La question de la soutenabilité est au cœur des débats sur l’avenir de notre planète. Face aux défis écologiques et économiques actuels, deux visions s’opposent : la soutenabilité faible et la soutenabilité forte. Ce débat ne se limite pas à une simple opposition technique, il reflète une divergence profonde dans les paradigmes économiques et environnementaux. Mais lequel de ces modèles est réellement viable pour assurer un avenir durable ?
Définitions à connaître
Taux d’actualisation : technique de calcul permettant de rendre comparables des flux de dépenses ou de recettes réalisées à des moments différents, en tenant compte de la valeur temporelle de l’argent.
Soutenabilité : d’après le rapport Brundtland de 1987, elle implique la satisfaction des besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins.
Les deux visions de la soutenabilité
Les débats autour de la soutenabilité opposent deux concepts majeurs :
- La première postule que l’on peut substituer le capital naturel par d’autres formes de capital.
- La seconde insiste sur la préservation absolue des ressources naturelles, considérées comme irremplaçables.
La soutenabilité faible
Dans ce cadre, on considère que le capital naturel est substituable et que l’Homme doit le remplacer par du capital qu’il crée. Ainsi, toute diminution du capital naturel doit être compensée par une augmentation proportionnelle du capital productif.
John M. Hartwick (Intergenerational Equity and the Investing of Rents from Exhaustible Resources, 1977) formule une règle en ce sens : les revenus issus de l’exploitation des ressources naturelles doivent être intégralement réinvestis dans la formation de capital productif.
Un exemple concret est le fonds souverain norvégien, le Government Pension Fund, qui investit entièrement les recettes tirées de l’exploitation des ressources fossiles dans des entreprises respectueuses de l’environnement et des droits humains.
La soutenabilité forte
Le capital naturel n’est pas substituable et doit être préservé dans son état actuel. Selon Herman Daly (Beyond Growth: The Economics of Sustainable Development, 1996), il est essentiel de maintenir constant le stock de capital naturel car, dans cette perspective, le taux d’actualisation — qui reflète la valeur des flux futurs aujourd’hui — est considéré comme nul.
Les capitaux manufacturés et naturels sont complémentaires, et le progrès technique ne peut avoir qu’un impact limité sur le capital naturel en raison des contraintes liées au recyclage. Nicholas Georgescu-Roegen (The Entropy Law and the Economics Process, 1971) montre que le concept physique d’entropie s’applique aussi en économie : les ressources naturelles s’épuisent irrévocablement et les ressources matérielles entraînent inéluctablement la dégradation de ces dernières.
La décroissance : une alternative radicale ?
Certains partisans de la soutenabilité forte plaident pour une forme de décroissance. Celle-ci se réfère à un programme bioéconomique minimal, visant à prolonger au maximum l’utilisation du stock d’énergie et de matières disponibles pour l’humanité.
Paul Ariès (La Décroissance, 2007) critique la conception traditionnelle de la croissance économique, telle qu’elle s’est développée depuis la première révolution industrielle, basée sur l’accumulation de biens matériels. Selon lui, il est essentiel de repenser notre mode de vie en partageant les ressources et en cessant de produire des biens superflus.
Serge Latouche (Le Pari de la décroissance, 2006) affirme que la décroissance est nécessaire : il nous faut moins de PIB, mais plus de bien-être. Il souligne également les moyens pour y parvenir : la relocalisation des activités de production, la restauration de l’agriculture paysanne, la production de biens relationnels, la réduction de gaspillage et la réorientation de la recherche scientifique.
Néanmoins, il existe des limites à la décroissance, notamment l’impossibilité d’améliorer la vie de trois milliards d’habitants sans croissance matérielle, en particulier dans les pays en voie de développement et les pays les moins avancés.
Si tu souhaites approfondir ce thème, un sujet sur la décroissance est tombé au concours de 2023, tu peux consulter le corrigé ici.
Débat autour du taux d’actualisation
Le choix du taux d’actualisation est central dans les débats sur la durabilité, particulièrement entre les théories de la soutenabilité faible et forte. En effet, plus le taux d’actualisation est bas, plus on estime que la destruction du capital naturel aujourd’hui aura un impact significatif sur le futur. À l’inverse, un taux élevé suggère que la création de richesse matérielle future peut compenser la perte de capital naturel.
Dans ce contexte, Nicholas Stern, dans son rapport de 2006, préconise un taux d’actualisation de 1,4 %, estimant que l’impact des actions présentes sur les générations futures mérite une attention particulière. À l’opposé, William Nordhaus (A Question of Balance: Weighing the Options on Global Warming Policy), en 2008, choisit un taux de 5 %, considérant que le taux de Stern accorde trop d’importance aux générations futures, qui seront probablement plus riches, à en croire les tendances historiques économiques.
Pour illustrer cette divergence, on peut notamment souligner le fait que les évaluations des dommages futurs des émissions actuelles de CO2 diffèrent fortement : Stern les évalue à 85 dollars la tonne, contre seulement 8 dollars pour Nordhaus.
Conclusion
Le débat sur la soutenabilité, et en particulier sur le choix du taux d’actualisation, reflète une divergence fondamentale dans la manière d’envisager l’avenir de notre planète. D’un côté, la soutenabilité faible, avec des taux d’actualisation plus élevés, mise sur la capacité de l’humanité à innover et à compenser la dégradation du capital naturel par une accumulation de richesses matérielles. De l’autre, la soutenabilité forte prône la préservation stricte des ressources naturelles, considérant celles-ci comme irremplaçables.
À travers ces visions, ce n’est pas seulement une question de chiffres économiques, mais de valeurs fondamentales et de priorités pour les générations futures. Les choix faits aujourd’hui en matière de politique environnementale et économique détermineront non seulement la qualité de vie des générations à venir, mais aussi la survie des écosystèmes dont elles dépendent. Ainsi, le débat autour du taux d’actualisation pose une question clé : jusqu’où sommes-nous prêts à sacrifier le présent pour préserver l’avenir ?