SMI

La mise en place du SMI d’après-guerre s’accompagne d’un féroce débat entre les économistes White et Keynes.

Harry Dexter White vs John Maynard Keynes : des objectifs en débat

Harry Dexter White (États-Unis) et John Maynard Keynes (Royaume-Uni) étaient tous deux favorables à un système de changes fixes, mais ajustables (moins rigide qu’auparavant) pour le nouveau SMI d’après-guerre. Ce système a pour vocation d’éviter le recours à la déflation et à l’austérité en cas de déficit de la balance des transactions courantes. Les deux économistes voulaient aussi créer une instance supranationale chargée de contrôler les dévaluations, mais de nombreux points les divisaient.

Les idées de Keynes

Il souhaitait créer une Banque centrale mondiale pour réglementer le SMI (système monétaire international), qui émettrait une monnaie internationale indépendante (le bancor) pour avoir un SMI plus équilibré et symétrique, en évitant l’obédience d’un pays. Cela visait à éviter qu’une monnaie nationale prenne le rôle de monnaie internationale, mettant de cette façon tous les pays sur un pied d’égalité.

Ce système permettrait d’alimenter l’économie mondiale en fonction de ses besoins, non plus en fonction d’un stock d’or fixe. Cependant, ce système impliquerait une perte de souveraineté des États et ils seraient obligés de coopérer, ce qui déplaisait fortement aux Américains.

Les idées de White

Il propose la création d’un fonds de stabilisation, qui n’a pas le pouvoir d’émettre de la monnaie. Tous les pays membres de ce fonds pourraient verser un apport pour l’alimenter et puiser dans ce fonds en cas de besoin pour maintenir leur cours de change. White voulait donner un rôle à l’or, car les États-Unis détenaient les ¾ du stock d’or mondial à ce moment, permettant donc au dollar de maintenir sa convertibilité-or afin de devenir une monnaie internationale.

En bref, White souhaite un global exchange standard avec le dollar comme seule devise clé, ce qui confère aux États-Unis une place dominante dans les changes internationaux.

Le contenu des accords de Bretton Woods

La proposition de White va l’emporter et un global exchange standard « étalon dollar-or » construit autour de quatre grandes règles va naître.

La fixité des taux de change

Chaque pays définit une parité de sa monnaie en poids d’or ou en dollar.

Les États-Unis se sont engagés à convertir le dollar au taux fixe de 35 $ l’once d’or. Ce n’est pas un problème tant que le montant des dollars externes (dollars en circulation à l’étranger) n’excède pas le stock d’or de la FED. Seules les banques centrales étaient autorisées à demander la conversion de leurs dollars en or auprès de la FED. L’or est démonétisé pour les particuliers. Les banques centrales de chaque pays doivent intervenir au jour le jour sur le marché des changes pour défendre la parité par rapport au dollar.

Néanmoins, chaque monnaie dispose d’une marge de fluctuation de 1 % autour du taux fixé par rapport au dollar et de 2 % avec une monnaie autre que le dollar. Cela permet notamment de donner un peu de souplesse à l’intervention de la Banque centrale et de jouer sur les anticipations des cambistes sur le marché des changes pour qu’ils rétablissent eux-mêmes la parité avant que la Banque centrale n’intervienne (car ils savent qu’elle va intervenir, donc faible spéculation).

Face à la dépréciation de sa monnaie nationale par rapport au dollar, la Banque centrale doit acheter sa monnaie nationale avec ses réserves en devises afin de maintenir cette dernière autour de la parité officielle. Si elle n’a plus de réserves, l’accord de Bretton Woods prévoit la possibilité que d’autres banques centrales lui prêtent. Si les besoins sont importants, possibilité de faire appel au FMI. La FED n’a pas besoin d’intervenir pour défendre la parité du dollar, c’est aux autres pays de s’adapter pour maintenir leur parité. Valéry Giscard d’Estaing parle d’un « privilège exorbitant ». Elle peut ainsi mener la politique monétaire interne qu’elle souhaite : c’est la politique de Benign Neglect.

La règle de l’unicité du taux de change

Un seul taux de change est appliqué, quelle que soit l’opération réalisée avec le reste du monde.

La libre convertibilité des monnaies

Pour les opérations courantes, les pays peuvent librement convertir leur monnaie nationale en devise.

Cependant, les pays ont le droit de réguler les mouvements de capitaux, ils ne circulent pas librement (contrôle des changes). Ainsi, si les investissements directs à l’étranger sont très peu limités et explosent pendant les Trente Glorieuses, les placements à l’étranger font eux l’objet de restrictions plus strictes. Notons que dans le Banking Act de 1933, la « réglementation Q » empêche les Américains de placer leur épargne dans des banques étrangères (vaut encore post-Bretton Woods).

Des changements de parité autorisés, mais réglementés

En cas de déficit durable de la balance courante, un pays peut demander aux autres membres du FMI l’autorisation de dévaluer sa monnaie.

Si la dévaluation ou la réévaluation n’excède pas 10 %, l’autorisation du FMI n’est pas nécessaire. Cette dévaluation est autorisée pour éviter au pays déficitaire de mettre en place une politique d’austérité qui freine son activité économique. Le but de ce processus d’autorisation, appelé la procédure d’accord préalable, est d’éviter un dumping monétaire et une guerre des monnaies et l’instabilité monétaire de l’entre-deux-guerres.

Mais cette procédure est très longue et, pendant ce temps, la spéculation sur le marché des changes anticipe la dévaluation et provoque une dépréciation encore plus forte. La Banque centrale doit durant ce temps intervenir encore plus. Ainsi, en 1948, la France dévalue le franc de 44 % sans autorisation (interdite de FMI pour 10 ans, mais le préjudice est faible, car jusqu’en 1958 les monnaies ne sont pas convertibles entre elles du fait de la faiblesse des réserves en devises des pays européens). Les États-Unis n’ont pas à se préoccuper de leur déficit de la balance courante parce qu’ils vont pouvoir le financer en dollars, et les autres pays ont justement besoin de dollars.

Les conséquences de Bretton Woods

La création du FMI (1944)

Le FMI est créé pour mieux réguler le SMI et contrôler les dévaluations. Les aides du FMI, sous forme de prêts, sont conditionnées à des politiques d’austérité. Le pouvoir d’un pays au sein du FMI dépend beaucoup de sa participation financière à l’organisation (système de quote-part).

Cela était voulu par les États-Unis, qui disposent de suffisamment de voix pour avoir une minorité de blocage (+ de 15 %) et orienter les politiques du FMI dans leur intérêt.

L’hégémonie américaine et l’impossible retour à la convertibilité-or de la livre

Le rôle central du dollar a été renforcé par l’impossibilité d’une alternative à sa domination : la livre sterling était le seul concurrent potentiel, notamment au vu du rôle qu’a joué la livre dans l’histoire du SMI. Le Royaume-Uni demande donc un retour à la convertibilité-or de sa monnaie, mais les pays étrangers ont accumulé énormément de livres dans leurs réserves. Si le Royaume-Uni rétablit la convertibilité, il y a un risque que ces pays demandent la conversion de tous leurs livres en or, ce qui serait impossible à tenir pour le Royaume-Uni.

Cependant, la livre est rendue à nouveau convertible en or en juillet 1947, mais les pays détenteurs de livres ont immédiatement demandé la conversion de leurs livres en or (pas assez de confiance). Notons qu’en août 1947, la convertibilité-or de la livre est suspendue.

Quel devenir pour le SMI de Bretton Woods ?

Pour conclure, après deux tentatives de sauvetage du SMI de Bretton Woods, en 1971, c’est la fin de la période du dollar-roi, de l’hégémonie du dollar. De 1971 à 1976, on entre dans une période de transition chaotique vers le flottement des monnaies. Eichengreen parle ainsi d’une période de « plongée dans l’inconnu » quand Nixon suspend la convertibilité-or du dollar le 15 août 1971. C’est la fin d’un système qui avait tout de même des avantages importants. Il se développe une crainte du retour de l’instabilité monétaire des années 1930 et également celle de la sortie de « l’hégémonie stabilisatrice » de l’économie américaine.