Commerce international

Alors que les tensions commerciales s’intensifient et que les grandes économies peinent à retrouver leur élan, la stagnation séculaire refait surface dans les préoccupations mondiales. Cet article te propose un corrigé détaillé pour mieux comprendre ces débats actuels et savoir traiter ce type de sujet s’il tombe aux concours.

Définitions des termes du sujet

Commerce international : l’ensemble des biens, services et capitaux faisant l’objet d’un échange entre au moins deux pays.

Stagnation séculaire : état de croissance anémique qui paralyse les économies développées dans un état de croissance faible.

Introduction

Depuis les années 1970, dans les pays avancés, le taux de croissance annuel moyen ainsi que les gains de productivité n’ont de cesse de diminuer malgré quelques rebonds temporaires au gré des cycles économiques. À la suite de la crise de 2008, le spectre de la stagnation séculaire, longtemps oubliée, ressurgit notamment avec l’article de Robert Gordon (« Is U.S. growth over? », 2012).

Durant cette même période, les échanges de biens et services entre les pays, le commerce international, s’accroissent de manière spectaculaire : selon la CNUCED, entre 1982 et 2015, pendant que le PIB mondial a été multiplié par six, les exportations sont devenues 15 fois plus importantes.

Parmi les pays avancés, le cas de la France est emblématique. Selon l’Insee, son taux de croissance annuel moyen est d’environ 6 % de 1960 à 1969, puis de 4,1 % dans les années 1970, de 2,35 % et 2,02 % dans les deux dernières décennies du XXe siècle, puis de 1,46 % et 1,35 % dans les deux premières décennies du XXIe siècle. Ce déclin continu n’empêche pas la France de participer de plus en plus au commerce international : son taux d’ouverture passe d’environ 13 % au début des années 1960 à presque 28 % depuis le début du XXIe siècle. Cependant, depuis la crise de 2008, l’expansion du commerce international semble ralentir, dans la mesure où il ne progresse plus au même rythme que le PIB mondial.

Problématisation

Ces évolutions permettent-elles pour autant d’établir un lien entre le ralentissement de la croissance dans les pays avancés et les évolutions du commerce international ? L’intensité de ce dernier est-elle une réaction des pays avancés pour contrer l’inéluctable fin de la croissance, signe d’une économie soit à bout de souffle, soit arrivée à maturité ?

Plan détaillé

I) Le commerce international permet de repousser le spectre de la stagnation séculaire

A/ Les économistes montrent comment le commerce international favorise la croissance économique des pays capitalistes

Au début du XIXe siècle, l’économiste britannique David Ricardo, dans Des Principes de l’économie politique et de l’impôt (1817), est pessimiste quant à la pérennité de la croissance de la révolution industrielle et annonce une marche de l’économie vers un état stationnaire. La loi des rendements factoriels décroissants dans l’agriculture pousse inexorablement le prix du blé, donc les salaires de subsistance, à la hausse au détriment des profits de l’industrie capitaliste. Le tarissement progressif des profits freine l’accumulation du capital, la croissance économique ralentit et tend inéluctablement vers zéro. 

Toutefois, Ricardo montre comment le commerce international peut permettre à la Grande-Bretagne de retarder cette marche vers l’état stationnaire. En important du blé bon marché en provenance du continent européen ou bien des États-Unis d’Amérique, les salaires de subsistance pourront baisser et les profits capitalistes se redresser : la croissance sera relancée, au moins pour un temps.

Après la Seconde Guerre mondiale, le modèle de croissance proposé par Robert Solow (1956) illustre l’optimisme des néoclassiques quant aux vertus du commerce international. La participation à ce dernier rend possibles le développement et le rattrapage des économies en retard sur les pays les plus avancés. En effet, les pays qui émergent attirent les capitaux et connaissent des taux de croissance annuels moyens élevés. 

B/ Le commerce international stimule l’innovation, donc la croissance

Dans leur modèle de croissance néo-schumpétérien, Aghion et Howitt (Competition and Innovation: an Inverted-U Relationship, 2005) vantent les vertus de la concurrence, notamment celle engendrée par l’ouverture des économies nationales sur l’extérieur grâce à l’abandon des barrières douanières. En situation de concurrence, les entreprises sont obligées d’innover pour survivre afin d’abaisser leurs coûts de production.

De plus, sous le feu de la concurrence, les entreprises mettent en œuvre une division internationale de leur processus de production (DIPP). Par exemple, l’entreprise Renault implante des usines en Roumanie où elle crée et développe une nouvelle marque de véhicules low-cost (par exemple : Dacia), quitte à exporter ensuite les véhicules vers les consommateurs français ou les pièces détachées vers les usines d’assemblage dans un autre pays. Ainsi, l’aiguillon de la concurrence induit par le commerce international stimule l’innovation et retarde la stagnation séculaire.

Éloignés de la frontière technologique, les pays en développement qui mettent en œuvre une stratégie d’industrialisation par promotion des exportations comptent sur les transferts de technologie pour que leur production monte rapidement en gamme le long de la filière. Aghion, Bunel et Antonin dans Le Pouvoir de la destruction créatrice (2020) constatent en effet que la présence de firmes étrangères dans un pays en rattrapage accroît l’intensité des transferts technologiques. Ainsi, la Corée du Sud, dès les années 1960-1970, puis la Chine, à partir des années 1980-1990, ont attiré les IDE des FMN occidentales, ce qui leur a permis de bénéficier de transferts de technologie importants et in fine de connaître une croissance économique galopante.

Transition : Si indéniablement la participation croissante d’un pays au commerce extérieur peut lui permettre d’entretenir le dynamisme de ses activités productives, les « vents contraires » qui semblent ralentir inéluctablement la croissance économique finissent par freiner le commerce international, qu’il convient alors de repenser. 

II) Cependant, le commerce international peut accélérer le processus de stagnation séculaire

A) Le commerce international peut déprimer la demande en raison de la hausse de la concurrence

L’intensification des échanges internationaux depuis les années 1980 marque l’entrée dans un monde où la concurrence à l’échelle mondiale s’exacerbe. Pour survivre, les entreprises tentent de maîtriser au mieux leurs coûts de production, notamment les coûts salariaux. Comme l’explique Patrick Artus dans 40 ans d’austérité salariale : Comment en sortir ? (2020), l’ouverture croissante des économies et l’augmentation du nombre de pays émergents accentuent la concurrence entre les territoires et leur marché du travail. Le souci d’être compétitifs conduit les entreprises et les États des pays avancés à limiter les hausses des salaires. Cette déformation du partage de la valeur ajoutée crée en effet un déséquilibre macroéconomique croissant entre l’offre et la demande qui freine la croissance.

Selon François Lévêque, Les Entreprises hyperpuissantes (2021), nées du commerce international, utilisent leur pouvoir de marché pour freiner les innovations (notamment par le rachat des start-up) afin de protéger leur rente de situation. Elles participent ainsi à la stagnation séculaire via le ralentissement des gains de productivité. 

B/ Le commerce international peut être un générateur de crises 

Le commerce international peut accentuer la stagnation séculaire en amplifiant les crises économiques et en freinant la diversification des économies. La crise asiatique de 1997 illustre comment cette dynamique peut mener à une stagnation prolongée. La crise, exacerbée par l’interconnexion des économies, a conduit à des contractions durables du PIB dans les pays touchés. Par exemple, la Thaïlande a vu son PIB se contracter de 10,2 % en 1998 et n’a retrouvé son niveau précrise qu’en 2002, tandis que l’Indonésie a enregistré une récession de 13,1 % et a mis jusqu’en 2003 pour revenir à des niveaux de croissance précrise. Ainsi, le commerce international peut enfermer certains PED dans la spirale de la stagnation séculaire, d’autant plus qu’il leur impose souvent une spécialisation appauvrissante.

Selon A. Emmanuel, dans L’Échange inégal (1969), les économies de la périphérie intégrées au commerce mondial se concentrent souvent sur des secteurs de faible valeur ajoutée, les rendant vulnérables aux chocs économiques. Cette spécialisation excessive limite leur capacité à diversifier leurs économies et à investir dans des secteurs innovants. Par exemple, la dépendance du Venezuela à l’exportation de pétrole a conduit à un sous-investissement dans d’autres secteurs, réduisant ses perspectives de croissance durable et exacerbant la stagnation séculaire dans le pays.

III) La stagnation séculaire a aussi des implications sur le commerce international

A) La stagnation séculaire conduit irrémédiablement à un ralentissement du commerce international

Depuis le XVIIIe siècle, les économistes observent une corrélation positive entre croissance économique et commerce international. Ainsi, ce dernier semble être plus que proportionnel au PIB. C’est ce que montre Kenwood et Lougheed, qui explique qu’entre 1800 et 1914, le PIB a augmenté de 0,7 % par an par habitant, tandis que le commerce international a crû de 2,9 % par an par habitant. Cette tendance se confirme lors des phases de récession : l’OMC répertorie une baisse de 25 % du commerce international lors de la crise de 1929, de 12 % lors de celle de 2008 et de 5,3 % lors de celle de la Covid-19.

Dès lors, il semblerait que le commerce international soit inévitablement ralenti par la stagnation séculaire. En effet, en période de stagnation séculaire, la baisse de la croissance exacerbe les tensions commerciales, poussant les États et les entreprises à adopter des mesures protectionnistes, qui à leur tour aggravent la stagnation économique. En 2018, Donald Trump accélère cette tendance en remontant les tarifs douaniers sur de nombreux produits importés par les États-Unis, au grand désespoir de l’OMC. Aux taxes sur l’aluminium et l’acier en provenance de Chine, les Chinois ont répliqué par des taxes sur le soja importé des États-Unis.

Cette logique de représailles rappelle avec effroi la logique mortifère des années 1930, période pendant laquelle l’impossibilité de relancer durablement l’activité économique va de pair avec le recul du commerce international. Ainsi, le déclin du commerce international et la stagnation séculaire s’alimentent mutuellement, formant un cercle vicieux qui freine le développement économique mondial. 

B) La stagnation séculaire comme solution aux défis environnementaux actuels 

Si la stagnation séculaire a pour effet de ralentir le commerce international, ne faut-il pas souhaiter le maintien de cette stagnation séculaire à l’aune des nouveaux enjeux actuels ? En effet, en considérant les risques climatiques actuels, seule une diminution drastique des échanges, très polluants, entre les pays permettrait de limiter les effets néfastes du réchauffement climatique. Les économistes décroissantistes tels que Latouche ou Bihouix s’expriment ainsi en faveur de la stagnation séculaire et des conséquences que cela implique.

De façon moins radicale, les institutions internationales s’accordent en faveur d’une croissance plus inclusive et résiliente qui permettrait de réduire les dégâts environnementaux du commerce international. Cette idée est mise en lumière par Tim Jackson dans Prospérité sans croissance (2010), qui prône une opulence fondée sur le bien-être et la croissance verte. Ainsi il semblerait qu’il soit aujourd’hui primordial de lutter contre une libéralisation effrénée et de favoriser une croissance soutenable et réductrice des échanges polluants, qui seraient ainsi compatibles avec la stagnation séculaire.

Conclusion

Finalement, nous avons vu que le commerce international et la stagnation séculaire entretenaient des liens complexes. Si le commerce international semble capable de repousser, voire d’éviter la stagnation séculaire, cette dernière est de plus en plus évoquée dans le contexte climatique actuel, car elle a le pouvoir de ralentir les échanges. Dès lors, nous pouvons nous demander si le renoncement à la croissance et le recul du commerce international seraient bénéfiques pour le bien-être des populations à long terme, ou si, au contraire, les pays retomberaient dans des situations de pénuries et de conflits comme celles décrites par Angus Maddison (2001) durant la période préindustrielle.

Ouverture : Cependant, les techno-optimistes ainsi que les partisans de la post-croissance proposent un horizon moins anxiogène. Ils font confiance dans le génie humain pour imaginer et mettre au point les innovations soit techniques soit institutionnelles capables de renouveler les manières de produire, de consommer et d’échanger tout en préservant la qualité de l’environnement, condition indispensable au bien-être humain et à la survie de l’espèce.