Japon

Les Philippines et le Japon ont conclu, le 8 juillet dernier, un accord de défense stratégique permettant le déploiement de troupes sur leurs territoires respectifs. Cette signature constitue « une nouvelle étape dans nos efforts communs pour garantir un ordre international fondé sur des règles, pour assurer la paix et la stabilité dans l’Indo-Pacifique et en particulier dans notre région », a déclaré Teodoro, secrétaire philippin à la Défense.

Contexte de la signature de l’accord Japon-Philippines

Tu n’es pas sans savoir que la Chine revendique sa souveraineté sur la quasi-totalité de la mer de Chine méridionale, en se fondant sur la fameuse « ligne des neuf traits », un document datant de 1948 censé délimiter son pré carré dans la région. Les Philippines, à l’instar de la Malaisie et du Vietnam, réfutent la souveraineté de la Chine sur les îles Paracels et Spratleys notamment, et font valoir la convention internationale de Montego Bay, signée en 1982, qui fixe la frontière de la ZEE à 200 milles marins (370 kilomètres) depuis les côtes.

L’accord d’accès réciproque (RAA) s’est donc mis en place à la fois dans un contexte de forte tension en mer de Chine méridionale, mais également face à une rhétorique diplomatique chinoise de plus en plus belliqueuse, ignorant les décisions de la justice internationale, notamment celle datant de 2016 selon laquelle ses revendications ne reposent sur aucune base juridique.

Voici des exemples de rivalités entre la Chine, d’un côté, et le Japon et les Philippines, de l’autre.

Rivalités Chine-Japon

  • Le Japon a dénoncé, le 27 août dernier, une « violation grave » de sa souveraineté, après l’intrusion, pour la première fois, d’un avion militaire chinois dans son espace aérien.
  • Les pressions chinoises grandissantes sont perçues par le Japon comme une véritable menace. Cette dernière est ressentie de manière très directe et concrète depuis 2009, et plus particulièrement en septembre 2012 lors de la crise autour des îles Senkaku. La Chine envoie très régulièrement des navires de pêche des agences de surveillance maritime, des garde-côtes (créés en 2013), voire des bâtiments militaires dans les eaux contiguës aux îlots.

Rivalités Chine-Philippines

Ces derniers mois, les tensions entre la Chine et les Philippines ont atteint des niveaux inégalés depuis plusieurs années.

L’affrontement du récif de Scarborough

Scarborough, un récif au nord-est des Spratleys, devient le théâtre d’un affrontement entre Manille et Pékin en avril 2012, après la tentative d’arraisonnement de bateaux de pêche chinois par la marine philippine.

Le récif reste encore aujourd’hui au cœur des tensions entre les deux pays. La marine chinoise a installé une longue barrière flottante à l’entrée du récif, bloquant ainsi l’entrée des pêcheurs philippins, mais elle finalement été démantelée par Manille.

La reprise des tensions autour de l’atoll Second Thomas 

Depuis 1999, la Chine et les Philippines se disputent l’atoll Second Thomas, situé dans l’archipel des Spartleys. La raison ? En plus d’être une réserve importante de poissons, le sous-sol de cette zone renfermerait 5 000 milliards de mètres cubes de gaz naturel et 11 milliards de barils de pétrole, selon l’Agence américaine d’information sur l’énergie. La domination de ce récif est donc synonyme de potentiel économique très important.

Le RAA entre le Japon et les Philippines vise à faciliter les échanges et les activités régulières entre les forces armées des Philippines (AFP) et les forces d’autodéfense japonaises (JSDF).

Le RAA : compléter le système d’alliance hub and spoke des États-Unis

Historiquement, après la Seconde Guerre mondiale, les relations entre le Japon et les Philippines étaient axées sur la coopération économique et le développement. Bien que cette coopération soit encore très présente, les relations ont commencé à se concentrer sur les dimensions stratégiques à partir des années 2010.

Alors que la Chine adopte une attitude de plus en plus agressive dans sa politique expansionniste, en utilisant toute une gamme d’outils militaires et non militaires à sa disposition, les pays ayant des intérêts communs ont commencé à développer des relations de sécurité plus étroites entre eux. 

  • 2017 : signature du Quadrilateral Security Dialogue (plus connu sous le nom de QUAD) entre l’Australie, l’Inde, le Japon et les États-Unis.
  • 2021 : création du partenariat de sécurité trilatéral entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis (AUKUS) avec pour objectif l’acquisition par l’Australie d’une capacité souveraine de sous-marins à propulsion nucléaire à partir des années 2030, grâce aux transferts de matériel et d’équipements du Royaume-Uni et des États-Unis.
  • 2023 : organisation du premier sommet trilatéral autonome par le Japon, la Corée du Sud et les États-Unis. Ce sommet a été précédé d’une activité de coopération maritime (MCA) entre l’Australie, le Japon, les Philippines et les États-Unis.

Rappel sur le système hub and spoke ou système de San Francisco

Cette « configuration en étoile » repose sur des traités de défense mutuelle bilatéraux, conclus entre plusieurs États (Japon, Philippines, Australie, Nouvelle-Zélande datant de 1951, Corée du Sud de 1953, et Taïwan de 1955) et les États-Unis. Seuls deux traités multilatéraux ont été conclus dans la région : l’ANZUS (Australie, Nouvelle-Zélande, États-Unis), en 1951, et l’OTASE (Organisation du traité de l’Asie du Sud-Est), en 1954, qui assure notamment la protection de la Thaïlande et des Philippines.

Mais, se traduisant par un isolement des États alliés entre eux et une forte dépendance vis-à-vis des États-Unis, cette politique ne devient définitivement plus viable à la suite de certains changements qui ont lieu dans la région après la Guerre froide. Se met en place une configuration en réseau, ou networked security architecture, s’adaptant aux changements géopolitiques de la région (militarisation de la Chine notamment) et reposant sur une coopération interalliée, cette fois.

Dès lors, les États-Unis ne sont non plus le noyau d’une étoile, mais le nœud principal d’un réseau. Le RAA en est un parfait exemple et les différents exercices militaires conjoints s’inscrivent également dans cette logique.

Deux raisons expliquent l’investissement des États-Unis en Indopacifique : idéologique (logique de containment, endiguer le communisme) et pragmatique (éviter une crise économique).

Le RAA et la stratégie hub and spoke

Parmi les diverses instances de coopération et de dialogue citées ci-dessous (QUAD, AUKUS et sommet trilatéral), le RAA entre les Philippines et le Japon pourrait compléter le système d’alliances hub and spoke dirigé par les États-Unis pour faire progresser un ordre international fondé sur des réglementations.

Tout d’abord, le RAA renforcera la diplomatie de défense entre les deux alliés américains. En disposant d’un cadre juridique permettant à la JSDF de se rendre aux Philippines, le Japon aura une meilleure occasion de renforcer mutuellement ses capacités avec les forces armées des Philippines (AFP) par le biais d’exercices et d’entraînements conjoints. Cette coopération entre les deux forces armées pourrait également être renforcée dans d’autres domaines, tels que le renseignement, la connaissance du domaine maritime et la planification des mesures d’urgence. 

Deuxièmement, le RAA pourrait également renforcer les liens avec les États-Unis et d’autres alliés et partenaires, en favorisant la participation accrue du Japon aux exercices militaires conjoints avec les États-Unis et d’autres alliés. Par exemple, le Japon pourrait devenir un acteur clé dans des initiatives comme le Balikatan, un exercice annuel entre les États-Unis et les Philippines. À l’avenir, le RAA pourrait permettre à Tokyo de prendre part à des initiatives dans le cadre de l’accord de coopération renforcée en matière de défense entre les Philippines et les États-Unis.

Troisièmement, le RAA permettrait au Japon de soutenir les Philippines en temps de crise, et vice versa.

Le trio Japon-Philippines-États-Unis

La présence américaine aux Philippines

Traités de défense mutuelle

Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a confirmé l’engagement « à toute épreuve » des États-Unis pour défendre les Philippines en cas de conflit avec la Chine.

En effet, pour rappel, les États-Unis et les Philippines sont liés par deux traités : le traité de défense mutuelle, datant de 1951, et un accord de coopération en matière de défense, datant de 2014.

Bases militaires

En mars 2023, les militaires américains ont eu accès, dans le cadre de l’accord de coopération renforcée en matière de défense (EDCA), à quatre nouvelles bases : la base navale Camilo Osias à Santa Ana (Cagayan), l’aéroport de Lal-lo (Cagayan), le camp Melchor dela Cruz à Gamu (Isabela) et l’île de Balabac (Palawan).

L’accès des États-Unis à ces bases est d’une importance capitale pour les deux parties. En effet, cet accès :

  • garantit la sécurité des Philippines contre les attaques extérieures ;
  • permet aux Philippines, et à d’autres nations amies d’Asie du Sud-Est, de poursuivre leur croissance économique sans devoir engager des dépenses militaires ;
  • compense les initiatives militaires soviétiques en Asie du Sud-Est ;
  • ajoute de la stabilité à la région de la mer de Chine méridionale ;
  • donne aux États-Unis la capacité de projeter rapidement leur puissance militaire, à la fois dans le Pacifique et dans la mer de Chine méridionale ;
  • permet aux Philippines d’avoir accès à ces bases.

Exercices militaires conjoints

L’exercice militaire, Balikatan, qui signifie « épaule contre épaule » en philippin, a rassemblé près de 11 000 soldats américains et 5 000 soldats philippins, du 22 avril au 10 mai derniers.

Cet exercice annuel entre les forces armées des Philippines et l’armée américaine, conçu pour renforcer l’interopérabilité (permet aux forces, aux unités et/ou aux systèmes de fonctionner ensemble, de communiquer et de partager une doctrine et des procédures communes, ainsi que leurs infrastructures et leurs bases respectives) bilatérale, les capacités, la confiance et la coopération, s’inscrit dans une tradition ininterrompue depuis près de quarante ans.

2024 marque le 39e Balikatan, le plus coûteux de l’histoire de ces exercices conjoints. Et, pour cause, la menace de la Chine sur Taïwan et en mer de Chine méridionale ne cesse de s’accentuer.

Réaction de la Chine

Sans surprise, la Chine accuse régulièrement les États-Unis de soutenir les nations ayant des revendications territoriales rivales aux siennes, afin de contrer sa montée en puissance. Elle en vient même à dire que « les États-Unis ne font pas partie de la mer de Chine méridionale et (par conséquent) n’ont pas le droit de s’immiscer dans les différends qui opposent la Chine et les Philippines ».

L’alliance nippo-américaine : une alliance historique

Le 8 septembre 1951, le Japon signe le traité de paix de San Francisco, censé régler les conséquences de la Guerre entre l’archipel et tous ses voisins. Ce traité, plutôt qu’un véritable traité de paix réglant les problèmes de la guerre, marque l’entrée du Japon dans le camp occidental.

Le traité de sécurité nippo-américain (AMPO) est signé le même jour. Dès lors, la défense du Japon sera assurée de deux façons : par les forces américaines et, dès 1954, par le développement de forces d’autodéfense (FAD). Ce traité prévoit la jouissance par les troupes américaines de bases militaires permanentes sur le territoire japonais. C’est l’une des dimensions de la « doctrine Yoshida » qui consiste à placer le Japon sous la protection des États-Unis, quitte à affaiblir sa souveraineté sur les questions diplomatiques et stratégiques, pour permettre de consacrer les efforts à la reconstruction et à la croissance économique.

Mais, en 1960, la révision et le renouvellement du traité de sécurité s’effectuent dans un contexte de manifestations violentes (5,8 millions de manifestants contestent la sujétion aux États-Unis). Cette révision prévoit l’interdiction pour les forces américaines d’intervenir dans les affaires intérieures japonaises et mentionne explicitement l’obligation des États-Unis de protéger le Japon.

L’alliance nippo-américaine se positionne aujourd’hui principalement face à la puissance chinoise.

Un nouveau trident en mer de Chine ?

En 2023 et 2024, de nouveaux incidents ont opposé des navires chinois aux forces de Manille et de Tokyo dans les zones maritimes disputées. 

D’où deux évènements majeurs en avril 2024 :

  • Exercices de sécurité conjoints en mer de Chine méridionale, visant à améliorer l’interopérabilité des forces aériennes et navales des trois pays face à l’armée chinoise, avec pour objectif de limiter l’accès de Pékin à l’océan Pacifique et de préserver un équilibre régional de plus en plus fragile. 
  • Le 11 avril, le président américain, Joe Biden, le président philippin, Ferdinand Marcos Jr., et le Premier ministre japonais, Fumio Kishida, se sont réunis lors d’un sommet trilatéral à Camp David, dans le Maryland. Ce sommet s’inscrit dans une série de rencontres visant à renforcer leur coopération économique, technologique et militaire.

Conclusion

Je pense que tu l’auras compris, mais ce traité de défense mutuelle signé entre les Philippines et le Japon est crucial. Tout d’abord, car il permettra aux Philippines d’améliorer leur interopérabilité avec des partenaires partageant la même vision. La signature du RAA signifie également que les Philippines auront des accords militaires avec les membres du QUAD (les États-Unis, l’Inde, le Japon et l’Australie). Enfin, en cas de conflit, le soutien des Philippines serait crucial pour les États-Unis.

Mais le Japon, prudent quant à d’éventuels changements possibles de la politique américaine dans la région, cherche de son côté à « jouer un rôle plus important » en tant que force indépendante et stabilisatrice. 

 

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