gouvernance

Voici une présentation détaillée de la gouvernance actionnariale. Cet article fait suite à celui présentant l’ensemble des types de gouvernance d’entreprise depuis le XIXe siècle, que tu retrouveras ici. Il est important de maîtriser ces concepts, qui peuvent apparaître lors de sujets d’oraux, en particulier à l’ESCP. Nous aborderons ici les limites de la gouvernance actionnariale et l’arrivée (balbutiante), ces dernières années, d’un nouveau type de gouvernance : la gouvernance partenariale.

Les fondements de la gouvernance actionnariale

Les fondements théoriques de la gouvernance actionnariale reposent sur les travaux libéraux de Milton Friedman (Capitalism and Freedom, 1962) et des théoriciens de l’agence. Ces derniers développent l’idée que la vocation de l’entreprise est de créer de la valeur uniquement pour les actionnaires, et ce, au nom de leurs apports en financement pour l’entreprise et des risques financiers qu’ils prennent. Leur rémunération est résiduelle, c’est-à-dire qu’elle n’est distribuée qu’après toutes les autres parties prenantes et elle n’est pas systématique. Les actionnaires sont également les seuls à même de replacer les profits dans d’autres entreprises et de les faire prospérer, permettant ainsi de nourrir le développement économique.

Friedman évoque la même idée en 1970, dans un article du New York Times intitulé The Social Responsibility of Business is to Increase its Profit. Il réagit à la décision du PDG de General Motors de créer un comité des questions sociales au sein de son conseil d’administration, malgré un vote négatif des actionnaires. Friedman soutient que si une entreprise prend des responsabilités sociales, cela nécessitera un financement qui réduira les profits, au détriment des actionnaires. Il dénonce que ce n’est pas le rôle des dirigeants d’entreprise de se substituer à l’État dans les responsabilités sociales, et que c’est à l’État d’établir des règles à cet égard. Nous verrons dans la suite de l’article que cette idée n’est plus du tout d’actualité aujourd’hui.

À partir des années 1980, les actionnaires ont acquis un pouvoir croissant

Ceci grâce à l’émergence d’une nouvelle industrie financière, alimentée par des fonds d’investissement qui attirent l’épargne des ménages. Notamment à travers l’apparition de l’assurance-vie. Cette évolution a conduit à la massification de l’actionnariat, avec ces fonds devenant parmi les principaux actionnaires des entreprises cotées en Bourse, détenant jusqu’à 25 % du capital des sociétés du CAC40 à la fin de 2018.

Cette transformation a eu des répercussions significatives sur la gouvernance des entreprises, les incitant à rivaliser pour attirer ces capitaux financiers. Ainsi, elles ont commencé à promettre des rendements financiers élevés, établissant une norme de rentabilité autour de 15 %. Cette pression s’est même étendue aux entreprises non cotées en Bourse, qui ont également dû offrir des rendements élevés.

En conséquence, les fonds d’investissement ont obtenu une place prépondérante dans les conseils d’administration, influençant les décisions prises et favorisant une gouvernance actionnariale. Ces administrateurs, n’ayant pas d’intérêt direct dans la société, sont rémunérés en fonction des profits générés par les fonds d’investissement qu’ils gèrent. Ce qui modifie les dynamiques de pouvoir entre actionnaires et dirigeants, les premiers devenant ainsi très actifs dans la gouvernance des entreprises.

Le lien entre gouvernance actionnariale et théorie de l’agence

Rappelons tout d’abord rapidement ce qu’est la théorie de l’agence. La théorie de l’agence explore les relations entre les parties prenantes dans une organisation, en mettant l’accent sur les conflits d’intérêts et les incitations. Les auteurs fondateurs de cette théorie sont Michael C. Jensen et William H. Meckling, dont l’ouvrage intitulé Theory of the Firm: Managerial Behavior, Agency Costs, and Ownership Structure (1976) a donné les bases de la théorie de l’agence.

Dans cet ouvrage, ils analysent la manière dont les divergences d’intérêts entre les propriétaires (actionnaires) et les gestionnaires (dirigeants) d’une entreprise peuvent conduire à des comportements qui ne maximisent pas nécessairement la valeur pour les actionnaires. Ils mettent en lumière les coûts d’agence. C’est-à-dire les coûts associés aux efforts déployés pour minimiser les conflits d’intérêts et aligner les objectifs des gestionnaires avec ceux des actionnaires. 

Nous allons voir maintenant ce que la théorie de l’agence préconise en matière de gouvernance (actionnariale) avec des exemples concrets.

Elle a inspiré la gouvernance actionnariale via des mesures qui favorisent le modèle shareholder

Séparation entre les pouvoirs exécutif et de surveillance

La première recommandation de la théorie de l’agence est la séparation accrue entre les pouvoirs exécutif et de surveillance. Dans de nombreux pays avancés, cette distinction s’est généralisée dès le début des années 1990 au sein des sociétés anonymes, avec l’établissement d’un directeur général et d’un président du conseil d’administration (président non exécutif qui ne dirige pas l’entreprise).

Auparavant, le PDG occupait souvent les deux rôles, combinant la direction et la surveillance. En France, la loi NRE (nouvelle régulation économique) de 2001 a institué cette distinction, permettant aux sociétés anonymes avec conseil d’administration d’adopter une séparation plus claire entre les pouvoirs exécutif et de surveillance. Cette loi a également limité le cumul des postes d’administrateurs à un maximum de cinq, afin de réduire les relations occultes et de renforcer la transparence dans la gouvernance d’entreprise.

Mise en place d’un système de rémunération des dirigeants incitatif

La théorie de l’agence préconise également la mise en place d’un système de rémunération des dirigeants incitatifs. Ce dernier étant conçu de manière à ne pas les encourager à se focaliser uniquement sur des indices de rentabilité à court terme.

Jean Tirole, représentant du courant de l’économie standard, notamment dans son ouvrage L’Économie du bien commun, soutient cette idée. Il est essentiel de concevoir des mécanismes de rémunération qui encouragent les dirigeants à viser le développement et la croissance à long terme de l’entreprise. Cela implique d’aligner les incitations des dirigeants avec les objectifs stratégiques à long terme de l’entreprise, plutôt que de les récompenser uniquement en fonction de performances financières immédiates.

Transparence dans la gouvernance

La théorie de l’agence préconise d’apporter davantage de transparence dans la gouvernance et de réduire l’asymétrie d’informations au sein des entreprises. À cet égard, des mesures ont été prises pour renforcer les règles de communication des informations aux actionnaires.

Cela fait suite à plusieurs scandales, notamment l’affaire Enron en 2001, où il a été révélé que les comptes du cabinet avaient été falsifiés. Après ces événements, les sociétés cotées en Bourse ont été contraintes de donner davantage d’informations aux actionnaires dans des délais plus stricts.

En 2002, la loi Sarbanes-Oxley a été promulguée aux États-Unis, renforçant les sanctions contre les dirigeants en cas de fraude et soumettant les cabinets d’audit à un contrôle par une instance publique. Ces mesures ont été prises pour restaurer la confiance des investisseurs et assurer une meilleure transparence dans la gouvernance des entreprises, en s’efforçant de réduire les risques liés à l’opacité et à la manipulation des informations financières.

Pression sur les dirigeants des entreprises peu performantes

Il faut aussi maintenir une pression sur les dirigeants des entreprises peu performantes. Dans les entreprises, plusieurs mécanismes sont en place, notamment les offres publiques d’achat (OPA) : lorsqu’une entreprise annonce publiquement son intention d’acquérir tout ou partie des actions d’une autre entreprise à un prix supérieur à celui du marché, cela peut être amical ou hostile. Les OPA, considérées comme une épée de Damoclès sur les dirigeants de la cible, incitent ces derniers à améliorer la gestion de leur entreprise afin de dégager davantage de valeur pour les actionnaires et d’éviter une acquisition.

Les fonds d’investissement activistes sont également des acteurs importants dans ce contexte. En acquérant une part du capital d’une entreprise, ils exercent des pressions publiques pour améliorer la valeur de l’entreprise, en suggérant des changements dans la gestion. Leur objectif est souvent d’obtenir des sièges au conseil d’administration pour influencer directement les décisions stratégiques.

Un exemple notable est celui d’Amber Capital et du groupe Lagardère, où Amber a cherché à obtenir la majorité au conseil de surveillance afin de remettre en question la gestion du dirigeant protégé par une structure de commandite par actions. Ces mécanismes contribuent à maintenir une pression constante sur les dirigeants pour une meilleure performance et une création de valeur accrue pour les actionnaires.

Conclusion

Selon Michel Aglietta et Renaud du Tertre dans leur rapport du CEPII (Quelle gouvernance d’entreprise pour la transition énergétique et écologique ?, 2023), la gouvernance actionnariale peut être résumée comme suit : 

  • Objectif de la société : « Maximisation du rendement des actions sur le marché boursier. »
  • Structure du conseil d’administration et contrôle des managers : « Actionnaires passifs ou activistes selon les fonds, administrateurs indépendants. »
  • Influence financière sur les sociétés : « Liquidité des actions facilitant des fusions et acquisitions, rachat d’actions et LBO. Les P.-D.G. sont attirés par des salaires élevés et des options. »
  • Type de capitalisme : « Actionnariat dispersé ou prédateur. »