système monétaire

Cet article permet de connaître quelles ont été les premières étapes de l’intégration monétaire des pays européens ainsi que les problèmes auxquels ils ont fait face, montrant que la monnaie unique des années 2000 est aujourd’hui un acquis qui est le fruit de nombreux essais.

L’échec du serpent monétaire européen

Depuis 1972 et la disparition de facto des changes fixes, l’année suivante, de nombreux pays d’Europe occidentale ont choisi de lier leur destin monétaire par des mécanismes de plus en plus contraignants, allant jusqu’à perdre toute souveraineté monétaire.

Ces évolutions incluent des abandons partiels, tels que le « serpent monétaire » et l’instauration du Système monétaire européen (SME) avec l’European Currency Unit (ECU), ainsi que des abandons totaux, culminant avec l’adoption de la monnaie unique.

Une solution européenne pour faire face à la fin de Bretton Woods

Avec la fin des changes fixes de Bretton Woods, les six pays fondateurs de la Communauté économique européenne (CEE) ont dû faire face à l’incompatibilité de leurs stratégies de croissance avec une hétérogénéité monétaire croissante. Bien que la coordination monétaire n’ait pas été prévue par le Traité de Rome, ils adoptèrent le Plan Werner, en mars 1971, qui prévoyait une union monétaire pour 1979. Cependant, au lieu d’une union, ils se sont concentrés sur la limitation des fluctuations monétaires entre eux. Ainsi, pour répondre à la désintégration du régime de Bretton Woods, les Six ont créé le serpent monétaire européen, officialisé par les Accords de Bâle, le 24 avril 1972.

Ce mécanisme, impliquant la France, la RFA, l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, le Royaume-Uni, l’Irlande et le Danemark, visait à stabiliser les monnaies européennes en limitant leurs variations à 2,25 %, tout en permettant des fluctuations vis-à-vis du dollar jusqu’à ± 2,25 %.

L’objectif était de protéger la politique agricole commune, mise en place dix ans plus tôt, dont les prix communs étaient menacés par les ajustements monétaires, comme la dévaluation du franc et la réévaluation du mark en 1969. Les montants compensatoires monétaires (MCM) furent introduits pour maintenir l’unicité des prix, mais ils ne pouvaient éviter des distorsions importantes entre États membres. De plus, l’intensification des échanges européens risquait d’être perturbée par des variations de prix imprévisibles, nuisant aux entreprises et à la croissance.

Le serpent monétaire a rapidement montré ses faiblesses lors du choc pétrolier

Le choc pétrolier d’octobre 1973, survenu peu après le passage aux changes flottants, aggrava les déséquilibres économiques en Europe. Les déficits des balances des paiements et les divergences en matière de politique économique entre les pays européens augmentèrent les tensions sur les marchés de change. Le serpent monétaire, nécessitant une discipline rigoureuse, fut mis à mal par l’effondrement des réserves de change des banques centrales. L’Allemagne adopta une politique monétaire restrictive, augmentant les taux d’intérêt réels, tandis que d’autres pays, comme la France, optèrent pour des politiques plus souples, maintenant des taux d’intérêt réels négatifs jusqu’à la fin des années 1970.

L’appréciation continue de la monnaie allemande, due à une meilleure maîtrise de l’inflation et à une réduction plus rapide des déficits commerciaux, entraîna la sortie de la lire et de la livre du serpent. Le franc quitta le serpent en janvier 1974, y revint en juillet 1975, mais l’abandonna définitivement en mars 1976 en raison des déséquilibres induits par la relance économique de Chirac. La plupart des pays européens adoptèrent des politiques expansionnistes visant à relancer la croissance et à réduire le chômage, empêchant ainsi une convergence nominale nécessaire à la stabilité monétaire. La théorie de la parité des pouvoirs d’achat se vérifia ici : les différentiels d’inflation conduisirent à des déséquilibres extérieurs nécessitant des ajustements de parité.

Le Système monétaire européen (SME)

Le SME comme remplaçant plus résistant du serpent monétaire

À partir de mars 1979, avec la mise en place du SME, les pays de la CEE tentent à nouveau de stabiliser les taux de change, accusés de perturber les échanges et la croissance en Europe. 

Le SME repose principalement sur trois éléments

  • Premièrement, l’ECU (European Currency Unit), une « monnaie-panier » qui fonctionne uniquement comme unité de compte. Composée de fractions des monnaies des pays participants, l’ECU définit les parités entre les monnaies européennes et comptabilise les créances et dettes entre pays. 
  • Deuxièmement, les pays s’engagent à ne pas laisser leur monnaie varier de plus ou moins 2,25 % par rapport à cette parité. 
  • Troisièmement, le FECOM (Fonds européen de coopération monétaire) offre des crédits à très court terme pour aider les pays en difficulté temporaire de balance des paiements.

À ses débuts, le SME semble suivre le même chemin que le serpent monétaire

Le refus d’accepter les contraintes de l’abandon partiel de la souveraineté monétaire conduit à des différentiels d’inflation importants et à de nombreux réajustements des parités centrales. Par exemple, les réévaluations du mark et du florin néerlandais et les dévaluations de la lire et du franc français en 1981.

Cependant, à partir de 1983, et surtout au milieu des années 1980, la construction européenne est relancée avec la signature de l’Acte unique en février 1986. La stabilité monétaire visée par le SME est censée stimuler le commerce intraeuropéen en réduisant les incertitudes pour les entreprises souhaitant accroître leurs exportations.

Bien que la croissance des pays membres du SME soit inférieure à celle de nombreux autres pays industrialisés, le SME oblige des pays comme la France à adopter une politique économique visant la désinflation, condition jugée nécessaire pour une croissance saine et durable. Abandonner les dévaluations périodiques permet également de préserver la valeur du travail des salariés, qui ne sont plus victimes de l’illusion monétaire, et assure aux épargnants la conservation de la valeur réelle de leurs encaisses monétaires.

Mais le SME connaît aussi de nombreuses limites

Le SME n’empêche pas le ralentissement de la croissance économique du PIB, qui passe de 3,9 % à 2 % entre 1980 et 1987 chez les pays participants, tandis que la baisse est moins prononcée dans les autres pays industriels. De janvier 1987 à septembre 1992, bien que le SME connaisse une période d’euphorie, cette prospérité est principalement due à la croissance mondiale généralisée, plutôt qu’à une contribution directe du SME. En revanche, les crises de 1992-1993 montrent que certains pays, comme le Royaume-Uni et l’Italie, refusent de sacrifier leur croissance pour maintenir des taux de change fixes.

La décennie 1990 révèle les limites de l’adoption d’une monnaie forte, inspirée du modèle allemand. Cette stratégie repose sur l’idée que les dévaluations sont inappropriées, car elles alimentent l’inflation importée et compromettent ainsi la compétitivité-prix, en particulier pour les importations incompressibles.

Cependant, cette approche se heurte à plusieurs obstacles. Suite à la réunification allemande, de nombreux pays européens adoptent des politiques restrictives pour maintenir une monnaie forte. Cette rigueur, bien que visant à stabiliser les économies, entrave la croissance, tandis que les États-Unis connaissent une période de forte expansion économique.

Parallèlement, les régimes de changes fixes créent des disparités entre les pays à monnaie forte et ceux à monnaie faible. Les taux d’intérêt allemands sont ajustés pour répondre aux fluctuations monétaires et à l’inflation, tandis que les pays à monnaie faible doivent aligner leurs taux sur ceux de l’Allemagne, souvent au détriment de la croissance, de l’investissement et de l’emploi. Cette situation alimente une anticipation constante de dévaluations ou de sorties du SME par les opérateurs, conduisant parfois à des décisions drastiques, comme la sortie de la livre sterling du SME en septembre 1992, après seulement deux mois de participation.

Conclusion

L’abandon de la souveraineté monétaire représente une approche novatrice et en apparence solidaire pour surmonter la crise industrielle du dernier quart du XXe siècle, offrant une alternative à la voie libérale suivie par les pays anglo-saxons.

Après les résultats mitigés de l’abandon partiel de la souveraineté monétaire avec le serpent et le SME, marqués par une croissance modérée et des déséquilibres de l’endettement (qu’il soit public ou privé) ainsi qu’une victoire mitigée sur l’inflation, les quelque vingt ans d’existence de l’euro ont montré l’importance de ces travaux, piliers de la monnaie unique que l’on connaît aujourd’hui.