Que ce soit dans l’actualité ou l’histoire, presque chaque crise majeure latino-américaine est accompagnée de l’action des armées nationales. Plus que sur n’importe quel continent, il existe un lien étroit entre population, gouvernement et forces armées. Cet article te permettra de comprendre l’évolution de la place et du rôle des armées nationales au sein de la politique en Amérique latine.

Contrairement à l’Europe où l’armée n’existe pas en politique, les forces armées en Amérique latine sont presque toujours présentes dans la vie politique, encore aujourd’hui. Beaucoup de dirigeants ont d’ailleurs un passé militaire (Jair Bolsonaro, ancien parachutiste). L’armée est légitime pour une partie de la population et omniprésente dans le maintien de l’ordre public, y compris dans la sécurité urbaine, pourtant habituellement réservée à la police.

I. Le temps des dictatures militaires

A. Le rôle de l’armée et le contexte historique

Dans les années 1960 et 1970, les militaires sont vus comme les porteurs de l’intérêt général : leur objectif est de mettre de côté une oligarchie incapable de rétablir la paix mise en péril par les guerres civiles et de développer le pays (Pérou, Honduras, Salvador, Guatemala).

En effet, c’est à cette époque que de nombreux coups d’État ont lieu, menés par un caudillo (leader militaire qui usurpe le pouvoir par un coup d’État), les forces militaires se substituant à un État faible et s’incarnant comme garantie de la souveraineté populaire et symbole de la nation (pronunciamiento, hérité du XIXe siècle).

C’est le cas par exemple au Brésil où commence la révolution antimarxiste qui porte au pouvoir une dictature militaire de 1964 à 1985, soutenue par le peuple. De plus, depuis l’arrivée de Fidel Castro en 1959, les États-Unis cherchent à éradiquer la vague communiste en Amérique latine, en apportant notamment leur soutien aux juntes anticommunistes, à l’instar du Chili de Pinochet.

B. Les différents types de régimes militaires

Les régimes militaires alors mis en place suivent des trajectoires différentes qui peuvent être séparées en deux catégories :

  • D’un côté, les dictatures dites progressistes ou de gauche : la Bolivie et le Pérou en sont deux exemples. Au Pérou en 1968, des militaires, sous le commandement de Juan Velasco Alvarado, renversent le président Terry et instaurent un régime dictatorial nationaliste. Ils mettent en place une réforme agraire et nationalisent les domaines pétroliers, miniers et agricoles. Bien que de gauche, ces régimes n’en restent pas moins dictatoriaux et bureaucratiques.
  • De l’autre, les dictatures anticommunistes, par exemple au Chili, en Uruguay ou en Argentine : la dictature militaire en Uruguay débute en 1973 et dure douze ans. Elle interdit entre autres la formation de partis de gauche et est un soutien actif du régime de Pinochet. Ces dictatures ont souvent été aidées par le gouvernement américain dans le cadre de la guerre froide.

En 1980, les deux tiers de la population en Amérique latine vivent sous un régime militaire.

II. Les forces armées dans le monde post-guerre froide

A. Une évolution du rôle de l’armée et de ses méthodes

La fin de la guerre froide et l’échec des dictatures militaires laissent place à une nouvelle ère pour l’armée : même si la classe militaire reste très présente au niveau du pouvoir politique, les méthodes changent, et ceux qui aspirent au pouvoir utilisent le système électoral et démocratique pour y accéder.

Hugo Chavez, par exemple, tente d’accéder au pouvoir au Venezuela par un coup d’État vain en 1992, mais devient président en 1998 par les urnes. Il place au pouvoir certains de ses amis qui appartiennent à la classe militaire, mais cela ne signifie pas pour autant que l’armée est au pouvoir. On assiste ainsi à un changement de paradigme : l’armée, si elle reste omniprésente dans la vie politique, se voit obligée de se plier aux évolutions du continent.

Contre toute attente et malgré les périodes sombres des juntes militaires et les débordements lors de manifestations (par exemple lors du massacre de Caracas en 1989), l’armée n’est pas discréditée aux yeux de la population. La priorité étant la sécurité, elle reste le symbole de la souveraineté populaire et la garantie de l’intégrité de la nation.

B. Une démilitarisation de l’Amérique latine ?

Depuis quelques années, on assiste à une marginalisation relative du rôle des forces armées dans la vie politique en Amérique latine, notamment par le biais d’une réduction des budgets militaires : au Chili par exemple, on passe de 11 % à 3 % du PIB. En juin 2019, le Parlement met fin à l’affectation automatique de 10 % des revenus issus de l’exportation de cuivre aux trois branches des forces armées. Dans certains pays, l’armée n’est désormais responsable que de la sécurité extérieure.

Pourtant, de nombreux autres exemples s’opposent à cette tendance : au Mexique, AMLO crée la Garde nationale, chargée de la sécurité intérieure et surtout de la lutte antidrogue. En Bolivie, la destitution d’Evo Morales par les forces armées replace la question militaire au centre du débat politique. Au Brésil, où désormais neuf ministres sur vingt-deux sont des militaires, Bolsonaro clame sa nostalgie de la dictature.

En outre, la vague de troubles qui a secoué l’Amérique latine en 2019 et 2020 a favorisé l’intervention des forces armées dans la vie civile : Lenín Moreno en Équateur a cherché à imposer de nouvelles mesures néolibérales en s’appuyant sur l’intervention répressive de l’armée, la répression et l’état d’urgence ont été décidés par Piñera au Chili suite aux protestations « no son 30 pesos, son 30 años », qui intervenaient en réaction à l’augmentation du prix du ticket de métro.

Partout, des décisions contradictoires quant à l’implication de l’armée dans la vie de la nation mettent en valeur le lien encore étroit qui existe entre population, gouvernement et armée, ainsi que la difficulté à défaire des liens historiquement très forts entre ces trois composantes de la nation. Se passer d’armée suppose que l’État fonctionne de manière autonome et rationnelle, ce qui est loin d’être le cas dans la majorité des pays latino-américains. Seul le Costa Rica ne possède pas d’armée, depuis 1949.

En somme, même si le rôle de l’armée en Amérique latine a fortement évolué et que certaines mesures de démilitarisation ont récemment été prises, l’implication des forces armées dans la vie politique et urbaine des pays latino-américains, due d’une part à l’incapacité des États à instaurer la stabilité, et d’autre part à la confiance vouée par le peuple aux forces militaires, reste très forte.

Retrouve ici des informations annexes sur l’influence des États-Unis en Amérique latine pendant la guerre froide, ainsi que toutes nos ressources pour préparer les épreuves d’espagnol.