Cet article vise à te donner une synthèse, par pays, de la révolution industrielle que chacun d’entre eux a pu traverser !
La révolution industrielle en Angleterre entre 1760 et 1830
A) Une révolution agricole : le mouvement des enclosures
Au XVIᵉ siècle, le mouvement des enclosures a été un tournant décisif dans la révolution industrielle anglaise. En effet, jusqu’au XVIIIᵉ siècle, l’Angleterre se caractérise par un système de champ ouvert. Les champs ouverts sont des terrains communs à plusieurs propriétaires fonciers dont un tiers des pâturages de chaque paroisse est mis en jachère. C’est-à-dire qu’il n’est pas cultivé pour reconstituer la fertilité du sol.
Par conséquent, la production potentielle est amputée d’un tiers. Alors, les lois sur les enclosures permettent deux changements majeurs. D’une part, elles prévoient d’ériger des clôtures autour des champs sis dans la paroisse. Il s’agit de privatiser les pâturages en instaurant des droits de propriété. Entre 1727 et 1845, les 1 385 lois sur les enclosures conduisent à l’enclos de 1,7 million d’acres (1 acre vaut 0,4 hectare).
D’autre part, elles poussent les petits propriétaires fonciers à vendre leurs parcelles. L’élevage sur les grandes propriétés pousse les paysans ouvriers agricoles vers la ville (exode rural) et constitue la main-d’œuvre bon marché de l’industrie naissante. Karl Polanyi (La Grande transformation, 1944) voit d’ailleurs dans le mouvement des enclosures le déclencheur de l’éclosion du marché du travail.
B) Le progrès technique dans l’agriculture
Les landlords anglais qui détenaient les terres vont importer des innovations dans l’usage de leurs terres de Thaïlande et des potagers de la banlieue d’Amsterdam. La rotation des cultures est l’importation la plus importante. Ce progrès technique sera une réponse à la loi de Malthus.
Mais c’est aussi durant cette période que les entrepreneurs anglais vont créer certaines des plus grandes innovations disruptives de l’histoire. La « Spinning Jenny » (1765) mise au point par Hargreaves est employée dans les ateliers, car elle permet de filer plusieurs fils de coton à la fois. Le métier à filer « Water frame » (1767) d’Arkwright est mis en service dans des fabriques de Nottingham pour utiliser la force motrice de la rivière. La « mule de Jenny » (1779) de Crompton fabrique un fil aussi résistant, mais beaucoup plus fin que celui du métier d’Arkwright grâce à l’énergie hydraulique. James Watt parachève la machine à vapeur en 1769.
C) L’accroissement démographique
La forte croissance démographique (la population britannique passant de 6 à 15 millions entre 1700 et 1800) découle d’un solde naturel (naissances-décès) structurellement positif, qui fournit des débouchés intérieurs et une main-d’œuvre à l’industrie.
Au cours de cette période, le taux de natalité augmente de 34 ‰ à 37 ‰, pendant que le taux de mortalité diminue de 33 ‰ à 23 ‰. Mais elle ne bute pas sur le verrou agricole malthusien en vertu des ressources agricoles.
D) Une révolution idéologique
Tout d’abord, le brevet est instauré en 1624 en Grande-Bretagne. L’Angleterre dépose deux fois plus de brevets en 1690-1699 que dans chaque décennie de 1660 à 1690. North et Weingast (Constitutions and Commitment: the Evolution of Institutions Governing Public Choice in seventeenth-century England, 1989) attribuent cet essor à la monarchie parlementaire britannique qui garantit les droits de propriété bien mieux que ne le fait la monarchie absolue espagnole.
De plus, les investissements d’infrastructures de transport n’auraient jamais eu lieu sans un système monétaire et financier solide. Le Country Bankers Act (mars 1826) légalise la création de banques par actions sous le monopole d’émission monétaire de la Banque d’Angleterre (juillet 1694).
Mais c’est également le désencastrement du social, autrement dit l’éloignement des relations économiques des relations sociales, qui fut indispensable à l’Angleterre pour mener à bien sa révolution industrielle. Le Poor laws Amendment Act (août 1834) abroge la loi sur les pauvres (1601), qui prévoit une aide financière aux indigents anglais résidant dans une paroisse. Le Workmen’s Combination Bill (juin 1799) interdit toute corporation et tout syndicat.
Pour Joël Mokyr (The Intellectual Origins of Modern Economic Growth, 2005), la principale cause de la révolution industrielle est la croyance dans le progrès par la connaissance. C’est-à-dire le moment où les intellectuels commencent à concevoir le savoir comme un processus cumulatif. Il ajoute : « En l’absence d’une révolution intellectuelle, la révolution industrielle n’aurait jamais pu se traduire par une croissance économique soutenue depuis le XIXᵉ siècle ».
Par exemple, la Royal Society of London for the Improvement of Natural Knowledge (1660) est une Académie de recherche qui encourage l’invention en faisant la publicité de nouvelles découvertes scientifiques et facilitant l’adoption des inventions.
La révolution industrielle en France à partir de 1815
A) Une industrialisation difficile à mettre en marche…
En France, la pression démographique plus faible que chez le voisin maritime a ralenti la dynamique d’industrialisation. La baisse de la natalité est plus prononcée en France que dans les autres pays d’Europe et le taux de mortalité freine moins vite qu’à l’étranger.
Entre 1800 et 1850, le taux de natalité passe de 32 ‰ à 27 ‰, tandis que le taux de mortalité recule de 26 ‰ à 23 ‰. Au cours de cette même période, la population passe de 27 millions d’habitants à 36 millions, un accroissement démographique modeste attribué à un faible solde naturel (naissances-décès) au détriment de la demande globale et l’offre de main-d’œuvre.
Cependant, à partir de 1850, la France n’assure pas le renouvellement de ses générations. Le vieillissement par le bas (déficit de naissances) s’accompagne d’un vieillissement par le haut (hausse de l’espérance de vie), car la proportion des plus de 60 ans dans la population atteint 13 % en 1880.
Or, comme le remarque Alfred Sauvy (La Montée des jeunes, 1959), « en refusant l’effort de renouvellement, les générations françaises ont perdu à la fois le goût de l’effort et celui du renouveau ; en renonçant à créer, elles ont perdu l’esprit de création, au moment même où tout se créait ».
La France ne connaît pas de révolution agricole
De plus, contrairement à l’Angleterre, la France ne connaît pas de révolution agricole. Les restrictions à la circulation des produits d’une province à l’autre, l’archaïsme des méthodes de production, la réglementation des cultures, la fiscalité royale sont autant de freins au développement agricole.
Ainsi, le retard du progrès agricole n’a pas été favorable à l’industrialisation. Les migrations internes du secteur primaire vers le secteur secondaire ont été moins fortes que dans les autres pays. En 1846, la population rurale représente les 3/4 de la population totale en France. De plus, selon Michel Beaud, (Histoire du capitalisme, 1500-1980, 1981), à la différence d’une Angleterre qui aurait vu émerger la bourgeoisie et qui aurait fondé son développement économique sur cette nouvelle classe sociale, la France a souffert de l’absence d’une bourgeoisie. La réussite sociale en France repose notamment sur des charges d’État, alors que l’ascension sociale en Angleterre repose sur le fait qu’un bourgeois ait réussi financièrement.
Enfin, on ne peut nier que le protectionnisme a handicapé l’industrialisation. Le protectionnisme français retarde la diffusion des innovations de produits étrangères. Les tarifs Méline (janvier 1892) qui font passer les droits de douane agricoles de 3 % entre 1892 à 21 % en 1894 ont maintenu des prix agricoles élevés, aux dépens de la demande de biens industriels. Les tarifs douaniers prohibitifs sur le charbon de terre et les matières premières augmentent les coûts de production des entreprises au détriment de la production de fer.
B) … Mais qui fut tout de même possible grâce à des facteurs idéologiques et institutionnels
Il y a eu de nombreux facteurs idéologiques en la faveur de l’industrialisation française. En effet, la France se constitue un système universitaire de premier plan. Par exemple, en 1794, la Convention fonde l’École polytechnique et l’École des Mines pour former des ingénieurs civils et militaires. L’influence saint-simonienne sur l’industrialisation n’est également pas à occulter. Claude-Henri de Rouvroy de Saint-Simon a porté l’idéologie selon laquelle l’aristocratie devrait être de talent et non pas de naissance. La société doit être dirigée par les plus talentueux (intellectuellement ou manuellement), ce qui doit passer par l’industrialisation.
Concernant les facteurs plus institutionnels qui ont favorisé l’industrialisation de la France, on peut noter que dès 1791, le décret d’Allarde proclame la liberté de l’industrie et du commerce avant d’abolir tous les privilèges de toutes les professions. La loi Le Chapelier (juin 1791) supprime, elle, toutes les corporations et les associations qui paralysent l’initiative individuelle. L’ouvrier est tenu, à partir de 1746, et ce, jusqu’en août 1868, d’avoir sur lui son livret qu’il devra présenter à l’occasion d’un contrôle de police.
La révolution industrielle aux États-Unis à partir de 1830
A) Le protectionnisme
Tout au long du XIXᵉ siècle, le protectionnisme fait rage en France et les entreprises se développent à l’abri de la concurrence étrangère grâce à des barrières tarifaires élevées. L’industrie naissante ne pouvait pas avec la concurrence britannique rivaliser en termes de compétitivité (prix et hors prix) externe. D’ailleurs, la victoire du Nord, industriel, protectionniste, contre le Sud, libre-échangiste producteur de coton, lors de la guerre de Sécession (avril 1861-avril 1865), conforte la tendance du premier.
Plusieurs tarifs protectionnistes sont mis en place pendant cette période. Parmi eux, le tarif Morrill (mars 1861) fait passer les barrières douanières sur les biens industriels importés à 47 % et le tarif McKinley (octobre 1890) augmente la moyenne des droits de douane de 38 % à 49,5 % sur toutes les importations à l’exception du sucre, du thé et du café.
B) Des facteurs institutionnels favorables
i) Un système de brevets
Les États-Unis mettent en place le brevet (avril 1790), qui accorde un monopole technologique d’une durée maximale de 17 ans à l’innovateur et sauvegarde l’intérêt collectif.
ii) Un système éducatif
La construction des common schools dès 1850, puis des universités américaines une décennie plus tard, visait à répondre aux besoins de l’industrie. En 1861, est fondé le Massachusetts Institute of Technology et il faut attendre 1891 pour la création de l’université de Stanford.
iii) Les moyens de transport
L’État fédéral prend en charge la construction des infrastructures de transport (canaux, chemin de fer, etc.). La réduction du coût de transport qui en résulte stimule les échanges et accroît la division du travail, puisqu’elle permet l’extension géographique des débouchés. La construction du canal Erié (octobre 1825) diminue de 70 % les coûts de transport entre la East coast et le Mid-West. Grâce au Pacific Railroad Act (1862), la longueur du réseau ferré américain est multipliée par cinq.
La révolution industrielle en Allemagne dans les années 1860
A) Le développement industriel
La demande d’équipement ferroviaire accroît la demande de charbon de terre et d’acier (effets d’entraînement). En 1850, on compte 6 000 km de voies ferrées en Allemagne, soit deux fois plus qu’en France. Entre 1830 et 1860, le taux de croissance annuel moyen de la production de biens d’équipement est de 6 %, notamment dans le secteur de la machine-outil. En 1879, Werner von Siemens donne naissance à la locomotive électrique.
Fortement dotée en charbon de terre dans la Rurh et dans la Sarre, l’Allemagne devient dans la seconde moitié du XIXᵉ siècle le premier pays industriel de l’Europe continentale. Entre 1820 et 1850, la production de charbon de terre est multipliée par six.
B) Le développement bancaire
La concentration bancaire soutient le développement des Konzern, entreprises industrielles rhénanes concentrées à l’image de Bayer (août 1863) ou de Krupp (1812).
De plus, les 4D, l’oligopole bancaire allemand, dont font partie Darmstädter Bank, Dresdner Bank, Disconto Bank et Deutsche Bank (mars 1870), pèsent 40 % du capital bancaire allemand. Ce sont des banques-industries, universelles qui accordent des crédits de long terme à un faible taux d’intérêt bancaire à des entreprises industrielles.
C) Un protectionnisme éducateur
L’Allemagne suit la théorie de Friedrich List (Système national d’économie politique, 1841) et met en place un protectionnisme pour protéger ses industries naissantes trop faibles encore en termes de compétitivité (prix et hors prix) externe. En 1844, elle introduit des taxes à l’importation de rails de chemins de fer. Le tarif Bismarck (juillet 1879) instaure des tarifs douaniers sur le fer et l’acier britanniques ainsi que sur le bétail américain.
D) L’unification du territoire national
Le Zollverein (janvier 1834) est une union douanière, c’est-à-dire une zone de libre-échange dotée d’un tarif extérieur commun, qui regroupe le Royaume de Prusse, le Royaume de Saxe, le Landgraviat de Hesse-Cassel, le Royaume de Bavière, le Royaume de Wurtemberg et la Thuringe.
Après l’union politique (janvier 1871) avec la création de l’Empire germanique vient l’union économique. La loi monétaire (juillet 1873) introduit le mark-or qui remplace le thaler (janvier 1857) et le florin. La Reichbank (janvier 1876), quant à elle, se substitue aux 31 banques centrales que comptaient les 39 États qui constituent l’Empire.
La révolution industrielle au Japon
A) Un Japon relativement isolationniste…
Depuis 1600, le Japon dirigé par le Shogunat Tokugawa est une société féodale où le changement de profession est interdit et où la mobilité sociale est inexistante. La politique isolationniste (sakoku) protège le pays de la concurrence étrangère, à l’exception du comptoir hollandais à Nagasaki, dont jouit la Compagnie des Provinces unies des Indes orientales.
B) … Qui a subi une ouverture forcée
En juin 1853, le Commodore Matthew Perry, à bord d’une flotte de sept navires aux voiles noires, recourt à la politique de la canonnière pour obliger le Japon à mettre un terme à sa politique isolationniste.
Le traité de Kanagawa (mars 1854) est un traité inégal qui stipule l’ouverture des ports japonais Hakodate et Shimoda aux navires de commerce battant pavillon américain, permettant aux États-Unis de se ravitailler en charbon ainsi que des droits de douane fixes à 5 % ad valorem jusqu’à 1899.
C) La révolution Meiji (1868-1912)
i) Une révolution politique…
L’empereur Meiji abolit le Shogunat (1868), puis le système féodal (1871). L’annexion de la Corée (1901) fournit des sources d’approvisionnement et de débouchés pour les entreprises nationales.
ii) … Mais aussi économique
Pendant cette période, l’État japonais est schumpétérien. D’une part, la loi fiscale (1870) introduit un impôt agricole qui finance les industries textiles. D’autre part, l’université d’Osaka est créée en 1869. Entre 1883 et 1902, le produit national net par habitant en prix constants de 1928 passe de 74 à 112 millions de yens.
L’adoption rapide des innovations de produits et procédés étrangers s’explique par l’appel des ingénieurs britanniques et par l’envoi de Japonais en France pour y faire leurs études. Le Japon profite d’une révolution agricole et démographique. L’utilisation de l’engrais naturel et l’irrigation accroissent la production agricole et les revenus agricoles qui stimulent la demande de biens industriels (déversement).
Le doublement de la population entre 1850 et 1910 fournit à l’industrie une main-d’œuvre bon marché au profit de la compétitivité-prix externe de ses biens. L’initiative publique se substitue à l’initiative privée défaillante. En effet, l’État prend en charge la construction des infrastructures de transport et favorise la constitution de Kereitsu, des conglomérats familiaux comme Mitsubishi (1870).
L’État entrepreneur remplace les banques d’investissement en agissant comme une entreprise de capital-risque. Entre juin 1876 et 1879, le nombre de banques nationales passe de 4 à 139.
La révolution industrielle en Chine
A) Une révolution agricole, mais une faible révolution démographique
Les réformes de Deng Xiaoping (1978) lancent le début de la révolution agricole en autorisant les agriculteurs à vendre leur surplus agricole pour investir leurs profits dans les entreprises intensives en capital. Pour la Banque mondiale (2007), entre 1980 et 2001, une hausse de 1 dollar américain de la valeur ajoutée agricole génère une hausse supplémentaire de 1 dollar américain de la valeur ajoutée non agricole en Chine.
Entre 1978 et 2003, le poids de l’agriculture passe de 34 % à 16 % du PIB sous l’effet de la révolution agricole. La politique de l’enfant unique (1979-octobre 2015) jugule la révolution démographique en fixant un nombre maximal d’enfants à deux par famille, dans le but de prévenir les effets malthusiens.
B) Une promotion des entreprises
En 1979, la Chine crée les zones économiques spéciales au sein desquelles les entreprises jouissent d’exonérations fiscales, des transferts de technologies à travers des IDE sous condition de prise de participation (joint-ventures). En 2019, on compte 19 districts marshalliens, dont celui du delta de la rivière des perles (Hong Kong) et de l’estuaire du Yangtsé (Shanghai).
C) Une réglementation favorable aux entreprises
L’article 5 de la loi antimonopole (janvier 2008) encourage les concentrations pour réaliser des économies d’échelle. L’article 15 exempte les entreprises exportatrices de la réglementation concurrentielle et les autorise à former des ententes.
D) Les routes de la soie
En 2013, la Chine lance le projet des routes de la soie (One Belt, One Road initiative). C’est un vaste réseau mondial fondé sur des infrastructures ferroviaires, maritimes et routières qui vise à asseoir l’hégémonie chinoise en Asie, écouler la production excédentaire d’acier de 13 millions, donner plus de poids au renminbi, permettre aux entreprises nationales de trouver des débouchés extérieurs et s’approvisionner en matières premières.
Les routes de la soie passent par la mer de Chine méridionale, le détroit de Malacca, le port d’Athènes (Grèce), le port de Gênes (Italie), le port de Nairobi (Kenya), etc. Entre 2013 et 2019, la Silk Road Fund Asian Investment Bank a investi 400 milliards de dollars américains dans ce projet.
C’est la fin de cette synthèse des révolutions industrielles par pays !