Inflation

Alors que les prix grimpent et que les économies oscillent entre expansion et récession, la relation entre inflation et croissance économique est au cœur des préoccupations mondiales. Cet article te propose un corrigé détaillé pour mieux comprendre ces débats actuels et savoir traiter ce type de sujet s’il tombe aux concours.

Définitions des termes du sujet

Inflation : perte du pouvoir d’achat de la monnaie qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix (Insee).

Croissance économique : augmentation soutenue pendant une ou plusieurs longues périodes d’un indicateur de dimension ; pour une nation : le produit global brut ou net en termes réels (F. Perroux, L’Économie du XXe siècle, 1961).

Analyse du sujet

À première vue, il semble difficile de nier l’existence d’une corrélation positive entre la croissance économique et l’inflation. Le XXe siècle, marqué par une tendance inflationniste, a en moyenne connu une accélération de la croissance, comparé au XIXe siècle caractérisé par une plus grande stabilité des prix. De même, selon les cycles de Kondratiev, les phases de croissance accélérée (phases A) s’accompagnent souvent d’une augmentation des prix. Cela pourrait suggérer l’existence d’une relation de causalité réciproque entre ces deux variables.

Cependant, en y regardant de plus près, notamment en observant le XXe siècle, on constate que les configurations sont en réalité très diverses. Par exemple, la période d’après-guerre a été marquée par une inflation forte couplée à une croissance modérée, tandis que les années 1930 ont connu une déflation. Les Trente Glorieuses ont vu une forte croissance accompagnée d’une inflation modérée, mais les années 1970 ont été caractérisées par une inflation galopante et un ralentissement de la croissance. Depuis, la désinflation a coexisté avec une reprise de la croissance dans certains pays, mais pas tous.

Ainsi la croissance économique tend à alimenter une inflation qui peut à son tour stimuler la croissance. Mais l’inflation peut aussi se révéler un facteur de ralentissement d’une croissance qui entretient en fait avec elle des relations distendues et fortement dépendantes du cadre historique.

Problématisation

Dans quelle mesure la croissance économique et l’inflation sont-elles réellement corrélées ? Plutôt que d’une relation de causalité directe, les périodes de croissance économique et d’inflation ne seraient-elles pas influencées par le contexte économique et social ?

Plan détaillé

I) La croissance économique tend à alimenter une inflation qui peut à son tour stimuler la croissance

A) La croissance peut alimenter l’inflation

Tout d’abord, la croissance entraîne des tensions sur les marchés des facteurs de production, notamment sur le marché du travail, provoquant une inflation par les coûts, comme illustré par la courbe de Phillips. Par exemple, la forte croissance des Trente Glorieuses a conduit à une pénurie de main-d’œuvre, poussant les salaires à la hausse, tout en créant des tensions sur le marché des biens d’équipement.

Ensuite, la croissance génère de l’inflation en exerçant une pression sur le marché des biens et services : une demande accrue, combinée à la hausse des salaires, entraîne une augmentation des prix, notamment dans les secteurs où des goulets d’étranglement existent.

La croissance peut aussi alimenter l’inflation en accélérant la concentration industrielle (comme lors des Trente Glorieuses), ce qui diminue la concurrence par les prix et rend plus facile l’augmentation des prix par les entreprises.

B) L’inflation peut stimuler la croissance

L’inflation peut encourager la consommation, car l’illusion monétaire peut amener les individus à se croire plus riches et à dépenser davantage. De plus, la perspective de futures hausses de prix incite à acheter rapidement, tout en décourageant l’épargne. Par ailleurs, l’inflation réduit le coût réel des crédits à la consommation en abaissant les taux d’intérêt réels.

L’inflation est aussi favorable à l’investissement, car elle augmente les profits anticipés et réduit le coût réel de la dette, ce qui peut encourager les entreprises à s’endetter pour améliorer leur rentabilité financière. L’inflation peut aussi favoriser l’innovation en facilitant le financement des efforts de recherche des entreprises, leur permettant ainsi de bénéficier d’une rente de monopole, comme l’a expliqué Schumpeter.

Enfin, l’inflation redistribue les revenus en faveur des producteurs et au détriment des rentiers, favorisant ainsi la croissance. Par exemple, après les guerres, l’inflation a permis aux États de financer les reconstructions nécessaires à la forte croissance des Trente Glorieuses, en France notamment.

II) Mais l’inflation peut aussi se révéler un facteur de ralentissement de la croissance qui entretient des relations distendues avec l’inflation et fortement dépendantes du contexte

A) L’inflation : un facteur de ralentissement de la croissance

Déjà, l’inflation peut empêcher la monnaie de remplir ses fonctions de mesure et de conservation de la valeur, créant ainsi des incertitudes et compliquant les calculs économiques, comme l’ont souligné Friedman et d’autres économistes libéraux. Lorsque l’inflation devient trop forte, elle risque de provoquer un renversement de la conjoncture, passant d’un effet de levier à un effet massue, comme l’a expliqué I. Fisher dans The Debt-Deflation Theory of Great Depressions (1933).

Ensuite, l’inflation peut nuire au niveau et à l’efficacité des investissements. En freinant l’épargne nécessaire à l’investissement, elle peut pousser les épargnants à consommer ou à placer leur argent dans des pays plus stables, favorisant ainsi un « court-termisme » peu propice à la croissance.

De plus, l’inflation peut entraîner une redistribution inéquitable des revenus. En effet, elle permet à certains acteurs de capter de manière indue une part disproportionnée de la richesse créée, en perturbant les mécanismes de marché. Cette situation s’est manifestée de manière particulièrement marquée durant les années 1970, lorsque des anticipations inflationnistes autoréalisatrices ont provoqué des excès. Pendant cette période, l’inflation a conduit à une redistribution des revenus qui était non seulement défavorable à une croissance équilibrée, mais qui a également généré des tensions sociales.

Enfin, l’inflation peut peser sur l’équilibre extérieur en dégradant le solde commercial et en provoquant des sorties de capitaux, sans que les mouvements de taux de change puissent toujours compenser ces effets.

B) Des relations distendues et fortement dépendantes du contexte

Les relations entre l’inflation et la croissance économique peuvent être complexes. Dans l’analyse néoclassique, l’inflation due à une création monétaire excessive apparaît comme neutre et n’affecte pas les variables réelles. Même en rejetant cette vision, il est clair que l’inflation est souvent le signe de tensions économiques pouvant être liées à la croissance (comme durant les Trente Glorieuses) ou à des chocs exogènes (comme les crises pétrolières).

De plus, ces liens sont fortement influencés par le contexte structurel. Par exemple, au XIXe siècle, sous un régime de régulation concurrentielle avec une forte concurrence et l’étalon-or, l’absence d’inflation durable s’est souvent faite au prix d’une croissance plus lente.

Pendant les Trente Glorieuses, la situation a évolué : la concurrence par les prix a diminué, tandis que les négociations collectives et le compromis fordiste, fondé sur des hausses de salaire, dominaient. Cette période a vu une forte croissance qui a, à son tour, alimenté l’inflation, renforçant ainsi la croissance, notamment en raison de l’illusion monétaire qui influençait les agents économiques, comme l’a souligné Friedman dans Inflation et systèmes monétaires (1969).

Les années 1980 ont marqué un tournant avec une croissance sans inflation. La mondialisation a accentué la concurrence par les prix et les interdépendances économiques. Les agents, moins sensibles à l’illusion monétaire, ont vu l’inflation perdre son rôle de redistribution cachée. La régulation concurrentielle a donc refait surface. L’exemple des États-Unis dans les années 1990 montre qu’une croissance soutenue sans inflation est possible, mais sa généralisation reste incertaine.

III) L’inflation comme opportunité pour repenser la croissance économique

A) L’inflation comme catalyseur de l’innovation technologique

Contrairement à l’idée reçue que l’inflation est toujours un frein, elle peut en réalité jouer un rôle de catalyseur pour l’innovation et favoriser l’émergence d’une croissance verte. La croissance verte repose sur l’idée que le progrès technologique peut permettre de découpler la croissance économique de ses effets négatifs sur l’environnement, comme l’explique J. Rifkin dans La Troisième révolution industrielle (2011).

L’inflation, en augmentant les coûts de production des biens et services traditionnels, peut rendre les technologies vertes, souvent plus coûteuses à court terme, plus compétitives. Cette dynamique pousse les entreprises à investir dans la recherche et le développement pour améliorer l’efficacité énergétique et réduire les coûts de production des technologies durables. Par ailleurs, l’inflation peut inciter les gouvernements à adopter des politiques de soutien à l’innovation, telles que des subventions ou des crédits d’impôt pour la R&D, afin de maintenir la compétitivité des industries locales dans un contexte de hausse des prix.

Cependant, cette transition technologique n’est pas sans défis. L’inflation peut aussi entraîner des anticipations d’augmentation des coûts futurs, ce qui pourrait décourager certains investissements à long terme. C’est pourquoi il est essentiel que les politiques économiques stabilisent ces anticipations en garantissant un cadre macroéconomique où les entreprises sont incitées à investir dans des technologies vertes plutôt que de chercher à maintenir des marges bénéficiaires en réduisant les coûts par des méthodes non durables.

B) L’inflation au service d’une transition vers un modèle soutenable : la post-croissance

La post-croissance propose une vision plus radicale où l’inflation est utilisée comme un outil pour réduire la dépendance à la croissance économique traditionnelle et favoriser une transition vers des modes de production et de consommation plus durables.

L’inflation, en réduisant la valeur réelle de la dette publique, permet aux États de s’endetter davantage pour financer des investissements écologiques de grande ampleur. Ces investissements sont essentiels pour restructurer les systèmes productifs et adapter les infrastructures aux exigences d’une économie durable. Par exemple, des projets de transport public, de rénovation énergétique des bâtiments, ou de développement des énergies renouvelables nécessitent des dépenses publiques importantes, que l’inflation pourrait rendre plus supportables en allégeant le poids des dettes passées.

De plus, une hausse des prix des ressources naturelles plus rapide que celle des salaires peut inciter les ménages à réduire leur consommation. Cette baisse du pouvoir d’achat incite à adopter des comportements de consommation plus sobres et durables, essentiels pour réduire l’empreinte écologique. Dans ce contexte, l’inflation devient un mécanisme de régulation qui pousse la société à repenser ses priorités, en valorisant davantage la durabilité que la croissance matérielle continue.

Cependant, pour que cette dynamique ne mène pas à une précarisation des plus vulnérables, il est crucial de renforcer les politiques de redistribution et de protection sociale. L’augmentation des impôts, rendue plus acceptable par une inflation modérée, pourrait financer ces politiques de redistribution, permettant ainsi de maintenir un niveau de vie décent pour tous, tout en réorientant la société vers une consommation et une production plus responsables.

Conclusion

Il n’existe ni une relation suffisante ni une relation nécessaire entre l’inflation et la croissance. Les structures historiques et le contexte économique de chaque période influencent largement les corrélations et causalités observées. Ces considérations ont des implications importantes pour une éventuelle relance des pays européens. Une inflation modérée semble souhaitable, mais toute dérive inflationniste pourrait être destructrice. Aujourd’hui, l’inflation s’est déplacée vers les actifs financiers et immobiliers, tandis que les biens et services de consommation connaissent une désinflation, marquant un nouveau chapitre dans l’évolution des relations entre inflation et croissance.