Dans un monde où les frontières s’effacent et où les échanges traversent les continents, la tension entre mondialisation et États-nations est plus manifeste que jamais. Cet article te propose un corrigé détaillé pour explorer la problématique de la perte de souveraineté des États-nations face aux forces de la mondialisation, afin de mieux comprendre ces débats actuels et d’apprendre à traiter ce type de sujet de manière structurée.
Définitions des termes du sujet
Mondialisation : ensemble des processus conduisant à l’émergence de marchés mondiaux de biens et services, de capitaux financiers et de facteurs de production.
État-nation : pouvoir central qui cherche à unifier le territoire en cimentant les liens qui unissent les citoyens par des politiques publiques spécifiques concernant l’éducation, la santé, la culture, l’armée, l’économie…
Analyse du sujet
La crise de l’État-nation du fait de la mondialisation nécessite une réflexion sur les limites des politiques mises en œuvre à l’échelle nationale. En effet, la mondialisation apparaît comme un processus qui remet en question l’efficacité de l’intervention de l’État à l’échelle de la nation. De même, la tendance à la décentralisation et à la déconcentration des pouvoirs remet en question les pouvoirs de l’État-nation.
Non seulement les processus de mondialisation économique et financière limitent les marges de manœuvre de l’État-nation, mais aussi la dimension mondiale des problèmes environnementaux rend inefficaces les politiques à l’échelle uniquement nationale. D’où la nécessité d’une coopération accrue entre les États-nations pour céder la place à une gouvernance mondiale. Mais la multiplication des crises et des tensions internationales qui les accompagnent va-t-elle marquer le « retour » de l’État-nation ?
Problématisation
Comment les États-nations peuvent-ils réguler ou infléchir les processus de mondialisation afin d’en atténuer les inconvénients sans pour autant perdre les effets bénéfiques de l’intégration des économies ? Les processus de mondialisation restent-ils sous le contrôle des États-nations ou s’autonomisent-ils jusqu’à dissoudre les États-nations ?
Plan détaillé
I) La mondialisation est voulue et organisée par les États-nations, car elle stimule l’activité économique interne, crée des emplois et augmente le niveau de vie et de satisfaction des consommateurs
A) Historiquement, ce sont les États-nations qui ont intensifié la mondialisation à travers de nombreux accords
Avant même le XIXe siècle, les États-nations ont joué un rôle déterminant dans l’intensification de la mondialisation. En effet, le traité Eden-Rayneval, signé en 1786 entre la France et l’Angleterre, est un exemple précoce qui démontre la volonté des États-nations d’organiser et de réguler les échanges commerciaux internationaux.
Au milieu du XIXe siècle, des décisions politiques majeures ont facilité l’ouverture des marchés nationaux et renforcé la mondialisation. L’abolition des Corn Laws en 1846 et du Navigation Act en 1849 par le Royaume-Uni illustre ce mouvement progressif vers la libéralisation des relations commerciales internationales, montrant ainsi le rôle central des États-nations dans ce processus. Les accords Cobden-Chevalier de 1860 représentent un jalon crucial dans la mondialisation en introduisant la clause de la nation la plus favorisée. Cet accord a illustré l’engagement des États-nations à promouvoir la libéralisation des échanges en Europe.
Cependant, il a fallu attendre la seconde moitié du XXe siècle pour que les États-nations, par le biais du multilatéralisme, renforcent véritablement l’hégémonie du libre-échange à l’échelle mondiale. Comme l’indique P. Bairoch dans Mythes et paradoxes de l’histoire économique (1994) : au XIXe siècle, « le libre-échange est l’exception, le protectionnisme la règle ». Ce n’est qu’avec les accords du GATT en 1947 que les bases d’un système commercial multilatéral ont été posées, réduisant progressivement les barrières protectionnistes.
Grâce à cette institutionnalisation progressive du libre-échange, initiée et orchestrée par les États-nations, le commerce international a progressé plus vite que le PIB mondial entre 1947 et 2009, avec un pic de croissance annuelle moyenne de 7,5 % durant les Trente Glorieuses. Parallèlement, les droits de douane moyens sur la production industrielle sont passés de plus de 40 % en 1947 à moins de 4 % en 1995, lors de la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
B) Les États-nations ont joué un rôle clé dans le développement des FMN
Dès le XIXe siècle, sous l’impulsion de l’État, les entreprises nationales britanniques et françaises, puis allemandes, peuvent conquérir de nouveaux marchés et assurer leur approvisionnement en matières premières en toute sécurité dans les colonies.
Le rôle des États-nations a été crucial dans la mondialisation en favorisant l’essor des FMN. En effet, ils ont essayé de créer un environnement propice à l’innovation et à l’expansion internationale de leurs entreprises nationales (système de brevets, subvention de la R&D, création de pôles de compétitivité…). Par exemple, Aghion et Howitt, dans The Economics of Growth (2009), montrent que les GAFAM ont connu une croissance fulgurante en particulier grâce aux subventions et aux incitations fiscales accordées par le gouvernement américain pendant les années 2000.
Les États-nations émergents ont également réussi à s’intégrer à la mondialisation en soutenant leurs FMN. Par exemple, à partir des années 1980, la Chine a mis en place des zones économiques spéciales (ZES) sous la direction de Deng Xiaoping, attirant les investissements étrangers et encourageant les exportations, ce qui a permis aux entreprises chinoises de croître rapidement. Grâce à ce soutien étatique, la Chine a fait émerger les BATX, qui sont aujourd’hui au cœur de la mondialisation.
C) Les États-nations ont intensifié la mondialisation, car elle bénéficie à leurs citoyens
Les États-nations ont accéléré le processus de mondialisation, car elle offre des avantages significatifs pour leurs consommateurs. En favorisant la mondialisation, les gouvernements permettent aux consommateurs d’accéder à une plus grande variété de produits à des prix plus compétitifs. Selon les principes économiques libéraux classiques (Adam Smith, David Ricardo) et néoclassiques, la spécialisation et l’échange international permettent aux pays de produire plus efficacement, réduisant les coûts de production et augmentant la disponibilité des biens.
Cette concurrence internationale entraîne une baisse des prix, augmentant ainsi le surplus du consommateur, qui est la différence entre ce que les consommateurs sont prêts à payer et ce qu’ils paient réellement. La mondialisation accroît également le surplus du producteur, c’est-à-dire la différence entre le prix de vente minimal acceptable pour les producteurs et le prix de marché, en ouvrant de nouveaux marchés et en permettant des économies d’échelle. En conséquence, le surplus global (la somme des surplus du consommateur et du producteur) s’accroît, améliorant le bien-être économique général.
II) Mais la mondialisation remet en question la souveraineté des États-nations en leur imposant des contraintes
A) Les politiques économiques des États-nations sont limitées à cause de la mondialisation
Dans une économie mondialisée, le multiplicateur keynésien est réduit : il passe de 1/(1-c) à 1/(1-c+m), avec c la propension à consommer et m la propension à importer. Ainsi, les politiques budgétaires expansives deviennent inefficaces à l’échelle nationale, comme l’illustre l’échec de la relance Mauroy en 1981.
De plus, F. Lévêque (Les Entreprises hyperpuissantes, 2021) explique que pour conforter leur pouvoir de marché, ces FMN n’hésitent pas à dépenser des milliards en lobbying. Grâce à leur puissance financière et à l’impact de leurs activités sur les États-nations, les entreprises hyperpuissantes détiennent un pouvoir politique au service de leurs intérêts jusqu’à enclencher un « cercle vicieux des Médicis ».
Par exemple, en novembre 2023, la Commission européenne a autorisé l’utilisation du glyphosate jusqu’en 2033 grâce à la pression des lobbys agricoles, alors que de nombreuses études scientifiques montrent ses dangers sur la santé et l’environnement.
Les États-nations sont aussi soumis aux principes contraignants des institutions multilatérales comme l’OMC pour maintenir le processus de mondialisation (clause de la nation la plus favorisée, règle de consolidation, principe de non-discrimination…).
B) Dans le cadre d’une économie mondialisée, les marchés financiers réduisent les marges de manœuvre des États-nations
Avec la mondialisation, le recours de plus en plus important des États aux capitaux internationaux peut permettre de « discipliner » les politiques budgétaires par leur mise en concurrence via les taux d’intérêt fixés par les marchés sur chaque dette nationale.
Ainsi, dans son ouvrage La Tyrannie des marchés, H. Bourguinat montrait que l’endettement des États-nations sur les marchés financiers revenait à rendre toute mise en œuvre de politique économique à l’approbation des marchés (afin de conserver la qualité des notations boursières et la faiblesse des taux de financement). Cela est particulièrement vrai pour la France puisqu’en 2023, 51,4 % de la dette française était détenue par des agents étrangers.
Dans ce cadre, une uniformisation des règles budgétaires et monétaires se produit nécessairement par le jeu du marché, et l’intervention de l’État en est réduite au rôle de gestionnaire et à ses fonctions régaliennes, plutôt qu’à un véritable rôle décisionnaire.
C) La mondialisation met les États-nations sous pression
Pour gagner en compétitivité, les États-nations se lancent dans une course au moins-disant social, ce qui favorise un alignement par le bas, remettant en cause leur système de protection sociale. Par exemple en Allemagne, les réformes Hartz de 2003 à 2005 avaient pour objectif de limiter la hausse du coût du travail, mais ont généré en contrepartie la précarisation de l’emploi et l’essor des mini-jobs.
Par ailleurs, pour attirer les FMN, les États-nations se lancent aussi dans une course au moins-disant fiscal qui limite sensiblement la capacité d’intervention des États, que ce soit dans leur financement structurel d’infrastructures et autres biens publics (constitutif d’un bon développement). Exemple de l’Irlande : la taxation sur les sociétés est d’environ 12,5 %, contre 20 % en moyenne en Europe. Pour M. Aglietta (Zone euro : éclatement ou fédération , 2012), viser la compétitivité par le rognage des recettes de l’État (fiscalité) est un « passeport pour la ruine ».
La mondialisation donne donc un pouvoir exorbitant aux FMN leur permettant de rivaliser avec les États-nations, jusqu’à leur intenter des procès. Par exemple, en 2012, la firme Occidental Petroleum a fait condamner l’Équateur à lui verser une indemnité de 1,3 milliard de dollars pour avoir annulé son contrat d’exploitation de ressources afin de préserver la biodiversité de son territoire !
III) Les États-nations peuvent devenir les fers de lance d’une mondialisation plus encadrée qui répond aux enjeux du XXIe siècle
A) La réhabilitation de l’intervention des États-nations dans la mondialisation par les politiques industrielles
Dans Mission économie (2022), Mariana Mazzucato montre comment les États-nations peuvent infléchir le processus de mondialisation grâce à des politiques industrielles structurelles. Elle donne l’exemple de l’État américain avec la NASA dans les années 1960, qui a mené à bien le projet Apollo. Ce projet ambitieux et coûteux a généré des retombées significatives dans des domaines variés tels que la médecine (défibrillateur), l’industrie (panneaux solaires) et les produits de consommation (appareils sans fil). Cet exemple montre donc comment les États peuvent stimuler la recherche fondamentale et l’innovation, favorisant ainsi l’émergence de produits socialement utiles, répondant aux enjeux du XXIe siècle.
Selon Bensidoun et Grjebine (L’Économie mondiale 2024, CEPII, 2023), l’IRA impulsé par Joe Biden en 2022 dessine les contours d’un « nouveau consensus de Washington », qui se caractérise par le retour au premier plan des États-nations et de leurs politiques industrielles verticales, c’est-à-dire qui orientent l’activité économique dans des directions jugées politiquement souhaitables. Ce nouveau consensus de Washington marque la fin de la mondialisation libérale des années 1980 jusqu’à la crise de 2008 et laisse la place à une mondialisation plus encadrée.
B) Les États-nations induisent une reconfiguration de la mondialisation pour renforcer leur souveraineté et favoriser la transition écologique
Dans La Souveraineté économique à l’épreuve de la mondialisation (2023), Sarah Guillou défend l’idée qu’entre les utopies du patriotisme économique protectionniste d’un côté et l’hypermondialisation libérale de l’autre, il existe un chemin de crête étroit et spécifique à chaque nation dans lequel le jeu des alliances stratégiques est indispensable.
Avec la montée des tensions géopolitiques (guerre en Ukraine et au Proche-Orient, menaces sur Taïwan), les États-nations induisent une recomposition de la mondialisation avec les politiques de « friendshoring » (entre pays amis). Le friendshoring pousse les États à localiser ou à relocaliser des productions jugées stratégiques, c’est-à-dire essentielles pour garantir la sécurité du pays ou nécessaires pour développer les technologies indispensables à la réussite de la transition écologique.
Par ailleurs, Sébastien Jean, Philippe Martin et André Sapir (Avis de tempête sur le commerce international : quelle stratégie pour l’Europe ?, 2018) considèrent que les États membres de l’UE, lorsqu’ils négocient un accord commercial régional avec des pays tiers, devraient introduire une clause obligatoire concernant le respect des accords de Paris sur le climat et l’engagement des pays signataires au projet BEPS lancé en 2014 par l’OCDE pour lutter contre les stratégies d’optimisation fiscale pratiquées à l’excès par les FMN. Cela permettrait aux États-nations de promouvoir une mondialisation plus encadrée qui respecte les enjeux sociaux et environnementaux d’aujourd’hui.
C’est dans le même esprit que, fin 2023, les États membres de l’UE adoptent le principe de la mise en place d’une taxe carbone aux frontières (MACF) qui doit s’appliquer aux importations de produits issus d’industries polluantes qui ne respectent pas les normes environnementales européennes.
C) Les États-nations ont la capacité de réguler les acteurs de la mondialisation
Pour contrer les effets potentiellement déstabilisateurs de la mondialisation sur le système financier, les États-nations ont mis en place des régulations spécifiques. Par exemple, les accords de Bâle III en 2010 ont introduit un renforcement du niveau et de la qualité des fonds propres et une gestion accrue de leur risque de liquidité. Par ces accords, les États-nations tentent de limiter les crises causées par la mondialisation financière. De même, la règle Volcker aux États-Unis (2014) et la loi Vickers au Royaume-Uni illustrent l’effort des États-nations pour contrôler les activités spéculatives et limiter les répercussions de la mondialisation financière.
Les États-nations interviennent également de manière déterminante dans la régulation des FMN pour contrer les dérives de la mondialisation. L’Union européenne, par exemple, a mis en place le Digital Markets Act en 2022 pour imposer des obligations aux géants du numérique afin de protéger les droits des consommateurs et encourager la concurrence. Cette législation reflète l’engagement des États à réguler les puissants acteurs de la mondialisation pour garantir un environnement économique plus sain.
Enfin, en octobre 2021, plus de 130 pays, qui représentent plus de 90 % du PIB mondial, se sont accordés pour fixer un impôt minimum de 15 % pour les multinationales. Cet « accord historique », selon l’OCDE, démontre la capacité des États-nations à réguler les pratiques fiscales des multinationales. En limitant l’évasion fiscale et en augmentant les recettes fiscales des États-nations, cet accord illustre la coopération internationale pour instaurer une mondialisation plus équitable.