Nous poursuivons notre bilan de la situation politique en Amérique latine, de 1929 à nos jours. Le troisième épisode portait sur les conséquences des mesures libérales imposées pendant la crise. Au programme de ce quatrième épisode : les points de convergence et de divergence des gauches au pouvoir en Amérique latine au début du XXIe siècle. Bonne lecture !
Épisode 4 : quelles sont les divergences entre « les gauches » ?
Le début des années 2000 marque un point de rupture radicale dans la vie politique latino-américaine. Non seulement les partis de gauche vont progressivement balayer l’ensemble des gouvernements d’inspiration libérale, mais ils vont, fait unique, manifester des résistances face à la mondialisation et l’hégémonie américaine. Avant de s’attacher plus en détail aux caractéristiques de ces gauches, évoquons d’abord la formidable rapidité avec laquelle ce sentiment réformiste s’est propagé.
La diffusion de la « vague rose »
Comme nous avons tenté de l’expliquer dans le troisième épisode de notre série, ce caractère subversif de la « vague rose » fait suite à l’inaptitude des politiques à décemment faire face à la montée des inégalités. Ceci étant dit, on remarque que les fortes protestations sociales – qui se sont multipliées à mesure que les disparités de revenus s’accroissaient – ont eu également un rôle prédominant à jouer dans l’accession au pouvoir des leaders socialistes.
L’exemple phare est celui de la Bolivie qui, en 2000, s’est opposée massivement (et avec une certaine violence) à la privatisation du système municipal de gestion de l’eau. De ces mouvements ont pu émerger des figures politiques majeures ; ce fut le cas de l’ancien syndicaliste bolivien, Evo Morales, qui devint président de 2006 à 2019.
La vague progressiste ne se limite toutefois pas à la Bolivie. En 2000, on dénombrait uniquement deux pays qui étaient gouvernés par la gauche, et quelques années plus tard cette même gauche est au pouvoir dans presque tous les pays à l’exception du Mexique, de la Colombie et de quelques États d’Amérique centrale. Ce virage est ainsi totalement inédit et signe, pour la première fois depuis 60 ans, le retour de leaders socialistes au pouvoir.
Pays | Présidents de gauche | Dates des mandats |
---|---|---|
Argentine | N. Kirchner C. Kirchner | (2003-2007) (2007-2015) |
Bolivie | E. Morales | (2006-2019) |
Brésil | L. Lula D. Roussef | (2003-2011) (2011-2016) |
Chili | R. Lagos M. Bachelet | (2000-2006) (2006-2010) |
Équateur | R. Correa | (2007-2017) |
Guatemala | A. Colom | (2008-2012) |
Honduras | M. Zelaya | (2006-2009) |
Nicaragua | D. Ortega | (2007- en cours) |
Paraguay | F. Lugo | (2008-2012) |
Pérou | O. Humala | (2011-2016) |
Salvador | M. Funes | (2009-2014) |
Uruguay | T. Vazquez J. Mujica | (2005-2010) (2010-2015) |
Venezuela | H. Chavez | (1999-2013) |
Plusieurs nuances de gauche : modérée vs contestataire
Si ces gauches apparaissent unies sur la scène régionale (différents projets d’intégration), il n’en reste pas moins vrai que ces dernières sont empreintes de divergences. De manière générale, les médias distinguent deux gauches : la gauche modérée et la gauche contestataire. Même si cette typologie est imparfaite, nous retiendrons cette approche puisqu’il s’agit de celle retenue dans l’ouvrage Leftist Governments in Latin American: Successes and Shortcomings sur lequel nous nous appuierons beaucoup.
Comme explicité dans l’introduction de l’ouvrage, ces deux formes de gouvernement de gauche vont accepter la démocratie et dans une certaine mesure le capitalisme comme étant le meilleur mode de développement. Toutefois, la nuance fondamentale entre ces deux gouvernances réside dans :
- le degré d’implication de l’État,
- leur approche du bien-être,
- leur niveau de préférence pour les formes de démocratie (libérale ou participative).
Comme le souligne Kurt Weyland, les gouvernements modérés, comme le Chili et le Brésil, considèrent que la croissance économique axée sur le marché et la stabilité macroéconomique ne sont pas les deux seuls éléments essentiels au développement d’un pays ; l’équité sociale doit également être un objectif. Le mode privilégié de gouvernance est la « démocratie libérale » où les changements sont négociés de manière progressive avec les groupes d’opposition.
À l’inverse, les gouvernements radicaux de gauche, comme le Venezuela et la Bolivie, vont chercher à accélérer la transformation en procédant à des nationalisations ou en ayant tendance à faire preuve d’une certaine « hétérodoxie budgétaire » (accroissement significatif des dépenses publiques, notamment sociales). Dans ces pays, la démocratie directe est plébiscitée et la mise en place d’assemblées et de référendums constitutionnels est souvent la règle. Par ailleurs, notons que le populisme n’est pas l’apanage de la gauche contestataire. Bien des exemples montrent que d’autres politiciens à l’instar de Néstor Kirchner, Lula (gauche brésilienne « modérée »), voire de Juan Manuel Santos (droite colombienne), n’échappent pas à ce style.
Pour poursuivre la lecture de ce bilan politique, rendez-vous au prochain épisode où nous analyserons les bilans économiques de la gauche en Amérique latine.