crise financière

La récente chute des entreprises de la tech, marquée par des baisses en Bourse et des licenciements massifs, soulève des inquiétudes quant à une possible nouvelle crise financière. Cet article te propose un corrigé détaillé pour explorer la situation fragile des marchés financiers et pour se pencher sur les risques réels de cette menace sur l’économie.

Introduction

Le 3 septembre 2024, Nvidia a vu sa valeur boursière chuter de 9,5 %, ce qui constitue la plus forte baisse de valeur boursière jamais enregistrée par une entreprise américaine en une seule journée depuis la crise de 2008. La capitalisation boursière du géant de la technologie a chuté de 279 milliards de dollars dans le cadre d’un repli plus large du marché alimenté par les inquiétudes des investisseurs concernant l’avenir de la technologie de l’intelligence artificielle (IA).

Cet événement manifeste une certaine fébrilité financière et, pour nombre de commentateurs, possiblement un signe avant-coureur d’une prochaine crise financière. Mais comme le dit la blague, « les économistes ont prévu douze des trois dernières récessions », en parodiant la difficulté de prévoir les crises, notamment financières. Autant dire que l’anticipation de ces dernières est tout sauf aisée, mais vaut la peine de s’y essayer compte tenu de leurs effets en moyenne plus déstabilisateurs, plus graves et plus durables. 

Définitions des termes du sujet

Doit-on : invite à mesurer le risque de crise financière, à le justifier ou à l’infirmer 

Craindre : redouter, appréhender 

Nouvelle : peut avoir deux sens ici, à la fois la prochaine crise (la suivante dans l’ordre historique des crises financières) et une crise inédite, inhabituelle, originale 

Crise financière : crise qui bloque le système de financement de l’activité économique

Analyse du sujet

Le retour et la récurrence des crises financières sont deux des caractéristiques de la finance mondiale depuis les années 1980 : la très grave crise des subprimes qui s’est déclenchée en 2007 a entraîné l’économie mondiale dans une sérieuse récession. La crise de la zone euro entre 2010 et 2013 a, quant à elle, failli porter un coup fatal à la construction européenne. Sans compter la crise financière asiatique de 1997 qui a conduit à une récession régionale inédite.

Aujourd’hui, la forte hausse des dettes tant publiques que privées et les bulles spéculatives sur les marchés financiers laissent présager une potentielle crise financière. 

Problématisation

Pourquoi observe-t-on aujourd’hui un consensus croissant sur le risque d’une nouvelle crise financière à court ou moyen terme ? Dans quelle mesure les instruments de régulation conjoncturelle, mais aussi les régulations institutionnelles, pourraient-ils être pris en défaut ? 

Plan détaillé

I) Le risque de crise financière à court ou moyen terme semble aujourd’hui élevé

A) Des conditions macroéconomiques qui nourrissent l’incertitude financière

Tout d’abord, le retour de l’inflation après 15 ans de faible progression a placé les Banques centrales dans une situation délicate. Elles doivent trouver un équilibre entre ne pas retirer trop rapidement leur soutien à l’économie en phase de reprise et empêcher l’inflation de s’installer durablement.

De plus, la forte augmentation des dettes publiques dans les pays développés en raison des mesures de soutien liées à la pandémie de Covid-19 rend les États vulnérables. D’une part, ils ne peuvent se permettre de payer des taux d’intérêt trop élevés sans risquer d’alourdir leurs déficits, voire de compromettre la soutenabilité de leur dette pour certains. D’autre part, ils disposent de peu de marges de manœuvre budgétaires en cas de nouvelle crise.

Enfin, les tensions géopolitiques entre les États-Unis et la Chine d’un côté, et les États-Unis et la Russie de l’autre, pourraient déclencher une guerre des monnaies. Cependant, la faible présence du renminbi et du rouble sur les marchés des changes réduit ce risque.

B) Une finance toujours surdimensionnée

Selon P. Artus (Discipliner la finance, 2019), bien que la taille de la finance mondiale ait globalement diminué entre 2008 et 2017, elle demeure encore très élevée, atteignant 1 100 % du PIB mondial. Or, lorsque la taille augmente, les chocs financiers affectent davantage l’économie réelle.

Les valorisations exceptionnelles des Sept Magnifiques (GAFAM + Nvidia + Tesla) ont tiré les indices américains à la hausse en 2023, en particulier Nvidia (+ 239 %), Meta (+ 194 %) et Tesla (+ 102 %). Ils représentent à eux seuls près d’un quart de l’indice S&P 500, manifestant une très forte concentration (plus forte encore qu’au moment de la bulle internet). 

De plus, la dette mondiale avoisinait fin 2023 les 100 000 milliards de dollars, selon l’OCDE. La dette des gouvernements représente désormais près de 40 % de la dette mondiale totale, « soit la part la plus élevée depuis le milieu des années 1960 ». Cette hausse spectaculaire des dettes publiques, mais aussi des dettes privées, fait craindre le risque d’une nouvelle crise financière. 

C) Le risque de crise financière semble multiforme

Tout d’abord, une remontée trop rapide des taux d’intérêt pourrait provoquer une crise des dettes souveraines, particulièrement en zone euro, avec une réapparition des écarts de taux (spreads) entre les pays du nord et du sud. Un durcissement excessif des politiques monétaires pourrait en être la cause.

En outre, une crise boursière pourrait se dessiner si les GAFAM ne parviennent pas à maintenir la même croissance qu’ils ont connue durant la pandémie. Ce qui pourrait impacter négativement les marchés financiers.

Enfin, les cryptomonnaies, en tant qu’actifs très risqués et volatils, présentent un risque de krach significatif. Depuis novembre 2021, le bitcoin a perdu 50 %, et cette corrélation croissante des cryptomonnaies avec les marchés financiers traditionnels amplifie les risques de turbulences.

II) Les régulations financière et bancaire, depuis 2008, ont cherché à tirer les leçons des crises passées et ont mis en place des instruments de surveillance pour éviter la panique et faire face aux risques financiers

A) La reréglementation financière post-2008

Aux États-Unis, la loi Dodd-Frank, adoptée en 2010, a introduit des mesures telles que des exigences accrues en matière de capital pour les banques, la création du Bureau de la protection financière des consommateurs et la régulation des produits dérivés.

De plus, le Shadow Banking System (SBS) a aussi été l’objet de régulations. Le rapport du Conseil de stabilité financière (CSF) estime le poids de ce secteur à 45 000 milliards de dollars en 2018, soit 13 % des actifs financiers mondiaux. Ce qui pourrait générer une crise financière sans précédent. Face à ce système en pleine expansion, plusieurs mesures ont été proposées pour contrôler le SBS. Par exemple, les banques devront garder 5 % des crédits titrisés à leur bilan, conservant ainsi une partie des risques.

B) La reréglementation bancaire post-2008

Au niveau national, la France réforme son système bancaire en isolant dans une filiale autonome les activités les plus spéculatives des banques (produits dérivés, matières premières, trading à haute fréquence). Pour leur part, les États-Unis mettent en place la règle Volcker en 2014, qui interdit aux banques de faire du trading pour elles-mêmes. Ensuite, le Royaume-Uni passe la loi Vickers en 2019, qui impose aux banques d’isoler leurs activités de crédit dans une filiale cloisonnée afin de les protéger.

À l’échelle européenne, une véritable Union bancaire est créée en 2012. Cette dernière met en place un mécanisme de surveillance unique (MSU) et un mécanisme de résolution unique (MRU) qui permettent à la BCE, via ses succursales nationales, de superviser l’activité des banques (stress tests, respect des ratios de fonds propres et de liquidités, taux de créances douteuses) et de voler rapidement à leur secours en cas de difficulté.

Enfin, au niveau mondial, les accords de Bâle III (2010) ajoutent un ratio de liquidité et préconisent la séparation des activités de crédit et des activités sur les marchés financiers. Cette dernière mesure ne consiste pas cependant à rétablir le Glass-Steagall Act qui, aux États-Unis, a imposé une séparation des activités de dépôt et des activités d’investissement entre 1933 et 1999.

C) Mais une mise en œuvre lente, partiellement remise en cause et incomplète

Tout d’abord, la lenteur dans la mise en œuvre des réformes est un problème notable. Certaines dispositions des accords de Bâle III, qui devaient initialement entrer en vigueur en 2023, ont finalement été reportées. Cette lenteur dans l’application des normes peut ralentir le renforcement de la résilience des institutions financières à l’échelle mondiale.

La remise en cause de la loi Dodd-Frank par l’administration Trump à partir de 2018 a également eu un impact significatif. Le relèvement des seuils de taille de bilan a permis à certaines banques de se soustraire à des ratios prudentiels stricts. En 2019, les exigences en matière de fonds propres et de liquidités ont été réduites pour les banques de taille moyenne, et la règle Volcker a été assouplie. Le report de l’application complète des mesures prudentielles de Bâle III peut aussi être perçu comme une forme de remise en cause de la régulation financière renforcée.

L’incomplétude de la régulation est également un point critique. Selon J. Couppey-Soubeyran (« Les banques européennes à l’épreuve de la crise du Covid-19 », 2020), le cadre de résilience des banques européennes n’était pas conçu pour affronter un choc de l’ampleur de la récession causée par la pandémie de Covid-19. En d’autres termes, les mesures de régulation s’avèrent insuffisantes pour résister à des crises majeures, et les banques restent exposées à des risques de liquidité et de solvabilité par divers biais.

III) Le risque de crise financière est pour le moins complexe à évaluer, les mécanismes et les effets le sont moins, si bien qu’il est difficile de ne pas craindre une nouvelle crise financière

A) La présence de plusieurs risques ne suffit pas à déclencher une crise

Selon la Banque de France, plusieurs facteurs favorables ont contribué à une certaine stabilité en France. En décembre 2021, le crédit était dynamique et peu coûteux, la situation des entreprises non financières s’était stabilisée par rapport au second semestre 2021, et bien que les ménages aient un niveau d’endettement élevé, leur situation était également moins incertaine. La solvabilité des banques et des assurances semblait solide, tout comme la liquidité des banques.

En outre, la prudence de la Banque centrale européenne (BCE) concernant la normalisation de sa politique monétaire témoigne d’une approche attentive aux risques financiers potentiels.

La théorie des marchés efficients, défendue par E. Fama (Efficient Capital Markets, 1970), affirme que les « corrections » des marchés financiers sont des signes de leur bon fonctionnement et qu’on ne doit pas les redouter. Selon cette théorie, les marchés ajustent leurs prix pour refléter les informations disponibles et considèrent les fluctuations comme des mécanismes normaux et nécessaires.

B) Mais le même processus conduisant aux crises financières se reproduit

Les phases d’une crise financière, selon Kindleberger, sont l’essor, l’euphorie, le retournement, le reflux et le pessimisme. Ce cycle décrit comment les crises financières se développent et évoluent à travers des phases de croissance excessive suivies de déclin et de dépression.

L’économie expérimentale met en évidence plusieurs biais comportementaux qui contribuent aux crises financières. La « myopie au désastre », comme le décrivent Guttentag et Herring (Disaster Myopia in International Banking, 1986), se manifeste par une sous-estimation systématique des risques de défaut des débiteurs. De plus, le « paradoxe de la tranquillité » de Minsky (1986) explique que les périodes de calme économique peuvent conduire à une prise de risque accrue, préparant ainsi le terrain pour une crise future.

Enfin, J. M. Keynes (La théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, 1936) décrit la formation de bulles spéculatives irrationnelles qui conduisent à une crise financière. En effet, les agents ne cherchent pas à calculer par eux-mêmes et suivent aveuglément les actions des animal spirits sans prendre en compte les déterminants économiques fondamentaux.

C) La prochaine crise financière mérite d’être redoutée

Les crises financières produisent des effets plus graves et durables que les autres types de crises. Selon Reinhart et Rogoff (Cette fois, c’est différent, 2010), les crises financières ont tendance à entraîner des répercussions économiques prolongées. L’exemple de la crise des subprimes illustre bien cette dynamique. Ces crises sont souvent autoréalisatrices, comme l’a noté Obstfeld en 1994, ce qui signifie qu’elles peuvent s’aggraver d’elles-mêmes en amplifiant les tensions économiques.

L’origine de la crise pourrait également être originale. La Banque de France met en garde contre les effets déstabilisateurs potentiels des cyberattaques. En janvier 2022, Emmanuelle Assouan, directrice générale déléguée en charge du pôle de la stabilité financière, a qualifié ces cyberattaques de menaces « systémiques » et a estimé leur impact potentiel à environ 1 % du PIB mondial.

Enfin, les États peinent à coordonner une réponse efficace face à une crise en raison des conditions macroéconomiques actuelles peu favorables. Le lien entre les banques et les marchés financiers demeure solide, et les banques systémiques continuent d’exister, ce qui complique la gestion d’une crise potentielle.

Conclusion

La prochaine crise financière, qu’elle soit à court ou moyen terme, présente des risques majeurs pour l’économie mondiale en raison de la globalisation de la finance, qui permet une propagation rapide des chocs financiers. L’impact de la crise dépendra de la capacité des économies à se rétablir et des États à normaliser leurs politiques budgétaires.

Cependant, le changement climatique et la transition énergétique sont des facteurs de risque de plus en plus pressants. Leur impact potentiel pourrait aggraver les crises financières futures en raison des coûts élevés et des déséquilibres économiques qu’ils engendrent. Ainsi, ces enjeux pourraient être le facteur le plus certain et lourd d’une future crise financière à l’échelle mondiale.