écologie

Saint-Exupéry, dans son ouvrage Citadelle, affirme : « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir mais de le rendre possible. » Dans cet article, nous analyserons l’évolution possible de notre modèle économique vers un modèle soutenable centré sur l’écologie.

La menace pesant sur l’environnement

Le dernier rapport de 2019 du GIEC s’attache à anticiper les impacts potentiels d’une hausse des températures de 1,5 à 2 degrés par rapport à l’époque préindustrielle : « Augmentation des températures moyennes dans la majorité des régions continentales et océaniques, intensification des vagues de chaleur dans la plupart des zones habitées, épisodes de précipitations extrêmes dans certaines régions et risque accru de sécheresses ailleurs. » Cela souligne le fait que la planète, notre bien commun, est gravement menacée. Mais plus encore, c’est bien notre propre modèle économique qui la menace, nous invitant alors à le repenser.

L’économie actuelle, centrée sur la croissance et la consommation de masse, a des effets dévastateurs sur l’environnement à travers plusieurs secteurs clés. L’industrie de la fast fashion, par exemple, illustre bien cet impact. Produire un seul jean nécessite environ 7 500 litres d’eau, tandis que la production mondiale de vêtements émet environ 1,2 milliard de tonnes de CO2 chaque année, soit plus que les vols internationaux et le transport maritime réunis. Les vêtements, souvent de mauvaise qualité, sont jetés rapidement, générant des montagnes de déchets textiles non recyclables, notamment dans des pays comme le Chili où des déserts de vêtements usagés s’accumulent.

Dans le secteur agricole, l’élevage intensif est un autre exemple frappant. La production de viande, en particulier de bœuf, est responsable de 14,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. La culture du soja, utilisée principalement pour nourrir le bétail, contribue massivement à la déforestation en Amazonie. Entre 2001 et 2015, environ 18 millions d’hectares de forêts ont été détruits pour l’agriculture, privant la planète d’un puits de carbone vital et menaçant la biodiversité locale.

La vision de Karl Polanyi

Karl Polanyi, dans La Grande transformation, soutient l’idée qu’un marché capable de s’autoréguler était une utopie. Selon lui, une telle institution « ne pouvait perdurer sans détruire la substance humaine et naturelle de la société, sans anéantir l’homme et transformer son environnement en désert ».

En réponse, l’Angleterre mit en place des mesures de protection, comme le Speenhamland Act en 1795, mais celles-ci, d’après Polanyi, sapèrent l’autorégulation du marché, désorganisant l’économie industrielle et exposant la société à de nouveaux dangers. C’est pourquoi, en 1834, en Angleterre, le Speenhamland Act est aboli et remplacé par les New Poor laws qui conditionnent une aide financière à un travail dans des workhouses. C’est ainsi que Polanyi parle d’un « désencastrement » de l’économie du social à cette époque.

Un siècle plus tard, l’arrivée d’un État fort qui alloue les ressources (état planificateur), régule le marché (état keynésien) et redistribue les ressources (état social) permet un encastrement progressif de l’économie dans le social. C’est ce que Polanyi appelle « la grande transformation ».

Mais, à l’aune de cette théorie, ne peut-on pas imaginer un encastrement de l’économie non plus dans le social, mais dans l’écologie ? Paul Crutzen (prix Nobel de chimie en 1995) parlait de l’émergence de « l’Anthropocène », c’est-à-dire une accélération sans précédent du réchauffement climatique due à l’activité humaine. 24 ans plus tard, en 2019, dans son ouvrage Capitalisme : le temps des ruptures, Aglietta parle d’une nouvelle ère géologique : « le Capitalocène ». Cette nouvelle ère serait la conséquence d’une économie désencastrée de l’écologie. Toutefois, les économistes contemporains s’accordent à dire que cette dichotomie n’est pas soutenable et qu’au contraire, il faudrait inventer de nouveaux modèles permettant d’assurer nos besoins financiers et économiques sans dégrader la biodiversité.

Une illusion financière incompatible avec l’écologie

Si l’on considère l’économie comme un modèle qui consiste en la production, la répartition, l’échange et la consommation de biens et de services, alors cette dernière doit œuvrer à préserver notre « bien commun » et faciliter notre vie. Toutefois, en pratique, le marché financier prend une place démesurée depuis une quarantaine d’années. À l’aune de cette hypertrophie exacerbée, Chavagneux, dans Pédagogie des bulles financières, montre qu’entre 1980 et 2008, le secteur financier a augmenté six fois plus vite que le PIB américain (qui s’élevait à 14 769 milliards de dollars en 2008).

Mais qu’est-ce que cela signifie ?

Cela suppose que l’économie actuelle, alors guidée par les marchés financiers, ne se contente que d’accumuler des richesses sans se préoccuper des dangers environnementaux futurs. Beaucoup parlent d’une illusion financière qui endort les économistes, alors incapables de diminuer leur taux d’actualisation pour préserver l’économie de demain, mais surtout un environnement sain pour nos enfants.

Interrogé par une commission d’enquête américaine en 2008, Alan Greenspan – ex-patron de la Fed – confessait sa naïveté à l’égard de la globalisation financière : « La raison pour laquelle j’ai été si choqué est que, pendant plus de 40 ans, j’ai eu des preuves tout à fait considérables qu’il fonctionnait exceptionnellement bien. » Un tel aveu d’impuissance de la part d’un ancien banquier central laisse penser que la désillusion financière a été d’autant plus forte que l’illusion était profonde. Mais pour revenir sur le sujet de cet article, cette illusion ne se fait-elle pas au détriment de l’environnement ?

La finance moderne, orientée vers la maximisation des profits à court terme, est souvent incompatible avec la préservation de l’environnement. Les investissements massifs dans les énergies fossiles en sont un exemple frappant. En 2021, malgré les engagements internationaux sur le climat, les grandes banques mondiales ont injecté plus de 742 milliards de dollars dans l’industrie pétrolière, gazière et charbonnière. Des groupes financiers comme JPMorgan Chase ou HSBC continuent de financer des projets d’extraction de pétrole dans l’Arctique et l’exploitation des sables bitumineux au Canada, contribuant directement à la destruction d’écosystèmes sensibles et à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre.

Le débat sur le taux d’actualisation

Le taux d’actualisation est un pourcentage utilisé pour ramener des valeurs futures à leur équivalent présent. Plus le taux d’actualisation est élevé, plus la valeur présente des flux futurs sera faible. C’est sur ce point précis que s’opposent les économistes W. Nordhaus et N. Stern.

Nordhaus propose un taux d’actualisation élevé, autour de 4,5 %, tandis que Stern, dans son rapport sur le climat de 2006 destiné à la Banque mondiale, recommande un taux de 1,4 %. Pour Nordhaus, cette différence s’explique par la préférence marquée des individus pour le présent, car il anticipe une croissance économique significative, rendant les générations futures plus riches et mieux équipées pour financer des politiques écologiques. À l’inverse, Stern plaide pour une répartition plus équitable entre les générations, d’où son choix d’un taux d’actualisation plus bas.

Dans leur dernier rapport de 2023, Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz (« Les incidences économiques de l’action pour le climat ») prônent un nouveau modèle qui cherche à préserver les générations futures, donc avec un taux d’actualisation faible. Ils mettent ainsi en exergue le concept de « sobriété », qui doit être un mot d’ordre pour l’économie de demain.

La conséquence d’une absence de coercition pour l’écologie

Dans La Tragédie des biens communs (1968), Hardin affirme que certains problèmes n’ont pas de solution technique. Selon lui, la gestion des biens communs, et en particulier celle de l’environnement, en fait partie.

Le modèle proposé par Hardin repose donc sur la coercition, qui peut prendre diverses formes telles que la privatisation ou la taxation. Par exemple, la privatisation d’un parc naturel attribue une valeur à cette ressource, obligeant ainsi les individus à prendre en compte l’impact de leur fréquentation. Cependant, cette solution n’est pas toujours applicable. Dans le cas de la qualité de l’air, il est impossible de privatiser cette ressource, car nul ne peut être contraint de payer pour en profiter. La taxation devient alors un levier pour inciter les acteurs à ajuster leur comportement.

Toutefois, Ostrom prône une approche et un modèle différents. Dans son article « Covenants with and without sword, self-governance is possible » (1991), il soutient que la vision de Hardin est trop pessimiste. De bons dispositifs de communication et de gouvernance au sein des groupes locaux peuvent conduire à une gestion quasi optimale des biens communs. Cette réponse vaut aussi bien pour Hardin que pour Hobbes, qu’elle vise expressément. Selon le philosophe britannique du XVIIe siècle, il n’est en effet pas possible de maintenir un contrat social fiable en l’absence de la crainte d’un souverain omnipotent. Ainsi, Ostrom pense un modèle basé sur la communication qui permettrait de (ré)encastrer l’économie dans l’écologie.

Les instruments de la politique publique

On le voit, les politiques publiques ont un rôle crucial à jouer pour concilier à la fois une rentabilité correcte pour maintenir une forme d’autosuffisance et pour lutter contre le réchauffement climatique. L’économie de demain s’articule ainsi entre ces deux piliers. Toutefois, il existe une dichotomie entre les pays avant-gardistes et ceux qui cherchent une rentabilité par du « dumping environnemental », ce qui nuit à un encastrement de l’économie dans l’écologie.

Dans Économie du bien commun (chapitre 8), l’économiste et prix Nobel Jean Tirole met en lumière le phénomène des fuites de carbone, c’est-à-dire la délocalisation d’activités productives depuis des régions avec une stricte réglementation environnementale vers des zones « moins exigeantes ». Ce phénomène nuit à l’action environnementale de deux manières. Il réduit la base industrielle des pays pionniers en matière de réduction des émissions de carbone et il contribue à maintenir, voire à augmenter, les niveaux de pollution en transférant les entreprises vers des régions utilisant majoritairement des énergies fortement carbonées.

Vers un nouveau modèle qui lie écologie et social

Une économie qui cherche uniquement à s’encastrer dans l’écologie pourrait lutter contre « une fin du monde », mais peinerait à lutter contre « la fin du mois ».

En ce sens, Gaël Giraud s’efforce d’apporter une solution au double problème écologique et social dans Le Facteur 12. Schématiquement, son argumentation repose sur l’idée que la transition écologique est inéluctable et qu’elle impliquera de consommer des produits respectueux de l’environnement dont le coût de production sera, au moins à court terme, supérieur à celui des biens non respectueux de l’environnement.

Or, pour que de tels biens soient produits et consommés, il importe qu’un nombre suffisant de consommateurs puissent avoir les moyens de se les offrir. Compte tenu des inégalités actuelles et du faible revenu des plus modestes, il est à craindre que de nombreux consommateurs ne puissent se les payer. Donc, il faut augmenter les revenus des plus modestes pour garantir leur capacité à consommer des produits écologiquement vertueux et, finalement, assurer la réussite de la transition écologique.

Mais, au regard de la faible croissance, une augmentation radicale des revenus des plus modestes est peu probable. Il paraît plus crédible, selon Giraud, d’envisager une réduction des revenus des plus aisés, laquelle financerait l’augmentation des salaires des plus modestes. Plus précisément, Giraud préconise une réduction des inégalités de salaires dans un rapport de 1 à 12 : le plus favorisé dans une société ne devrait pas toucher un salaire plus de 12 fois plus élevé que le salaire le plus faible.

Ainsi, il y aurait une triple conciliation à avoir entre rentabilité, social et soutenabilité environnementale. C’est donc un regard pragmatique qu’il nous faut avoir sur l’économie de demain, loin des théories de la décroissance ou de celles d’une soutenabilité (très) faible, afin de bâtir de nouveaux modèles qui puissent encastrer – subtilement – l’économie dans l’écologie.