protectionnisme

Cet article aborde de manière transversale des notions de deuxième année, en combinant les chapitres sur la mondialisation et l’Europe.

Définitions des termes du sujet

Protectionnisme : politique commerciale visant à empêcher ou à limiter les importations de biens et de services.

Européen : on s’intéressera uniquement au cas d’un protectionnisme à l’échelle de l’Union européenne et des implications vis-à-vis de ses alliés.

Analyse du sujet

Le problème soulevé par le sujet venait à mon avis de la dialectique suivante : le protectionnisme aurait probablement le plus d’intérêt au niveau national, car c’est la concurrence européenne qui est la plus préjudiciable aujourd’hui, mais c’est au niveau européen qu’il aurait ses effets les plus favorables ou les moins nocifs, car cette échelle de protectionnisme permet de combiner les avantages du libre-échange (intrazone) et de la protection (interzone).

La distinction des formes de protectionnisme pouvait être utilisée pour discuter de leurs vertus respectives. Je rappelle que le protectionnisme monétaire suppose la mise en œuvre d’une politique de change par la BCE (qui n’est pas dans ses attributions et que l’Allemagne refuse) et une dépréciation de l’euro. Lorsque tu évoques la diversité des formes de protectionnisme, il faut l’utiliser pour en faire un élément de la problématique.

L’idée générale de la réponse serait celle-ci : le protectionnisme dans un seul pays est une voie sans issue pour les pays européens. En revanche, un protectionnisme de zone pourrait favoriser une croissance plus durable et plus inclusive au sein de l’Union européenne. Cependant, il se heurte à des obstacles politiques (ceci intègre l’argumentaire en matière d’économie politique et la critique des blocs commerciaux) qui paraissent aujourd’hui insurmontables.

Introduction

Du tournant protectionniste initié par le Zollverein allemand à la fin des années 1870 à la « Préférence impériale » instituée par les accords d’Ottawa en 1932 dans l’Empire britannique, l’histoire montre que le protectionnisme est tentant dans les « Grandes dépressions » du capitalisme. Si la sortie de celle des années 1970/1980 a pourtant paru se faire par le choix d’une ouverture des échanges (Seconde mondialisation), l’échec de l’agenda de Doha avéré au début des années 2010 a montré que la pratique protectionniste est toujours restée très présente et s’avive même dans la « Grande Récession », si l’on en croit le dixième rapport de la Commission européenne paru en 2013.

Dans ce contexte, alors que les pays de l’Union européenne s’enlisent dans une croissance atone et déflationniste, on peut alors se demander si le protectionnisme est une voie envisageable pour retrouver la prospérité en Europe. On sait que celui-ci peut prendre des formes diverses, allant de la protection tarifaire, qui a dominé jusqu’à la fin des années 1920, aux quotas plus restrictifs, inventés au début des années 1930 par la France, en passant par des protections au-delà des frontières, comme les subventions ou des mesures constituant la « zone grise » du protectionnisme, comme l’accès aux marchés publics, les différentes normes ou l’usage du taux de change.

Problématisation

À quelle échelle pourrait-il être mis en œuvre ? Peut-on en attendre une diminution du chômage et des inégalités, un maintien de la protection sociale et la garantie d’une croissance durable ? Les obstacles à sa mise en œuvre ne rendent-ils pas ce projet largement utopique, même si son bien-fondé était avéré ?

Plan détaillé

I) Le « protectionnisme dans un seul pays » est une impasse pour les pays européens

A) Le protectionnisme national, toujours tentant dans les Grandes Dépressions capitalistes, est inadapté à l’insertion internationale des pays européens

Un protectionnisme européen pourrait signifier la mise en place d’un protectionnisme national de la part de tous les pays de l’Union européenne. Ce protectionnisme national supposerait alors de sortir de l’Union européenne, voire de la monnaie unique. L’appartenance de la plupart des pays européens à l’Union économique et monétaire de l’Europe pose un problème institutionnel.

D’une part les traités interdisent toute barrière à l’intérieur de l’Union, d’autre part le tarif douanier commun est une politique communautaire. Quel que soit le pays visé, une action unilatérale de barrière tarifaire d’un pays de l’Union ne peut donc se faire dans le cadre des traités. Ceci paraît irréaliste compte tenu des engagements pris par l’Union au sein de l’OMC, la seule solution étant alors que la France par exemple revienne sur ses engagements et sorte du système.

D’autre part, comment taxer des produits non nationaux sachant qu’il n’existe pratiquement plus de produit strictement national ? La fragmentation des processus productifs (DIPP) suppose de « bien importer pour pouvoir bien exporter » (Pascal Lamy). Que ce soit au niveau européen ou au niveau mondial, l’insertion des entreprises dans le « commerce de tâches » opéré par la deuxième mondialisation a développé des échanges de biens intermédiaires indispensables à la production des entreprises. S’il est possible de protéger un marché pour les biens finals entièrement produits sur le territoire, il devient difficile de le faire lorsque la spécialisation internationale a conduit à abandonner des tâches confiées désormais à d’autres pays

B) Un protectionnisme européen au niveau de l’Union européenne limiterait en revanche les effets de détournement et les pertes de bien-être

L’Europe s’apparente à un « bloc naturel » dans lequel les échanges sont largement déterminés par la taille des PIB et la faiblesse des distances. Les études utilisant des modèles de gravité comme « norme de commerce » montrent que les échanges européens n’ont pas été significativement affectés par la mise en place d’un accord préférentiel du type Union douanière.

On sait que l’analyse économique depuis les travaux de Jacob Viner ( The Customs Union Issue, 1950) met en balance les effets de création et les effets de détournement des Unions douanières et des intégrations régionales plus profondes. La taille du marché intérieur européen compense largement les effets de détournement qu’un relèvement du TEC, ou que la mise en place de quotas, pourrait impliquer.

De la même façon que le repli des États-Unis après la Guerre de Sécession sur leur marché interne n’a pas altéré leur capacité à innover, c’est sur ce grand marché intérieur bien protégé que les entreprises américaines ont construit leurs avantages spécifiques et préparé leur multinationalisation. La présence d’une offre différenciée de produits au sein de la zone (exemple du secteur automobile) limite d’autre part la perte de bien-être pour le consommateur.

II) Les excès de la libéralisation des échanges semblent justifier un protectionnisme européen

A) Le protectionnisme est une arme pour préserver l’attractivité et la compétitivité des territoires et donc l’emploi

L’attrait du marché européen (500 millions de consommateurs avec un revenu moyen élevé) et l’application de taxes compensatoires ou de contingentements sélectifs pourraient inciter les entreprises, d’origine européenne ou extérieure à l’Union, à réaliser les investissements industriels nécessaires dans l’Union européenne. Pour de nombreuses filières, des entreprises qui y disposent déjà de capacités de production pourraient les renforcer si nécessaire et contribuer à l’implantation dans l’Union d’un réseau de fournisseurs des composants dont elles ont besoin (aéronautique, spatial, ferroviaire…).

Pour d’autres filières, des entreprises qui ne disposent pas de capacités de production dans l’Union seraient incitées à en créer ou à y sous-traiter leur production (filières électroniques, téléphonie, électroménager, etc.). L’implantation de Toyota à Valenciennes (pour s’affranchir des quotas imposés aux voitures japonaises dans les années 1980) pourrait ainsi montrer la voie pour des implantations industrielles dans l’Union européenne pour y fabriquer les produits importés actuellement par des pays émergents comme Samsung, Lenovo ou encore Huawei qui ont déjà commencé à s’implanter en Europe.

B) Le maintien d’une protection sociale et d’une croissance durable passe par des mesures de compensation

Le protectionnisme permettrait de garantir un « fair trade » en évitant le « protectionnisme des structures » (Frédéric Lordon). La liberté formelle des échanges, obtenue par l’abaissement des obstacles aux frontières, met à nu les pratiques anticoncurrentielles les plus rudes (dumping fiscal, environnemental, guerre des monnaies…). 

Emmanuel Todd plaide ainsi pour « une sorte de protectionnisme transitoire». Certains partisans du protectionnisme se considèrent finalement comme d’authentiques libéraux puisqu’il s’agit selon eux de rétablir une concurrence non faussée (par des écarts de salaires excessifs, par un trop fort différentiel de normes sociales, sanitaires ou environnementales, par un taux de change qui déforme la valeur des biens), et donc de refonder le système commercial international sur des bases à la fois plus libérales, plus équilibrées et plus homogènes du point de vue de leur développement économique et social.

Le protectionnisme européen pourrait garantir des normes sociales et environnementales exigeantes. Des mesures protectionnistes ciblées et différentielles seraient donc un moyen d’éviter le dumping social et écologique de certains pays. D’où l’idée de restaurer des droits à l’entrée (renforcement du tarif extérieur commun) destinés à rétablir, sur chaque créneau, une égalité approximative, et celle d’introduire une discrimination ciblée en fonction des marchandises et des pays d’origine (possibilité de taxer des fournitures de télécommunications chinoises sans pénaliser les Américains par exemple). Une telle mesure peut être transitoire et inciterait les pays émergents à emprunter le chemin du progrès social.

III) Cependant, la multitude des obstacles politiques rend aujourd’hui cette solution peu envisageable

A) Les obstacles mis en évidence par l’économie politique sont évidents

Le protectionnisme renforcé d’une zone en remettant en cause les acquis du multilatéralisme risquerait d’engendrer des « guerres commerciales » destructrices. La réaction des partenaires est particulièrement négative quand les blocs sont peu nombreux, comme le montre Paul Krugman. Le risque de guerre commerciale, surtout dans un contexte de crise, n’est jamais totalement éliminé et la démondialisation des années 1930 est là pour montrer que rien n’est irréversible. 

Les grandes entreprises européennes ne demandent pas vraiment une protection accrue de l’espace européen. Les « champions nationaux » allemands, italiens, anglais, français et autres ont en effet très peu fusionné entre eux pour former des géants européens. Parce que l’intégrisme de la Commission européenne en matière de concurrence et de lutte contre les positions dominantes au sein de l’Union a découragé la plupart des velléités en ce sens, compte tenu des risques importants de voir une fusion finalement refusée par Bruxelles.

Les champions nationaux ont donc surtout cherché leur salut hors de l’Union, en investissant dans un premier temps massivement aux États-Unis, puis plus récemment en Asie et dans les autres pays émergents en forte croissance. Mais, de ce fait, ces puissants acteurs n’ont désormais plus aucun intérêt à ce que l’Union européenne se dote de protections accrues à ses frontières.

B) Les divergences intra-européennes font d’un protectionnisme de zone un projet utopique

Pour développer l’activité économique sur leur territoire, en raison du marché commun, les États européens ne pouvaient plus agir que sur la fourniture d’un environnement favorable aux entreprises en termes de qualité des infrastructures, de qualification de la main-d’œuvre, etc., et leur offrir une fiscalité et un coût du travail plus faibles qu’ailleurs. Les problèmes que pose ce dumping social et fiscal interne permanent ont de plus été fortement accrus par l’élargissement de l’Union aux pays d’Europe centrale et orientale. Cela a en effet suscité, au sein même de l’Union, une concurrence directe pour la localisation des activités productives entre des pays, dont les coûts du travail varient d’un à cinq. L’introduction d’un éventuel protectionnisme européen ne résoudrait de toute façon pas ces problèmes internes.

L’usage de la politique de change comme arme protectionniste est aussi inenvisageable. Le taux de change est devenu un des outils principaux dont jouent les États pour protéger leurs marchés et favoriser leurs producteurs. En Europe, la gestion du taux de change de l’euro est théoriquement une prérogative conjointe du Conseil des ministres de l’Union et de la Banque centrale européenne. Mais les États européens ont des intérêts divergents sur ce plan et ils n’ont jamais été capables jusqu’ici de définir une politique de change. D’où le fait que l’euro serve de variable d’ajustement à la concurrence à laquelle se livrent Chinois et Américains sur ce terrain.

Conclusion 

Le protectionnisme ne peut être mis en Europe que sur une base collective et coopérative et pourrait se justifier comme une preuve de réalisme face à des pays qui pratiquent intensément la protection, sous des formes variées. La taille du marché intérieur protégé limiterait alors largement les pertes en matière de bien-être et la protection permettrait de limiter les pertes d’emplois, de garantir une protection sociale et des normes environnementales ambitieuses, tout en évitant un ajustement par le bas au niveau mondial.

Pour autant, beaucoup des menaces à la prospérité européenne restent internes à la zone et les intérêts nationaux font obstacle à une gestion coopérative de la plupart des problèmes. Les alternatives au protectionnisme supposeraient d’autre part une intégration plus poussée de l’Europe qui semble impossible, compte tenu de l’importance des élargissements successifs.