Voici la troisième et dernière partie de notre fiche consacrée à l’ouvrage de Serge d’Agostino, La Démondialisation, mythe ou réalité ?
Si tu ne l’as pas encore fait, n’hésite pas à consulter la première partie et la deuxième partie de cette fiche. Bonne lecture !
La demande de démondialisation
Les intérêts géostratégiques des États
Au sein de cette partie, l’auteur démontre que le choix de la démondialisation peut provenir de diverses volontés des États. Ce choix peut provenir de leur volonté de se protéger d’une contagion démocratique ou de préserver un leadership. Le choix de la démondialisation se manifeste ainsi par une volonté de réduire les contacts humains avec les étrangers. Cela peut passer par une restriction de la liberté de mouvement, ou par des réglementations strictes d’entrée sur le territoire. La limitation d’accès à Internet ou aux moyens de communications et d’informations est ainsi leur meilleure alliée.
Au-delà de la sauvegarde d’un pouvoir non démocratique, la perspective géostratégique de la démondialisation invite à s’adresser à la nature des relations internationales. La théorie réaliste des relations internationales considère que les États cherchent prioritairement à défendre ou à préserver leurs choix stratégiques. Mondialiser ou démondialiser résulte ainsi de leurs choix stratégiques.
Par exemple, depuis 2017, les États-Unis ont adopté de nombreuses mesures protectionnistes. Il s’agit ainsi de rééquilibrer les échanges commerciaux, principalement avec la Chine, et de stimuler l’emploi dans certaines zones industrielles. Les firmes multinationales américaines devraient ainsi être incitées à relocaliser leur production sur le territoire américain. Les firmes étrangères, quant à elles, seraient amenées à investir davantage outre-Atlantique. Néanmoins, la mise en œuvre de ces stratégies peut aussi s’expliquer par la volonté des États-Unis de se préserver de la montée en puissance de la Chine.
Travailleurs et consommateurs
La mondialisation ne profite pas à tous. D’après l’économiste Branko Milanovic (Inégalités mondiales, 2019), les gagnants de la mondialisation sont principalement les classes moyennes émergentes en Asie de l’Est et du Sud et les catégories les plus riches des pays les plus riches. Les classes moyennes inférieures et les classes populaires des pays riches ont cependant vu leur situation relative se dégrader. Ce constat est notamment établi dans la fameuse courbe de l’éléphant.
Un sondage YouGov, commandé par The Economist en 2016, met ainsi en évidence la défiance des Occidentaux à l’égard de la mondialisation. On observe ainsi que les pays au sein desquels la population est favorable à la mondialisation ont connu, entre 2011 et 2015, une forte croissance de leur PIB/habitant. Le constat est bien différent pour les pays dont les populations sont réticentes à la mondialisation.
C’est dans ce contexte que l’OCDE, dans un rapport consacré aux catégories moyennes des pays membres de l’organisation, conclut :
« Des sentiments nationalistes et antimondialistes peuvent naître à mesure que l’effritement de la classe moyenne engendre des désillusions et porte atteinte à l’engagement politique, ou incite les électeurs à se tourner vers des politiques contestataires et protectionnistes. (…) Les sentiments accrus de vulnérabilité, d’incertitude et d’anxiété se traduisent par une plus forte défiance vis-à-vis de l’intégration mondiale et des institutions publiques. » OCDE, 2019
Les comportements des consommateurs peuvent freiner la mondialisation
Concernant les consommateurs, ceux-ci disposent, grâce à la mondialisation, d’un accès plus diversifié et moins coûteux aux biens et services. Pour les personnes au pouvoir d’achat modeste, acquérir les biens à des prix abordables est une satisfaction. Pour ceux disposant d’un plus fort pouvoir d’achat, c’est l’élargissement du panel de choix qui leur procure satisfaction.
Toutefois, plusieurs éléments peuvent conduire les consommateurs à se montrer plus critiques envers la mondialisation. D’abord, il faut tenir compte du fait que beaucoup de consommateurs sont aussi des travailleurs. Les importations de biens peuvent concurrencer les produits nationaux, jusqu’à provoquer la réduction d’activité, voire la faillite, des producteurs locaux. Ensuite, les consommateurs peuvent être sensibles aux conditions de production des produits qu’ils consomment et des intrants utilisés pour leur fabrication. Ainsi, de grandes marques font fabriquer leurs produits où la main-d’œuvre est mal payée. Par exemple, le cobalt utilisé dans la conception des batteries lithium-ion équipant les voitures électriques est extrait de mines en Afrique, dans lesquelles travaillent des enfants de moins de 10 ans, dans des conditions difficiles.
Dans ce contexte, le commerce équitable semble être une réponse adéquate au dilemme prix/équité auquel sont confrontés consommateurs et producteurs. Cependant, en cas d’arbitrage en faveur de l’équité, les importations peuvent reculer pour deux raisons. D’une part, les produits coûtent plus cher. D’autre part, une partie des produits ne correspond pas aux critères valorisés par les consommateurs. Ces résultats seront d’autant plus marqués que leurs comportements sont basés sur une volonté de préserver l’environnement naturel. Ils peuvent ainsi boycotter les produits importés de pays où les entreprises sont peu scrupuleuses concernant la préservation de l’environnement.
Relocaliser pour mondialiser
Les stratégies de réduction de coûts des firmes multinationales
La délocalisation est commandée par la nécessité d’abaisser les coûts de production. Le niveau trop élevé de ces coûts dans une zone donnée favorise ainsi ce processus. Malgré la dépendance de compétitivité des produits français au taux de change de l’euro, l’avantage compétitif des Philippines subsiste. Il convient cependant de nuancer ce propos. En effet, si le coût d’une heure de travail est 30 fois plus élevé en France qu’aux Philippines, une partie de cette différence est composée par une productivité du travail bien supérieure en France. D’autant plus que la compétitivité des produits français ne relève pas que de leur prix, mais également de leur qualité.
Un autre avantage incitatif à la délocalisation correspond aux avantages offerts par les pays d’accueil. Ces avantages peuvent porter sur une dotation factorielle particulière, par exemple une main-d’œuvre abondante et disciplinée. L’attractivité de ces territoires peut également résulter d’une volonté politique. Ainsi, la création de zones franches offre aux firmes étrangères plusieurs avantages. Parmi eux, exonérations ou réductions fiscales, allégement de charges sociales, importation d’intrants facilitée, expatriation des profits, accès au marché intérieur des pays d’accueil en sont des exemples éloquents.
La délocalisation est d’autant plus envisageable que les pays d’accueil peuvent offrir une proximité géographique. Par exemple, certains pays d’Europe de l’Est, membres de l’UE, offrent des garanties institutionnelles aux firmes étrangères. Les coûts du travail étant particulièrement faibles dans ces pays. C’est d’ailleurs ainsi que naissent de très fortes disparités en Europe : les coûts salariaux horaires en 2019 varient dans une fourchette de 1 à 8.
Effets de la délocalisation : entre craintes et espoirs
Les effets de la délocalisation se manifestent d’abord dans le pays d’origine des firmes délocalisatrices. En effet, à la perte d’emploi attachée à la délocalisation entendue au sens strict, s’ajoute celle consécutive à la réaction des firmes nationales concurrentes. Si Renault accroît sa compétitivité en délocalisant, Peugeot fera de même. La chute de l’emploi déprime la demande intérieure d’autant plus que la montée du chômage pèse sur les salaires.
En outre, la délocalisation agit comme une menace à l’encontre des salariés invités à modérer leurs revendications salariales. L’atonie de la demande interne nourrit le processus de délocalisation qui permet aux firmes de doper leur compétitivité-prix, etc. La délocalisation induit en effet la montée du chômage, notamment des travailleurs les moins qualifiés. Cela doit néanmoins être nuancé par le fait que les firmes délocalisatrices bénéficient d’un accroissement de leur rentabilité, ce qui leur permet de financer de nouvelles activités et d’embaucher.
Les effets de la délocalisation concernent également des pays qui en sont destinataires. Cette fois, les pays vers lesquels sont orientés les investissements peuvent espérer des retombées positives. L’implantation d’une unité de production génère des créations d’emplois, souvent sans qualification requise. Par ailleurs, ces mêmes unités peuvent s’approvisionner auprès de fournisseurs locaux, constituant une nouvelle source de création d’emplois.
Les délocalisations peuvent également se traduire par des transferts de technologie. C’est notamment le cas quand les délocalisations se traduisent par la constitution de joint-ventures avec des partenaires du pays d’accueil. Enfin, les unités de production délocalisées alimentent un courant d’exportations et de flux de capitaux entrants, ce qui consolide la balance des paiements des pays d’accueil.
Des délocalisations pas toujours favorables aux pays d’accueil
Si les effets escomptés sont positifs pour les pays d’accueil, la réalité de la démondialisation peut venir les contredire. Ainsi, l’essor d’un secteur moderne extraverti n’exerce pas d’effets d’entraînement sur l’ensemble de l’économie et perpétue le sous-développement. Par exemple, la présence de firmes étrangères ne garantit pas qu’elles feront appel à des fournisseurs locaux. Elles peuvent même aller jusqu’à entrer en concurrence avec les entreprises locales et les condamner à la faillite !
L’emploi créé par les filiales des firmes étrangères reste limité quantitativement. En outre, la main-d’œuvre potentiellement disponible dans le secteur traditionnel de l’économie fait pression sur les salaires. De même, l’essor du secteur moderne accentue les inégalités sociales et régionales au sein des pays en développement. Enfin, les délocalisations peuvent induire une spécialisation pas toujours profitable sur le long terme aux pays en développement.
Les délocalisations au sein des pays en transition ou développés peuvent également fragiliser leur économie en raison de plusieurs facteurs dont certains concernent aussi les pays en développement. L’auteur en dresse ainsi une liste aussi longue qu’éloquente :
- dépendance à l’égard de centres de décisions étrangers ;
- déséquilibres extérieurs liés aux importations d’intrants dont les termes sont fixés au sein du groupe multinational ;
- paiements élevés afférents aux services rendus par la maison-mère ;
- incapacité d’adoption par les entreprises locales des techniques mises en œuvre par les unités de production délocalisées ;
- spécialisation sur une production à faible valeur ajoutée ;
- rapatriement des bénéfices dans le pays d’origine occasionnant une sortie de capitaux, etc.
Pourquoi relocaliser ?
La stratégie de relocalisation relève du calcul stratégique de l’entreprise. Dès lors que celle-ci constate que la rentabilité n’est pas ou plus celle escomptée, relocaliser peut s’avérer un choix judicieux. En outre, la plus grande attention des consommateurs prêtée aux conditions de production des biens qu’ils consomment incite à relocaliser. La pandémie de Covid-19 a mis en lumière la dépendance des Occidentaux à l’égard des principes actifs intervenant dans la production des médicaments génériques qui, à plus de 80 %, sont produits en Chine.
En outre, les consommateurs subissent depuis plusieurs années des ruptures d’approvisionnement de médicaments en partie liées à des incidents chez les fabricants situés à l’étranger, dont certains avaient été délocalisés. Les réactions des consommateurs devant de telles situations peuvent inciter les firmes à restructurer les chaînes de valeur mondiales pour rapprocher les lieux de production et de consommation de certains médicaments.
Un autre argument en faveur de la relocalisation repose sur les bouleversements technologiques en cours. Ils se manifestent par l’essor de l’intelligence artificielle (IA) et de la robotique. Ils sont de nature à réduire l’incitation à délocaliser et accroître la relocalisation de tout ou partie de la production. En effet, les gains de productivité espérés de la mise en œuvre des nouvelles technologies sont de nature à réduire les coûts unitaires de production même quand les salaires sont élevés.
Relocaliser ne va pas de soi
Au niveau des entreprises, la décision de relocaliser la production ou certains de ses segments est fondée sur la rentabilité de l’opération. Une difficulté supplémentaire résulte de la perte des savoir-faire consécutive aux délocalisations antérieures : celles-ci ont détruit des emplois, mais aussi les compétences, l’expérience, les capacités d’adaptation de ceux qui les exerçaient et des sous-traitants. Par ailleurs, que ce soit pour valoriser l’image de leur entreprise ou par conviction, les décisionnaires peuvent légitimer la relocalisation par référence à la responsabilité sociale des entreprises.
Si relocaliser implique une hausse des prix du fait de coûts de production plus élevés, les consommateurs (notamment les plus pauvres) peuvent être découragés. Par exemple, la relocalisation en France de la production de masques de protection contre le Covid se heurte au coût encore trop élevé du produit par rapport à celui de ses concurrents asiatiques. Les consommateurs français sont alors conduits à acheter des masques asiatiques. Par conséquent, les consommateurs doivent être convaincus du bien-fondé des relocalisations. Ce n’est pas le cas si les prix des produits, à qualité égale, sont jugés trop élevés par rapport aux produits importés. Leurs convictions quant à la nécessité d’adopter d’autres comportements en accord avec ce qu’implique la démondialisation doivent être suffisamment fortes pour que la demande se porte sur les produits nationaux.
D’ailleurs, l’État doit mettre en œuvre un ensemble de mesures pour susciter et accompagner le processus de relocalisation. Il peut adopter des mesures protectionnistes ciblées sur certains produits, comme l’ont fait les Américains. Cela permet de contrer la concurrence étrangère et inciter à substituer une production locale aux importations. Cependant, il faudra accepter les risques d’une condamnation par l’OMC et ceux de représailles d’autres pays. C’est également le cas des mesures destinées à compenser le laxisme de certains États en matière de protection de l’environnement.
Conclusion
C’est déjà la fin de la troisième et dernière partie de cette fiche de lecture de l’ouvrage très complet de Serge d’Agostino. Nous espérons qu’elle t’aura permis de cerner les grands enjeux de la démondialisation et les risques qu’elle pourrait porter.
En attendant, n’hésite pas à consulter les articles d’économie des prépas ECG ainsi que ceux du pôle littéraire ! Nous te proposons d’ailleurs toute cette année des articles en lien avec les prépas ENS D1 et D2, alors reste connecté·e !