agriculture

D’après un rapport de l’OCDE et de la FAO, l’Amérique latine et les Caraïbes devraient représenter plus de 25 % des exportations mondiales de produits agricoles et halieutiques d’ici 2028. Cette région, véritable grenier du monde, fait de l’agriculture un secteur clé pour son développement économique. Mais si ce potentiel semble être une opportunité, il s’accompagne également de nombreux défis. Cet article propose d’explorer dans un premier temps les bénéfices de l’agriculture en Amérique latine, avant d’analyser ses conséquences négatives, puis d’envisager les alternatives possibles pour un développement pérenne.

L’agriculture, un secteur stratégique pour le développement des pays latino-américains

Un moteur économique majeur

L’agriculture est au cœur de l’économie latino-américaine. Dans des pays comme le Brésil, l’Argentine ou l’Uruguay, elle représente une part importante du PIB et constitue un pilier des exportations. Grâce à des conditions naturelles favorables, l’Amérique latine produit une large gamme de produits agricoles, allant des céréales (soja, maïs) aux produits tropicaux (café, cacao, fruits tropicaux), en passant par l’élevage bovin et avicole.

Le soja est devenu le symbole de cette puissance agricole. Le Brésil, premier producteur mondial, en a récolté 156 millions de tonnes en 2022-2023. Cela équivaut à cinq fois la production européenne de soja. En 2022, cet « or vert » a rapporté 61 milliards de dollars au pays, représentant près de 20 % de ses exportations.

La diversification des cultures a permis à plusieurs pays d’élargir leur offre et de mieux répondre à la demande mondiale. Par exemple, en Bolivie, la production de quinoa s’est intensifiée pour conquérir le marché international. De même, alors que le café représentait 60 % des exportations brésiliennes en 1955, il ne représente plus que 7 % des exportations aujourd’hui, remplacé par le soja, le maïs et l’élevage. Ainsi, le Brésil est le deuxième exportateur mondial de bœuf et de volaille.

Certains pays latino-américains sont donc en mesure de répondre à une forte demande mondiale en ressources agricoles, venant de la part de la Chine et de l’Europe notamment. Le processus s’est par ailleurs largement industrialisé pour augmenter la productivité. Cela a donné naissance à une puissante industrie agroalimentaire, axée sur la transformation des produits bruts en produits finis à haute valeur ajoutée (comme le café soluble et les jus de fruits).

L’agriculture comme instrument de puissance géopolitique

L’agriculture latino-américaine joue également un rôle stratégique sur la scène géopolitique. La sécurité alimentaire et la production de certains pays peuvent en effet dépendre d’exportations. Posséder de nombreuses ressources agricoles peut donc représenter un véritable atout dans les relations internationales.

Reprenons notre exemple du Brésil. Ce pays bénéficie d’une demande chinoise considérable, représentant près de 80 % de ses exportations de soja. Cette dépendance a renforcé les liens diplomatiques et commerciaux entre les deux pays. La Chine accorde une attention particulière à sa relation avec le Brésil, consciente que le soja est une ressource cruciale pour son économie. L’agriculture peut donc devenir un élément stratégique qui façonne de nouvelles alliances géopolitiques.

L’agriculture au service de la réduction de la pauvreté

L’agriculture constitue une source d’emplois majeure, directement et indirectement, pour des millions de personnes à travers la région. Environ 70 millions de travailleurs œuvrent dans l’agriculture en Amérique latine, un secteur qui représente une part importante de l’emploi dans les zones rurales.

Les projets de développement rural ont aussi émergé dans plusieurs pays latino-américains pour soutenir les petits producteurs et favoriser leur intégration. Les recettes issues des exportations agricoles ont permis de financer des politiques sociales, contribuant ainsi à augmenter les revenus des ménages agricoles et à réduire les écarts de pauvreté.

Mais dont les conséquences peuvent s’avérer néfastes

Une dépendance accrue aux exportations

Si l’agriculture constitue un atout économique et géopolitique pour de nombreux pays d’Amérique latine, elle est également source de fragilité structurelle, notamment en raison de la dépendance croissante aux exportations. Cette dépendance repose sur une spécialisation excessive dans la production de quelques matières premières agricoles, telles que le soja, le sucre ou la viande bovine, exposant ces pays aux fluctuations imprévisibles des prix mondiaux.

Ce phénomène s’inscrit dans la logique de la loi de King, selon laquelle les prix des matières premières agricoles réagissent de manière disproportionnée aux variations de la demande : une légère hausse de la demande peut provoquer une flambée des prix, tandis qu’une baisse modérée entraîne leur effondrement. Cette volatilité fragilise les économies agricoles latino-américaines, en particulier les pays comme l’Argentine qui est fortement dépendante de l’exportation de soja et de céréales. Les fluctuations des prix des grains provoquent une instabilité économique, rendant difficile toute planification à long terme.

Par ailleurs, la dépendance aux marchés internationaux limite la souveraineté économique des pays concernés. Ils restent vulnérables face aux décisions stratégiques de leurs partenaires commerciaux. La Chine, par exemple, cherche à réduire sa dépendance au Brésil. Selon Larissa Wachholz, Pékin a lancé en 2022 un plan visant à augmenter de 40 % ses rendements agricoles et pourrait même développer la culture du soja en Afrique pour diversifier ses approvisionnements. Cette décision menace directement le modèle économique brésilien, dont une part des exportations repose sur cette relation privilégiée avec la Chine.

Un impact désastreux sur l’environnement

Si l’agriculture intensive a contribué à la croissance économique des pays d’Amérique latine, son impact environnemental est alarmantLa déforestation, la perte de biodiversité, l’appauvrissement des sols et les émissions massives de gaz à effet de serre sont autant de conséquences liées à l’expansion des terres agricoles.

Alors que la nature est au cœur de l’identité et de l’histoire latino-américaines, l’agriculture est à l’origine de 70 % de la déforestation en Amérique latine. La biodiversité est fortement menacée par la destruction de ces écosystèmes.

En parallèle, l’agriculture intensive aggrave la crise climatique. Le déboisement libère des quantités importantes de CO₂, contribuant au réchauffement climatique. Dans le Cerrado, chaque degré supplémentaire de température pourrait réduire les rendements du soja de 6 %, selon l’Institut de recherche environnementale de l’Amazonie. Les phénomènes climatiques extrêmes, tels que les sécheresses et les inondations, se multiplient, rendant les productions toujours plus vulnérables.

Par ailleurs, l’utilisation massive de pesticides constitue une réelle menace. Chaque année, 600 millions de litres de pesticides sont déversés sur le Cerrado. Les conséquences sur les écosystèmes et la santé des populations sont très mauvaises.

Un système révélateur d’inégalités

Bien que l’agriculture ait permis la réduction d’inégalités, elle en a aussi exacerbé certaines.

L’Argentine, troisième producteur mondial de soja, illustre ce point. 37 % des Argentins vivent en situation d’insécurité alimentaire, un paradoxe pour une nation si riche en ressources agricoles. La sécheresse de 2023, particulièrement dévastatrice, a rappelé la fragilité de ce modèle, aggravant la crise sociale et économique dans un pays déjà marqué par le mal-développement et la dépendance aux aléas climatiques.

Malgré les appels récurrents à une réforme agraire, les tentatives de redistribution des terres se sont souvent heurtées à des obstacles politiques et sociaux. Si la réforme agraire est un préalable nécessaire, elle reste insuffisante sans politiques complémentaires visant la pacification, la stabilisation politique et le développement industriel parallèle à l’urbanisation. Or, ces conditions ne sont réunies nulle part de manière durable (en savoir plus ici).

La nécessité de repenser l’agriculture pour un développement pérenne

Intégrer des principes de durabilité pour préserver l’avenir agricole

Face aux multiples défis environnementaux auxquels l’Amérique latine est confrontée, repenser les pratiques agricoles devient une priorité absolue. La dépendance aux monocultures et la déforestation massive liée à l’expansion agricole menacent les écosystèmes locaux et la capacité du secteur à se maintenir à long terme.

Le développement de techniques agricoles plus durables, comme l’agroécologie et l’agriculture régénérative, pourrait offrir une réponse à ces défis. Ces approches privilégient une gestion écologique des sols, la rotation des cultures et la réduction des intrants chimiques, afin de préserver la fertilité des terres tout en améliorant la résilience des systèmes agricoles face au changement climatique.

Des initiatives ont déjà été prises pour freiner la déforestation et préserver la Pachamama, la Terre mère. En Équateur, la Constitution est très avancée en matière d’environnement : elle reconnaît la nature comme un sujet de droit et restreint les activités qui détruisent les écosystèmes ou altèrent de façon permanente les cycles naturels.

Réviser le modèle pour limiter les tensions

Le modèle agricole actuel peut générer certaines tensions, comme l’a montré l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur. Finalisé après plus de deux décennies de négociations, cet accord suscite un vif débat, notamment en raison de ses potentielles conséquences pour le secteur agricole européen et sud-américain. Il prévoit l’élimination progressive de la plupart des droits de douane, facilitant l’importation de produits agricoles à des tarifs préférentiels.

Cela suscite donc des craintes de la part des agriculteurs européens qui redoutent une concurrence déloyale face aux produits sud-américains, souvent issus de pratiques agricoles moins encadrées sur les plans sanitaires et environnementaux.

Conclusion

L’agriculture est un véritable enjeu pour l’Amérique latine puisqu’elle est à la fois vectrice de développement et source de déstabilisation. Le débat sur l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur et les politiques protectionnistes envisagées par Trump soulignent l’importance de ce secteur pour la souveraineté et la stabilité des pays.

 

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