« Le pacte vert pour l’Europe est notre nouvelle stratégie de croissance […] En montrant au reste du monde comment être durable et compétitif, nous pouvons convaincre d’autres pays de nous suivre », annonçait en décembre la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, à propos du projet de pacte vert pour l’Europe dévoilé par la Commission européenne. Ce nouveau plan est révélateur des ambitions de la nouvelle Commission en termes de lutte contre le réchauffement climatique et de transition écologique, dans un contexte où la pression sur les gouvernements pour mettre en place de telles mesures s’est sensiblement accrue.

Parmi les outils dont disposent les pouvoirs publics, l’outil fiscal, et notamment la taxe carbone, reste l’une des armes principales. Mais en quoi consiste cette taxe si souvent évoquée, et pourquoi en est-il à nouveau question dans l’actualité ?

Un sujet d’actualité

La question d’une taxation carbone au niveau européen a récemment refait surface à l’occasion de la présentation en décembre 2019 du pacte vert précédemment évoqué. Comportant un certain nombre d’ambitieuses propositions et d’objectifs à atteindre, il vise à faire de l’Europe le premier continent climatiquement neutre d’ici 2050.

« Ça ne sert à rien de réduire les émissions de gaz à effet de serre chez nous si nous augmentons les importations de CO2 de l’étranger. […] C’est aussi une question de justice pour nos entrepreneurs et nos travailleurs, qui doivent être protégés d’une concurrence déloyale », a ainsi annoncé fin janvier la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen. Ces mots constituent sans doute l’illustration la plus pertinente de l’actualité de la taxe carbone au niveau européen.

Fin janvier, le ministre de l’Économie français, Bruno Le Maire, appelait en effet à la mise en place « le plus rapidement possible » d’un mécanisme de taxation carbone qui concernerait toute l’Union, comme prévu dans le pacte, dans le but de taxer le contenu en carbone des produits importés dans l’Union.

Une telle taxation vise à rétablir une justice entre les firmes européennes, contraintes, dans l’optique de la lutte contre le réchauffement climatique, à de nombreux efforts pour réduire leurs émissions, quand d’autres entreprises (notamment asiatiques), non soumises aux mêmes contraintes, peuvent vendre moins cher leurs produits (on parlera de « dumping écologique »). Elle est donc également un outil de lutte contre une concurrence déloyale.

On notera qu’il n’est nullement question dans le texte de taxe carbone, mais de mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, le mot « taxe » ayant une connotation négative et protectionniste qui risquerait de déplaire à l’OMC.

Par ailleurs, Ursula Von der Leyen a également annoncé fin janvier lors du Forum économique mondial de Davos que l’Union pourrait ne pas y recourir si des conditions équitables concernant les normes carbone étaient respectées au niveau mondial : « Si cette tendance mondiale est partagée, alors nous n’aurons pas besoin d’une taxe carbone ». La coopération pourrait in fine se substituer à la coercition.

En quoi consiste-t-elle concrètement ?

Cette taxation s’inscrit dans une logique de soutenabilité faible, résolument optimiste.

À la base du principe de la taxe carbone se trouvent ainsi les observations de l’économiste Arthur Cecil Pigou qui soulignait, dès le début du XXe siècle, l’existence d’externalités négatives dont il fallait prendre en compte l’existence (d’où le fait que l’on parle également de « taxe pigouvienne »). Concrètement, celles-ci se définissent comme les conséquences négatives de l’activité d’un agent économique (généralement une entreprise) sur le bien-être des autres agents, sans compensation financière. L’image d’une pollution résultant d’une production quelconque par une usine et se répercutant sur la santé des habitants des villages voisins est ainsi souvent considérée comme l’exemple le plus pertinent et le plus simple pour décrire ce phénomène.

Le principe de la taxe est simple et repose sur la logique du pollueur-payeur, impliquant que les pollueurs internalisent (prennent en compte dans le calcul de leurs coûts de production) le coût des externalités négatives. Cette taxe vise ainsi à faire payer les pollueurs à hauteur de leurs émissions de gaz à effet de serre, dans le but de modifier les comportements et d’orienter les investissements vers des projets moins carbonisés. Elle entraîne en effet un surenchérissement des produits dont la production est largement émettrice de gaz à effet de serre, et favorise donc ceux qui induisent le moins de pollution. Ce faisant, elle vise ainsi à concilier incitation fiscale et action climatique.

Une telle politique est souvent mise en place de manière complémentaire avec l’instauration de quotas d’émissions négociables (ou marché de droits à polluer) : la taxe attribue un prix à la tonne de carbone quand les quotas fixent une norme de quantité.

Il ne faut néanmoins pas confondre les deux mécanismes. La taxe carbone est un mécanisme fiscal coercitif (qui comporte néanmoins nombre d’exemptions), tandis que le système de droits d’émissions, tel que celui mis en place en Europe depuis 2005, est incitatif et repose sur les lois du marché (les entreprises reçoivent des quotas qu’elles peuvent par la suite échanger).

Enfin, ce procédé présente l’avantage d’accroître les recettes fiscales, laissant ainsi la possibilité aux États de subventionner les agents qui produisent des externalités positives pour l’environnement, c’est-à-dire de financer des projets durables comme le développement des énergies renouvelables.

Quels pays l’ont déjà adoptée ?

Basée sur des préceptes, on l’a vu, relativement anciens, l’idée d’une taxe sur les émissions de carbone a eu le temps de faire son chemin et d’être adoptée par de nombreux pays, notamment depuis les années 1990. L’idée « de donner un prix au carbone » a ainsi été avancée dès le protocole de Kyoto signé en 1997.

Ainsi, en 2018, selon un rapport de l’I4CE cité par Le Monde, 46 pays et 26 provinces (Californie, Ontario…) avaient mis en place une taxe carbone ou un système d’échange de quotas d’émissions, dont la France dès 2014. On regrettera cependant l’absence d’une telle mesure aux États-Unis ou en Chine, qui comptent parmi les plus gros pollueurs au monde. De manière globale, ces instruments de tarification ont généré 26 milliards d’euros en 2017.

Un outil efficace ?

La mise en place d’une taxe carbone a donc deux objectifs : inciter les ménages et les entreprises qui consomment des énergies fossiles à modifier leurs comportements, tout en assurant des ressources financières supplémentaires aux États, qui serviront à leur budget, mais aussi à financer des projets environnementaux durables.

Pour le FMI, l’idée est claire : la taxe carbone fixée autour de 70 dollars la tonne est bien l’instrument le plus efficace pour lutter contre les émissions de CO2, puisqu’elle permet de réduire la consommation d’énergie, favorise l’utilisation d’énergies plus propres et « fournit davantage de revenus nécessaires aux États ».

Comme le révèle une étude publiée le 4 février par l’OCDE, la taxe carbone mise en place en France en 2014 aurait ainsi contribué à une diminution de 5 % des émissions de CO2 entre 2013 et 2018 par rapport à un scénario sans taxe. La même étude souligne par ailleurs qu’une taxation plus ambitieuse qui ferait passer le prix de la tonne de 45 à 86 euros pourrait générer une réduction des émissions de 8,7 %. Un tel objectif de prix avait déjà été voté par la majorité LREM à l’automne 2017, avant d’être abandonné en décembre 2018 à la suite du mouvement des Gilets jaunes.

Dans une vision plus large, l’étude démontre qu’une hausse de 10 % du coût de l’énergie (liée à une taxation carbone) « fait fléchir la consommation d’énergie de 6 % et les émissions carbone de 9 % ». Allant à l’encontre de certaines critiques, elle démonte enfin l’argument selon lequel une telle taxation détruirait des emplois en nuisant à la compétitivité d’une économie : au contraire, les suppressions de postes seraient compensées par les embauches dans un secteur différent.

Enfin, il faut prendre en compte le fait que l’efficacité de la taxe carbone varie selon les modes de production d’énergie utilisés sur un territoire. Ainsi, le FMI estime qu’une taxe qui s’élèverait à 70 dollars la tonne permettrait de réduire de plus de 40 % les émissions chinoises, contre une baisse de seulement 13 % des émissions françaises. La différence relève du fait qu’une telle taxe aurait un fort effet dissuasif sur l’usage du charbon en Chine, alors que c’est une source d’énergie peu utilisée en France.

La taxe carbone attribue un prix à ce qui n’en avait pas, pour convertir en perte économique les dégâts générés par l’émission d’une tonne de C02, et se montre ainsi globalement efficace dans les pays où elle est mise en place. Elle ne constitue cependant pas forcément la solution la plus pertinente selon les régions et les modes de production, quoiqu’elle soit un premier pas dans le bon sens. Un pas encore, donc, largement insuffisant.

Quelles alternatives ?

Celle-ci conserve en effet certaines limites et demeure critiquée pour ses insuffisances. Parmi celles-ci, d’aucuns soulignent le fait qu’elle nuirait tout d’abord à la compétitivité des économies en permettant la mise en place d’un dumping écologique, d’où la volonté de la Commission de la mettre en place à l’échelle européenne afin d’avoir plus de poids face aux pays qui ont recours à cette pratique. Dans l’autre sens, et c’est la raison des discussions actuelles, la taxation supplémentaire de produits importés peut se traduire par des représailles de la part du pays exportateur, qui peut y voir une forme dissimulée de protectionnisme.

Beaucoup déplorent également que le prix alloué à une tonne de carbone soit souvent trop bas pour avoir un réel effet sur la production et les comportements des entreprises, ou que la taxe comporte un nombre excessif d’exemptions qui nuisent à son efficacité et à sa légitimité.

Par ailleurs, une question de justice sociale et climatique est à prendre en compte, comme l’a souligné le récent mouvement des Gilets jaunes qui témoigne de son impopularité et qui avait poussé le gouvernement français à renoncer à la hausse prévue de longue date du prix de la tonne carbone. D’après une étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques, la taxe carbone possède une dimension largement régressive en France : à la fin des années 2010, les 10 % des Français les plus pauvres payaient quatre fois plus de taxe carbone que les 10 % les plus riches. Pourquoi ? : « Les ménages modestes consacrent en effet une plus forte proportion de leurs revenus au chauffage, par exemple, que leurs voisins plus aisés, de sorte qu’une taxe qui fait monter le prix de l’énergie utilisée par les ménages a plus de répercussions sur les familles modestes », selon l’OCDE.

Étant donné que la taxe a pour ambition de toucher à la fois les particuliers et les entreprises qui consomment des énergies fossiles, elle se doit ainsi, comme toute taxation, d’être juste et légitime. Cela passe notamment par la nécessité, complexe, de concilier efficacité et acceptabilité, par exemple en faisant en sorte que ses recettes n’aillent pas uniquement renflouer les caisses de l’État comme elles le font encore trop souvent, mais puissent être utilisées pour financer des projets socio-environnementaux durables.

Enfin, on soulignera qu’une telle taxe risque d’avoir des effets inflationnistes, la hausse des prix induite pouvant se répercuter sur le pouvoir d’achat des salariés qui seront tentés de demander des augmentations (inflation par les coûts).

À la suite de la mise en lumière de ces critiques, il est ainsi souvent avancé la nécessité de concilier cette taxe avec d’autres mécanismes comme la suppression des subventions aux énergies fossiles ou la mise en place d’un marché d’échanges de quotas d’émissions de carbone, comme c’est le cas en Europe depuis 2005.

Conclusion

Comme le montrent les nombreuses études publiées ces dernières années, la taxe carbone a prouvé son utilité et son efficacité à de nombreuses reprises dans un objectif de réduction des émissions de carbone.

Il est indéniable cependant qu’elle ne représente pas une solution miracle (encore moins utilisée seule) face à l’urgence climatique, en particulier lorsqu’elle alloue un prix aussi bas à chaque tonne de carbone.

Elle repose largement sur la préconception que les mécanismes de prix se révéleront suffisamment incitatifs pour orienter correctement le comportement des agents, en ignorant notamment l’irréversibilité de certaines dégradations, et donne ainsi aux lois et aux comportements économiques une place conséquente dans l’appréhension d’un enjeu environnemental aux causes multiples et aux répercussions encore plus vastes. La progressivité de l’augmentation de la taxe, nécessaire à son acceptabilité et à sa viabilité économique, ne constitue-t-elle pas une faiblesse importante alors même que le temps semble plus que jamais compté ?