Colombie

Le 9 juin 2023 a été un jour clé pour le Président colombien Gustavo Petro, puisqu’il a réussi à négocier un cessez-le-feu avec l’ELN (Ejército de Liberación Nacional). Ce dernier étant un des mouvements de guérilla les plus puissants du pays ayant longtemps empêché la mise en œuvre du processus de paix dans le pays. Si cet accord s’inscrit dans la promesse de paz total engagée par Petro pendant sa campagne présidentielle, il ne permet pas de résoudre tous les problèmes de guérilla et de violence. D’autres groupes armés sévissent en effet encore dans le pays. De plus, la crise politique et la désapprobation populaire auxquelles est confronté le premier Président de gauche de Colombie compliquent ses chances de mise en œuvre de cette paix.

Je te propose donc d’abord un récapitulatif historique de la lutte contre la guérilla en Colombie, puis une description du processus de paz total et enfin, je te présenterai les enjeux qu’elle représente aujourd’hui.

Histoire de la lutte contre les groupes armés

Le conflit armé en Colombie commence dans les années 1960, plus précisément en 1964 avec la naissance du mouvement FARC (Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia). Ce groupe révolutionnaire d’inspiration marxiste vise alors à protéger les agriculteurs et le monde rural de la violation de leur droit par l’État. Progressivement, ce groupe s’étend et tire ses ressources du narcotrafic, faisant de lui un groupe puissant et inquiétant.

Face à cette menace, les premières réponses ont été la violence

Des groupes paramilitaires sont créés en 1970 afin de lutter contre ces groupes armés, mais en utilisant les mêmes méthodes que les FARC. D’autre part, le gouvernement colombien opte, comme d’autres gouvernements tels que le Mexique, pour une politique de lutte effrénée contre le narcotrafic, en coopérant étroitement avec les États-Unis, comme le montre cet article sur le narcotrafic en Amérique latine.

Les États-Unis, ayant créé la DEA (Drug Enforcement Administration) en 1973, aident à la formation d’unités anti-narcotrafic, brûlent les sites de production de drogue et fournissent le matériel militaire pour cette lutte. Tout ceci s’inscrit dans le cadre du Plan Colombia signé en 2000 entre les États-Unis et la Colombie. Avec l’arrivée au pouvoir d’Álvaro Uribe en 2002, cette lutte se transforme en véritable guerre.

Cependant, l’efficacité de cette guerre frontale a été pour le moins assez controversée, car elle n’a pas suffi à mettre un terme au conflit armé. On observe alors un changement complet de stratégie de la part du président Juan Manuel Santos (2010-2018). Ce dernier entame des négociations de paix avec les FARC, dans un contexte où la guérilla est fortement affaiblie. Un premier accord de paix établi en septembre 2016 est d’abord rejeté par la population qui ne peut accepter l’amnistie proposée aux anciens révolutionnaires ainsi que leur participation au sein de la vie politique. Finalement, un accord de paix est signé en novembre 2016 avec les FARC, marquant une étape clé vers la paix.

L’arrivée d’Ivan Duque à la tête de la Colombie en 2018 freine ce processus, voire le remet en cause

Fidèle à l’idéologie politique d’Uribe, l’uberismo, il reprend une politique agressive envers la lutte armée et détériore par conséquent la situation. En janvier 2019, le groupe ELN fait exploser une bombe dans un centre de formation policière, tuant 22 personnes. De plus, sous son mandat, le nombre de membres dans les groupes armés a quasiment doublé : l’ELN passe de 2 600 membres à 5 000, selon La Silla Vacía.

Au total, selon la Commission de la vérité et de la réconciliation colombienne, on ne compte pas moins de 450 000 morts et huit millions de déplacés en raison du conflit armé en Colombie. Ce conflit a été amplifié par des cas de violation des droits humains par les deux camps (tu peux retrouver le détail d’un cas dans cet article).

La paz total de Petro

En quoi consiste la paz total ?

Tu l’auras compris, la tâche de Petro est d’une ampleur phénoménale, dans un pays meurtri et traumatisé par le conflit armé. Son projet se devait donc d’être ambitieux, d’où le nom de paz total. Arrivé en juin 2022 avec sa vice-présidente Francia Márquez, symbole d’un tournant progressiste dans le pays, il consacre une partie importante de son programme à l’accomplissement de l’accord de paix avec des groupes armés tels que l’ELN.

De plus, son programme de réforme agraire s’inscrit dans ce projet. En effet, selon le PNUD, 1,5 % de la population possède 52 % des terres. Cette forte inégalité et l’absence de régulation par l’État sont des causes importantes de la guérilla. Petro vise donc à apporter plus de justice sociale et de productivité par sa réforme agraire sans expropriation. Il propose une taxe foncière ainsi qu’une aide à l’activité productive.

En octobre 2022, la ley de la paz total a été approuvée par la Chambre des Représentants à 125 votes pour et 13 contre. El País résume en plusieurs points clés cette loi :

  • le processus de paix se fait avec deux stratégies. La première est la négociation avec les groupes qui possèdent un statut politique (ELN). La seconde est la soumission des groupes qui n’en possèdent pas un (Los Combos) ;
  • la loi devient une politique prioritaire pour l’État et, par conséquent, elle concerne tous les secteurs du gouvernement ;
  • le service social redevient obligatoire : les jeunes devront donner de leur temps dans la lutte écologique, l’assistance aux personnes victimes du conflit armé, etc. ;
  • elle redéfinit des conditions de négociation avec les groupes armés : la suspension des avis de recherche des négociateurs des groupes, la remise anonyme d’armes contre une aide financière, par exemple.

Réussites, échecs et défis

Le processus pour arriver à l’accord de paix avec l’ELN le 9 juin n’a pas été de tout repos pour Petro. Il héritait donc, de son prédécesseur Ivan Duque, d’une détérioration des relations avec les groupes armés. De plus, après avoir annoncé qu’il avait négocié un cessez-le-feu avec l’ELN le 31 décembre, le groupe a finalement démenti cette annonce. Les négociations ont ainsi longtemps été difficiles et floues, d’autant plus que certains groupes n’ont pas respecté les accords conclus, comme celui du clan d’Iván Mordisco ou encore le Clan del Golfo. Le cessez-le-feu de six mois conclu avec l’ELN, et entré en vigueur le 3 août, est tout de même une victoire pour Petro.

Ce processus de paix comporte des enjeux énormes et à de nombreux niveaux

On cherche ici à mettre fin à un cercle vicieux de violence et de vengeance qui a affecté le pays pendant plus de 60 ans. Le problème d’amnistie des crimes est une des préoccupations principales de la population, comme nous l’avons déjà vu avec Juan Manuel Santos en 2016. Le gouvernement cherche donc un bon milieu en discutant aussi avec les communautés touchées par le conflit.

Ce qui ressort par ailleurs, c’est que la précarité ainsi que l’insécurité alimentaire sont aussi des facteurs empêchant les accords de paix, ce qui rejoint l’idée d’une réforme agraire profonde. Les femmes sont aussi les grandes victimes de ce conflit, notamment pour leur engagement social. 131 femmes leaders sociales ont été tuées entre 2018 et 2022, selon Indepaz.

Petro fait face à une crise politique qui complique ses chances de mener à bien le processus de paix

Il a été d’abord lié indirectement à un scandale de chantage et d’écoute illégale par des membres de son gouvernement, puis son fils a été accusé de blanchiment d’argent pour financer la campagne présidentielle. Selon El País, le taux de désapprobation de Petro a atteint 59 % en août 2023, ce qui souligne un manque de confiance grandissant.

Le fait que Petro soit aussi un ex-guérillero du mouvement M-19 n’arrange sûrement pas les choses. Ainsi, les prochains mois seront déterminants pour savoir si Petro sera en capacité de surpasser cette crise et continuer le processus de paz total.

Vocabulaire

  • fumigación : fumigation (technique utilisée pour brûler les plans de drogue)
  • impuesto a latifundios : taxe foncière
  • reforma agraria : réforme agraire
  • alto al fuego : cessez-le-feu
  • ahondar : creuser, empirer (ex. : ahondar las desigualdades)
  • sometimiento : soumission
  • llevar a juicio : faire un procès
  • negarse a : refuser de
  • recorrer una nueva etapa : parcourir, traverser une nouvelle étape
  • imprescindible : indispensable
  • levantar ampollas : provoquer la colère

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