’agriculture demeure un secteur crucial de l’économie. Elle assure la sécurité alimentaire, génère des emplois et soutient les industries agroalimentaires, tout en contribuant à la préservation de l’environnement. De plus, l’innovation dans le secteur agricole peut stimuler la croissance économique en créant de nouveaux marchés et en améliorant l’efficacité de la production.

Il est impératif de repenser le rôle de l’agriculture dans les stratégies de développement économique. Plutôt que de la considérer comme un secteur en déclin, il est nécessaire de reconnaître son potentiel pour l’innovation, la durabilité et la croissance économique. Les investissements dans la recherche agricole, l’infrastructure rurale et l’éducation peuvent renforcer la productivité agricole et améliorer les conditions de vie des agriculteurs. Une approche holistique de l’agriculture, intégrant des pratiques durables et des technologies innovantes, peut non seulement stimuler le développement rural, mais aussi contribuer de manière significative à l’économie nationale.

L’agriculture a longtemps été sacrifiée dans les stratégies de développement

Les grands paradigmes qui se sont succédé ont longtemps négligé l’agriculture

Les principaux paradigmes économiques qui ont émergé au fil du temps ont souvent minimisé le rôle de l’agriculture dans le développement économique. Cette dévaluation a été exacerbée par les théories économiques du développement, notamment celles des structuralistes tels que Lewis. Ces théoriciens accordaient à l’agriculture un rôle central, tout en cachant les réalités d’une économie de subsistance et d’un sous-emploi chronique. Cette vision ambiguë de l’agriculture a persisté malgré des contre-exemples tels que la Nouvelle-Zélande, un pays qui a fondé son développement sur l’agriculture sans remettre en question cette vision. De plus, cette perspective a été renforcée par la perception de la détérioration des termes de l’échange.

L’économie standard, représentée par les politiques d’ajustement structurel des années 1980, a favorisé le retour aux « grands équilibres » économiques : marché concurrentiel, stabilité des prix, stabilité budgétaire et ouverture aux marchés mondiaux. Même lorsque les pays se sont spécialisés dans la production d’un bien agricole pour tirer parti de leur avantage comparatif sur les marchés mondiaux, cela a souvent conduit à une spécialisation excessive dans des productions trop limitées. Cette spécialisation s’est révélée peu propice à long terme, car elle n’a pas favorisé l’accumulation de capital humain, n’a pas encouragé l’innovation technique et n’a pas créé une dynamique de demande.

De plus, les politiques d’ajustement structurel ont eu des effets indirects sur l’agriculture en prônant la libéralisation des marchés. Cela a entraîné le démantèlement des offices de commercialisation agricole, contribuant ainsi à des effets néfastes sur le secteur agricole et les communautés rurales.

Et les stratégies de développement menées ont pénalisé l’agriculture

Les stratégies de développement dans les pays en développement ont souvent minimisé son rôle

Ces pays ont investi peu dans ce secteur, en grande partie en raison du « biais urbain ». Les populations urbaines croissantes ont eu plus de poids politique, entraînant un déséquilibre dans l’allocation des ressources, désavantageant les zones rurales. De nombreux PED ont ainsi retardé les réformes agraires nécessaires.

Par exemple, le Brésil a connu une crise agraire majeure au début des années 1960, résolue en partie par la colonisation de l’Amazonie, mais provoquant des tensions et des conflits violents dans les nouvelles régions. Plus récemment, le premier plan du président Lula en 2003 visait à installer 550 000 familles sur 45 millions d’hectares (et réhabiliter l’agriculture), mais l’objectif n’a pas été atteint.

Cependant, certaines réformes agraires ont été couronnées de succès

Le Japon a mené une réforme agraire fructueuse entre 1946 et 1949, au cours de laquelle l’État a récupéré des terres inutilisées appartenant à des propriétaires non exploitants pour les redistribuer à des centaines de milliers de paysans japonais. De même, la Chine a entrepris la décollectivisation des terres après 1979, permettant aux paysans de signer des contrats avec l’État pour cultiver des terres, entraînant la disparition des communes populaires en 1985. Ces réformes ont contribué au succès de certaines stratégies de développement axées sur l’industrialisation.

Par ailleurs, l’agriculture a progressé grâce à la révolution verte, qui a introduit des techniques agricoles modernes (l’utilisation par exemple de pesticides ou de machines-outils modernes). Cependant, ces avancées ont eu des conséquences environnementales néfastes. Ces développements mettent en évidence la complexité des défis auxquels est confrontée l’agriculture dans les stratégies de développement, exigeant un équilibre délicat entre la croissance économique, la préservation de l’environnement et l’équité sociale.

Les politiques menées dans de nombreux pays en développement ont souvent été peu favorables, voire défavorables à l’agriculture

Les jeunes États nouvellement indépendants héritent fréquemment d’une spécialisation agricole structurée par les anciens pays colonisateurs. En nationalisant ces secteurs, ces États reprennent le contrôle, mais souvent sans diversifier la production. Dans de nombreux pays (notamment l’Algérie), les  offices de commercialisation agricole, responsables de cette spécialisation, se sont principalement concentrés sur la fixation d’un prix minimal d’achat au producteur, plutôt que sur la diversification des cultures.

Dans d’autres pays,  les politiques d’ajustement structurel (PAS) ont conduit à la suppression partielle de ces offices, créant un bouleversement local face à l’entrée d’acteurs occidentaux et à l’émergence de marchés oligopolistiques. Cette situation a détérioré les termes de l’échange pour les agriculteurs locaux.

Un exemple illustratif est celui du Zimbabwe, qui a dû faire appel au FMI en 1990 et accepter un programme d’ajustement structurel (c’est-à-dire accepter la libéralisation du pays en échange de fonds). Ce programme comprenait la réduction des taxes sur les importations, la suppression des primes à l’exportation, la privatisation des offices de commercialisation agricole et l’abolition des prix garantis pour les produits agricoles.

En conséquence, le prix du maïs a augmenté de 50 % en quelques mois suite à sa libéralisation. En 1991, l’office de commercialisation a été contraint de vendre le stock de sécurité de céréales du pays, mais en raison de la sécheresse qui a suivi, cela a conduit à une famine. Pour y faire face, certains budgets sociaux ont dû être réduits, entraînant une diminution des dépenses de santé par habitant, passant de 14,8 $ zimbabwéens en 1990 à 9 $ en 1994.

En 2009, la Banque mondiale a tenté de mesurer les distorsions imposées à l’agriculture entre 1955 et 2004

Cet indicateur agrège les différentes distorsions telles que les taxes et les aides sur les intrants, les politiques de change et les politiques de prix administrés pour évaluer dans quelle mesure l’action publique a augmenté ou réduit les recettes brutes des agriculteurs (en %).

Les données révèlent que l’agriculture des pays développés a globalement bénéficié des politiques publiques, tandis que celle des pays en développement en a pâti jusqu’au milieu des années 1990.

Enfin, le montant de l’aide publique au développement (APD) alloué à l’agriculture a considérablement diminué au fil du temps

En 1985, 13 % de l’APD totale (20 millions de dollars) était pour l’agriculture. Cependant, cette part a chuté à seulement 3,4 % en 2004, même si le montant total de l’APD avait quadruplé au cours de cette période.

Cette diminution s’explique en partie par le fait que l’APD était de plus en plus orientée vers d’autres domaines tels que la lutte contre le SIDA, la promotion de la bonne gouvernance et le soutien à l’éducation. De plus, une partie des annulations de dette a été comptabilisée comme de l’APD, réduisant ainsi les ressources disponibles pour l’agriculture.

Le « retour » de l’agriculture est aujourd’hui bien amorcé

L’articulation agriculture-industrie est au cœur du développement économique

L’articulation entre l’agriculture et l’industrie est un élément essentiel du développement économique. Le développement du secteur agricole présente plusieurs avantages :

  • Fourniture de matières premières : l’agriculture fournit les matières premières nécessaires à diverses industries, notamment l’industrie agroalimentaire.
  • Gains de productivité : les avancées technologiques dans l’agriculture permettent d’augmenter la productivité, créant ainsi un surplus de ressources.
  • Industrie agroalimentaire : les produits agricoles sont transformés par l’industrie agroalimentaire en une variété de produits, créant ainsi de la valeur ajoutée.
  • Réutilisation dans d’autres secteurs : les sous-produits agricoles peuvent être réutilisés dans d’autres secteurs, par exemple comme biomasse pour la production d’énergie.
  • Libération de main-d’œuvre : l’automatisation croissante dans l’agriculture libère de la main-d’œuvre, qui peut être réaffectée à d’autres industries.
  • Stimulation de la consommation : l’augmentation des revenus dans le secteur agricole stimule la consommation, tant pour les biens de consommation que pour les équipements.
  • Accroissement de l’épargne : l’augmentation des revenus agricoles peut conduire à un accroissement de l’épargne, contribuant ainsi à la disponibilité de fonds pour l’investissement.
  • Transfert vers des secteurs nécessitant un financement : les fonds ainsi générés peuvent être transférés vers des secteurs nécessitant un financement, stimulant ainsi l’expansion économique.

L’agriculture peut permettre de réduire la pauvreté

Elle peut jouer un rôle crucial dans la réduction de la pauvreté, surtout dans les pays en développement (PED). En 2012, près d’une personne sur cinq vivait avec moins de 1,24 $ par jour en parité de pouvoir d’achat (selon la Banque mondiale), soit deux fois moins qu’en 1990. Bien que la grande pauvreté ait diminué, les personnes pauvres qui « persistent » se trouvent principalement en zone rurale. C’est pourquoi l’élaboration de stratégies de développement centrées sur l’agriculture dans ces pays les plus pauvres revêt une importance cruciale.

Investir dans l’agriculture est considéré comme l’une des méthodes les plus efficaces pour lutter contre la pauvreté par rapport à d’autres initiatives. Cependant, pour que cela fonctionne efficacement, il est essentiel de garantir le désenclavement des régions trop isolées, d’assurer l’accès à des marchés performants pour les petits producteurs, de fournir des technologies modernes pour augmenter la productivité et de mettre à disposition tous les éléments nécessaires à la production, tels que la terre, l’eau et les crédits.

En résumé, en investissant de manière ciblée dans le secteur agricole, en modernisant les pratiques, en améliorant l’accès aux marchés et en facilitant l’obtention de ressources nécessaires, les pays en développement ont la possibilité significative de réduire la pauvreté, surtout dans les régions rurales où elle persiste de manière préoccupante.