drogue

Fin octobre 2024, les douanes espagnoles du port d’Algésiras ont mis la main sur 13 tonnes de cocaïne. C’est la plus grande saisie de drogue dans l’histoire du pays. Dissimulée dans un conteneur rempli de bananes, sa provenance a de quoi surprendre : l’Équateur. Premier producteur mondial de bananes, le pays est traditionnellement connu pour sa biodiversité exceptionnelle, sa richesse culturelle et son emplacement géographique singulier (en témoigne le célèbre monument La Mitad del mundo. Désormais, l’Équateur rime avec violence, insécurité, guerres entre gangs, assassinats, corruption, trafic de drogue. Une véritable « mexicanisation » du pays s’est opérée en l’espace d’une décennie. Si les raisons sont multiples et complexes, je te propose dans cet article de s’arrêter sur l’essor du trafic de drogue dans le pays.

Quelques éléments pour commencer

  • L’Équateur partage ses frontières avec la Colombie et le Pérou. Ces deux pays produisent à eux deux plus de 80 % de la cocaïne mondiale. En ajoutant la Bolivie, les trois pays représentent 90% de la production mondiale.
  • On estime que plus de 50 % de la production colombienne finit en Équateur chaque année. 
  • Le pays possède une large façade sur l’océan Pacifique. On peut retenir quatre ports principaux (du Nord au Sud) : Esmeraldas, Bolívar, Guayaquil et Manta. 

Ports Équateur

  • L’Équateur exporte chaque semaine plus de 6,5 millions de cagettes de bananes. 
  • Sur les 300 000 conteneurs au départ du pays, seulement 20 % sont contrôlés
  • Le taux d’homicides a triplé en deux ans. 

Taux d'homicides en Équateur

Depuis les années 2000, l’Équateur est convoité par les cartels et les mafias du monde entier

Dans un contexte de « guerre de la drogue » menée par le Mexique de Calderón, les cartels mexicains, et notamment le cartel de Sinaloa, cherchent à délocaliser une partie de leur activité. Ils ont besoin d’une nouvelle base logistique. Le pays doit réunir certaines conditions. Ses frontières doivent être perméables pour faciliter l’acheminement de drogue depuis les pays producteurs. Le blanchiment d’argent doit être relativement facile et les autorités facilement corruptibles. Enfin, les forces de sécurité ne peuvent être trop importantes et efficaces. L’Équateur répond à tous ces critères et possède un avantage non négligeable : en 2000, sous la présidence de Jamil Mahuad, le pays adopte le dollar américain comme monnaie officielle pour stabiliser l’économie.

La transformation du pays s’accélère durant les années 2010. Opposés à la signature d’un accord de paix avec le gouvernement colombien, des dissidents des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) s’installent en Équateur. Il convient de rappeler que les FARC se finançaient en grande partie via le trafic de drogue. Certains ex-combattants s’organisent autour des vestiges de la faction Frente 48, connue pour son implication dans la production et la distribution de cocaïne. 

L’arrivée du Cartel de Jalisco Nueva Generación (CJNG) et de la mafia albanaise marque un point de non-retour en Équateur

Deux dynamiques sont à prendre en compte.

Tout d’abord, la guerre entre le CJNG et le cartel de Sinaloa. En pleine ascension au Mexique, le CJNG cherche à s’installer partout où est déjà implanté le cartel de Sinaloa. La raison de l’arrivée de la mafia albanaise est tout autre. L’Europe est le nouveau marché à conquérir pour les narcotrafiquants. La demande de cocaïne et d’autres drogues dures explose littéralement, avec une croissance annuelle supérieure à celle des États-Unis. De plus, les prix au kilo s’envolent en Europe, avec une moyenne autour de 70 000 € le kilo, contre 30 000 $ aux États-Unis. Actuellement, 30 % des exportations de cocaïne depuis l’Équateur sont à destination de l’Europe.

À la suite de ces arrivées, les cartels tissent des liens avec les gangs locaux. Les deux principales sont Los Choneros et Los Lobos qui, en quelques années, passent du statut de simples bandes à celui d’organisations criminelles. Rivalité oblige, Los Choneros ont le soutien du cartel de Sinaloa, tandis que Los Lobos sont soutenus par le CJNG et les Albanais.

Los Lobos, l’une des principales organisations criminelles d’Équateur

Los Lobos est aujourd’hui la deuxième plus grande organisation criminelle d’Équateur, avec plus de 8 000 membres. Sous la direction d’Alexander Quesada, alias Ariel, Los Lobos contrôlent plusieurs régions, notamment Cuenca, Latacunga, et des prisons clés, comme celle de Turi. Leur influence s’étend aussi aux provinces de Cotopaxi, Guayas et Esmeraldas. Grâce à la corruption des autorités pénitentiaires, les leaders emprisonnés continuent de gérer leurs opérations à l’intérieur et à l’extérieur des prisons.

L’histoire des Lobos est intimement liée à l’effondrement des Choneros, le groupe criminel historique du pays. En 2020, après l’assassinat de Jorge Luis Zambrano, alias Rasquiña, alors leader des Choneros, Los Lobos ont pris la tête d’une coalition appelée « Nueva Generación ».

Los Lobos se distinguent par leurs alliances internationales, notamment avec le CJNG et des groupes albanais. En Équateur, ils dominent le trafic de cocaïne du fait de leur assise sur les principaux ports. En plus du narcotrafic, ils pratiquent l’extorsion (la vacuna), les assassinats ciblés et la protection d’activités minières illégales, comme l’extraction d’or en Imbabura.

Los Lobos sont impliqués dans de nombreux massacres en prison, notamment en 2021, où des affrontements ont causé la mort de plus de 315 détenus. Des mutineries, comme à Guayaquil (119 morts en septembre 2021) et à Bellavista (44 morts en mai 2022), illustrent la brutalité de ces luttes. 

Focus sur Durán, l’une des villes les plus violentes d’Amérique latine

Durán, une ville de 300 000 habitants, est devenue un épicentre de la criminalité en Équateur. Située à proximité de Guayaquil, Durán est désormais un carrefour pour le trafic de cocaïne et un champ de bataille pour les gangs rivaux, notamment les Chone Killers (bras armé de Los Choneros) et les Latin Kings (alliés de Los Lobos) .

Les affrontements entre les deux bandes ont provoqué une augmentation dramatique des homicides, avec un taux de 147 pour 100 000 habitants en 2023, soit trois fois la moyenne nationale​. Signe d’une mexicanisation de la ville et, a fortiori, du pays : les gangs pendent les corps des victimes dans des lieux publics afin de marquer leur territoire.

Comment s’organise le trafic ? 

La situation géographique et le modèle économique du pays sont du pain béni pour l’exportation de drogues vers les États-Unis et l’Europe. Une immense majorité de la contrebande transite dans des conteneurs transportant des denrées agricoles, notamment des bananes. On l’a vu, seuls 20 % des conteneurs sont inspectés par les douanes. De plus, en raison d’un manque de moyens techniques et financiers, les contrôles se font exclusivement à l’aide de chiens renifleurs et non avec des scanners.

En provenance de Colombie, la cocaïne ne doit pas rester plus d’une semaine sur le territoire équatorien. C’est donc une véritable course contre la montre qui se met en place pour les contrebandiers locaux. La stratégie est celle de la contaminación.

On distingue quatre modes opératoires :

  • Le premier consiste à introduire la drogue sur site, c’est-à-dire pendant le chargement de la marchandise licite. 
  • Le deuxième consiste à arrêter un camion en mouvement pour soudoyer et/ou menacer le chauffeur
  • Le troisième se fait directement sur le port avec l’aide d’un docker corrompu qui descelle le conteneur.
  • Le dernier se résume à intercepter un cargo en sortie de port pour y introduire la drogue au détriment du transporteur

Quel bilan pour le pays ?

Je te laisse lire ces deux articles pour connaître la situation actuelle en Équateur :

 

Cette partie va essentiellement évoquer la corruption et l’emprise des narcotrafiquants sur l’appareil étatique. 

Depuis trois décennies, le crime organisé mène un travail de longue haleine afin de contrôler le pays. Les narcotrafiquants ont réussi à pénétrer les quatre piliers fondamentaux de l’État équatorien : la structure gouvernementale (financement des campagnes présidentielles), la justice (nombre de juges et procureurs travaillent (in)directement pour le narcotrafic), les forces de sécurité (pour être au courant d’une quelconque opération à leur encontre) et la classe sociale (en faisant élire des fidèles aux conseils municipaux).

Ce phénomène a un nom : la narcopolitique. En outre, l’appareil étatique est si corrompu que beaucoup de journalistes, menacés de mort par les cartels, refusent de demander de l’aide à l’État par peur de représailles. C’est le cas du journaliste qui a révélé les possibles liens entre le président Guillermo Lasso et la mafia albanaise. 

La mafia albanaise, au cœur du pouvoir équatorien ?

Selon les médias locaux, la campagne présidentielle de Guillermo Lasso en 2021 aurait été financée à hauteur de 1,5 million de dollars par des groupes liés à la mafia albanaise. Les accusations se fondent sur des écoutes téléphoniques indiquant des liens avec des figures de la mafia albanaise.


Cette organisation criminelle est également accusée de blanchiment d’argent via des entreprises publiques équatoriennes. Des proches de Lasso, tels que Ruben Cherres, trouvé mort en 2023, étaient présumés impliqués dans ces activités. Bien que des preuves aient été révélées, ces enquêtes ont été classées sans suite. Des critiques affirment que cette décision découle de pressions politiques.

Vocabulaire

  • el alijo : marchandise de contrebande
  • un ajuste de cuentas : règlement de compte
  • procesar : transformer/traiter une marchandise
  • una pandilla : bande/gang
  • una denuncia : une plainte
  • un sicario : tueur à gages
  • un asesinato : un assassinat
  • una matanza : une tuerie
  • un motín : une mutinerie
  • un tiroteo : fusillade
  • incautar: saisir (marchandise)
  • una incautación : une saisie
  • sobornar : corrompre/ soudoyer
  • dar un vuelco : se renverser (la situation)

 

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