Le préambule et la structure de ce qu’on appelle aujourd’hui l’école du Public Choice (l’école du choix public, en français) sont apparus dans les années 1960 aux États-Unis principalement (école de Virginia, Rochester, Chicago et Indiana). Buchanan (prix Nobel 1986) et Tullock font figure de proue de ce mouvement. Cette théorie s’inscrit dans une dynamique de remise en question de l’État-providence.
Lionel Orchard et Hugh Stretton résument cette théorie en trois axes :
- une approche de la théorie des gouvernements ;
- une vision du monde politique par une approche de « marché ». En d’autres termes, l’école du Public Choice étend la théorie de la recherche d’intérêt personnel à l’ensemble des administrations ;
- une volonté affirmée de discréditer l’action gouvernementale afin d’en réduire le champ d’action.
Cette théorie rencontre un vaste champ d’application duquel ressortent particulièrement l’analyse des systèmes de votes, l’étude de la bureaucratie, mais aussi des biens publics.
L’intérêt personnel détermine les comportements politiques et au sein du gouvernement
Anthony Downs, dans son ouvrage An Economic Theory of Democracy (1957), estime que le gouvernement devrait être étudié de la même manière qu’une instance privée. C’est-à-dire en y appliquant donc les principes de l’homo œconomicus, d’un individu rationnel à la recherche de la maximisation de son intérêt personnel.
Ainsi, les partis politiques sont perçus comme une organisation dont les membres sont en fait à la recherche de prestige sous la forme de pouvoir et revenus.
Toutefois, Downs parlera en 1962 de « mix » comportemental. Les décideurs publics suivent leur intérêt personnel, mais aussi leurs convictions.
Le système de vote
Autre problématique avancée par les théories du Public Choice : le vote.
Faisant écho à la partie précédente, non seulement les politiques poursuivent leur intérêt personnel, mais de surcroît, les citoyens peinent à connaître réellement leurs candidats préférés. En effet, il n’est pas rationnel pour eux de s’y intéresser pleinement (coût d’opportunité important), étant donné que leur vote représente une part (et influence) infime du processus de décision.
Et alors que les agents individuels peinent à exprimer leur préférence, les lobbies, quant à eux, exercent une influence très importante dans la sphère gouvernementale.
Enfin, autre apport de l’école du Public Choice : la théorie de l’électeur médian de Duncan Black. Ce dernier énonce que si une communauté doit délibérer autour d’une décision collective, alors le vote reflétant le choix de l’électeur médian dominera toutes les autres préférences en cas de vote à la majorité et d’un nombre impair d’électeurs.
Les bureaucrates vus par la théorie du Public Choice
Au travers de Bureaucracy and Representative Government (1971), Niskanen s’est penché sur la question des bureaucrates au sein de la fonction publique. Il avance que les chefs de service et managers sont à la recherche de pouvoir, de réputation, de patronage et de possibilités d’accroissement de leur bureau ou de leur service. Il précise par ailleurs que même les managers avec un faible intéressement pour la rémunération et avec une motivation d’intérêt public sont concernés par ce phénomène.
Autrement dit, le but recherché par ces derniers serait d’accroître la taille de leur bureau, sans se soucier de l’optimum social et de son efficacité. Ces motivations personnelles menacent ainsi l’efficience des pouvoirs publics.
Face à cela, l’auteur soumet plusieurs solutions telles que :
- décentraliser les services publics ;
- amorcer une certaine compétitivité entre les services ;
- modifier les modes d’incitation des managers.
Néanmoins, cette approche a rapidement suscité des critiques.
Peter Self, au travers d’une analyse empirique, explique que la rémunération des managers et des chefs de bureau n’est pas nécessairement liée à leur budget et à la taille de leur service.
En outre, Dunleavy (1991) avance que les chefs de bureaux ne souhaitent pas forcément augmenter la taille de leur service, mais plutôt contrôler une « élite », c’est-à-dire un service restreint mais proche du processus décisionnel.
Gordon Tullock développe une autre approche du bureaucrate. Il analyse le comportement d’un bureaucrate ambitieux, désireux d’obtenir une promotion. La suite de sa carrière dépendant surtout de ses responsables, celui-ci se gardera de partager les informations compromettantes pour ne partager que les bonnes. Ce comportement, élargi à l’ensemble de la fonction publique, freine l’adaptation à des changements rapides et son développement.
L’action collective et bien public
Pour Samuelson, un bien public se définit selon deux critères :
- Un critère de non-rivalité : la consommation de ce bien par un individu n’entraîne aucune réduction de la consommation des autres individus.
- Un critère de non-exclusion : il est impossible d’exclure quiconque de la consommation de ce bien.
Il existe de nombreux enjeux autour de ce type de bien.
Mancur Olson va notamment décrire un comportement essentiel dans la théorie du Public Choice : le comportement de « freerider » (passager clandestin). La définition est la suivante : utilisation d’un bien par une personne (le freerider) de manière disproportionnée par rapport à son soutien et à ses apports à ce bien (il peut être nul). En d’autres termes, ils (les clandestins) bénéficient des avantages sans pour autant supporter les coûts (par exemple, ils supportent la grève mais ne la font pas, pourtant, ils tireront profit des bénéfices de la mobilisation si elle est un succès).
Ce comportement, adopté massivement, peut conduire à l’éviction et la fin du bien public en question.
L’approche microéconomique propose une résolution de cette problématique avec le système de prix personnalisés de Lindahl. Ce mécanisme propose que chaque individu paie selon sa disposition à payer une certaine quantité de bien public. Dès lors, par l’action d’un commissaire-priseur, le prix serait fixé par tâtonnement.
Ce mécanisme visant à supprimer le problème du passager clandestin suppose tout de même une certaine honnêteté des individus dans la révélation de leur disposition à payer.
Le rent-seeking et les lobbies
Tullock (1967) : « Generally governments do not impose protective tariffs on their own. They have to be lobbied or pressured into doing so by the expenditure of resources in political activity. »
L’école du Public Choice s’est donc également intéressée à l’impact des lobbies au sein de la structure publique. Le fait est que souvent les législateurs votent des projets de loi qui ne concernent pas directement leur intérêt personnel. Alors, ils sont libres d’établir leur vote selon leur conception de l’intérêt commun. Néanmoins, il peut apparaître des formes de marchandage : pécuniaire (échange monétaire) ou bien politique (accord passé avec d’autres politiques afin d’avoir leur faveur en vue d’un prochain vote).
En ce sens, le Public Choice a beaucoup insisté sur le rent-seeking (recherche de rente, en français). Comme le présente Buchanan (1980), le rent-seeking s’oppose au profit-seeking. La firme aspire davantage à étendre ses rentes ainsi que son influence sur le marché et la sphère décisionnelle (l’État), plutôt qu’à chercher à diminuer ses coûts de production, par exemple. De plus, ce qui intéresse les chercheurs dans l’étude du rent-seeking est l’étude de l’interaction entre l’État et les parties privées (Johann Graf Lambsdorff, 2002). En effet, l’État peut être perçu comme un fournisseur (licences, subventions…), mais aussi comme un consommateur, et les firmes privées cherchent donc à user de leur influence au sein de la sphère étatique.
Ainsi, les auteurs du Public Choice soutiennent qu’en réalité, les situations de monopole résultent d’une intervention étatique. Landes et Posner (1975) résument la situation de la manière suivante : « Legislation is sold by the legislature and bought by the beneficiaries of the legislation. »
Le Public Choice aujourd’hui
Après avoir présenté les principaux sujets abordés par l’école du Public Choice, voici quelques sujets récents abordés par cette théorie recensés par Lionel Orchard et Hugh Stretton (1997) :
- La question des armes à feu aux États-Unis.
- La distribution des aides internationales.
- La pollution et la régulation environnementales.
- Les formes de gouvernements locaux.