Arabie saoudite

Le mardi 18 février, à Riyad, les ministres des Affaires étrangères russe et américain se sont réunis afin de préparer « d’éventuelles négociations relatives au règlement ukrainien et à l’organisation d’une rencontre » entre Vladimir Poutine et Donald Trump. Selon les termes du communiqué final du 18 février, les deux pays se sont fixé de « désigner une équipe de haut niveau pour travailler sur une issue du conflit en Ukraine » et de « poser les bases d’une future coopération sur les enjeux géopolitiques d’intérêts communs ». Et c’est toujours à Riyad que vont probablement se rencontrer dans les semaines à venir Trump et Poutine.

La paix en Europe va-t-elle se jouer dans ce pays arabe, comme à Yalta ?

Le choix de l’Arabie saoudite comme hôte de la réunion peut interroger, ce pays n’étant pas directement impliqué dans la guerre en Ukraine. Pourtant, l’Arabie saoudite est véritablement le cœur d’une géopolitique mondiale décisive pour l’avenir des peuples européens, russes, américains et moyen-orientaux. L’approche équilibrée de Riyad face à la crise russo-ukrainienne l’a présentée comme un lieu acceptable pour les pourparlers entre les États-Unis et la Russie.

Pourquoi Vladimir Poutine et Donald Trump ont-ils choisi le berceau de l’Islam wahhabite comme épicentre de la diplomatie mondiale ? L’avenir de Kiev et de Gaza se joue-t-il, entre autres, en Arabie saoudite ?

L’Arabie saoudite : un hub diplomatique

Le choix du Royaume comme centre diplomatique pour les initiatives de résolution des conflits indique l’influence croissante du pays à l’échelle régionale et mondiale, alors que Mohammed Ben Salmane met en œuvre une politique étrangère qui cherche à garder ses portes ouvertes à toutes les possibilités.

Changement de stratégie dans ses relations internationales

Pourtant, Mohammed Ben Salmane (MBS) avait placé les premières années de son accession aux responsabilités sous des auspices moins pacifiques. Il avait développé en effet une stratégie agressive à son arrivée au pouvoir : guerre contre le Yémen, assassinat de Jamal Khashoggi dans le consulat d’Arabie saoudite en Turquie en 2018, blocus contre le Qatar, arrestation de nombreux princes saoudiens au Ritz en Arabie saoudite…

Après l’échec de cette politique, le prince héritier et Premier ministre met en place depuis 2020 une stratégie beaucoup plus pragmatique dans une logique de coopération à des fins économiques pour répondre à un besoin croissant de stabilité et d’investissements. En effet, l’Arabie saoudite cherche à diversifier son économie, qui tire ses revenus essentiellement du pétrole, afin d’asseoir sa position de leader régional et d’accroître son influence internationale. Cette ambition s’illustre pleinement dans le programme Vision 2030, un plan ambitieux de diversification économique et de transformation sociale, afin de préparer le pays à l’après-pétrole.

Vision 2030 : vitrine de la puissance économique de l’Arabie saoudite

Lancé en grande pompe en 2016 par l’homme fort de Riyad, le plan Vision 2030 a pour objectif essentiel d’assurer la transition du Royaume vers un nouveau modèle de développement économique, plus libéral et plus ouvert sur le monde, créateur d’emplois et de richesses.

Des constructions pharaoniques dans l’immobilier, dans le sport, dans le tourisme et dans le divertissement ont été lancées, comme Sindalah, première île de luxe de 840 000 m2 dans la mer Rouge, ouverte depuis la fin du mois d’octobre 2024 et qui devrait accueillir 2 400 personnes/jour d’ici 2028 ; ou The Line, une ville futuriste ultra moderne encore en construction qui s’étendrait sur 170 km, alimentée par des énergies renouvelables.

Une modernisation à nuancer

La modernisation engagée par l’Arabie saoudite à travers du programme Vision 2030 n’est pourtant pas synonyme de modernisation de la société. En effet, on relève peu d’améliorations notables en termes de droit des femmes ou d’émancipation. Il ne faut pas que le monde occidental se laisse influencer par l’exportation d’une image de modernité telle que la véhiculent certains milieux expatriés…

Un leader régional

Aujourd’hui, l’Arabie saoudite est devenue la locomotive qui tire les autres pays de la région vers un avenir plus stable et plus prospère. Avec plusieurs dizaines de millions d’habitants et une puissance économique incontournable, l’Arabie saoudite est en recherche de stabilité pour se positionner comme puissance arabe régionale et affirmer son leadership sur le monde arabe.

Le seul pays de la région qui parle à tout le monde

L’Arabie saoudite compte sur sa neutralité dans les affaires régionales pour conserver et renforcer ses relations avec ses voisins. Son rapprochement de l’Iran chiite, alors même qu’elle est le berceau du wahhabisme le plus rigoriste, et la volonté de signer un accord de paix avec Israël avant le 7 octobre illustrent cette stratégie : avoir des relations pacifiées avec ses voisins.

La pacification aux frontières de l’Arabie saoudite est aussi un moyen pour MBS d’assurer jusqu’ici une pacification au sein des frontières du pays. Ce régime très autoritaire (3e pays par le nombre d’exécutions) achète la paix sociale avec la prospérité économique.

7 octobre 2023 : une date clé

L’Arabie saoudite est aujourd’hui un pays qui pèse dans la région, surtout depuis le 7 octobre 2023, face à une diplomatie qatarie activiste mais inefficace, face à l’échec du gouvernement égyptien qui avait essayé de revenir dans les négociations en tant que médiateur, face encore à l’Iran affaibli par le changement de régime en Syrie.

Riyad : un lieu approprié dans la résolution du conflit ukrainien

Les États-Unis comme la Russie entretiennent des bonnes relations avec l’Arabie saoudite, ce qui lui offre une position privilégiée de médiateur dans la résolution de nombreux conflits.

En effet, Trump a affirmé qu’il sympathisait avec les dirigeants saoudiens en tant qu’État partenaire et il est notoire que Poutine entretient de très bonnes relations avec MBS.

Diplomatie du business avec l’Amérique de Donald Trump

Donald Trump comprend l’importance de l’Arabie saoudite sur le plan politique et économique. Au début de son second mandat, le président a parlé de l’importance du Royaume, notamment en tant que puissance économique précieuse pour l’économie américaine. Les Saoudiens représentent des alliés de poids : riches en pétrole brut, dont ils sont les premiers producteurs de l’OPEP en 2024, ils fournissent les pays étrangers et y investissent leur fortune.

Les États-Unis entretiennent une relation commerciale avec le Royaume saoudien, bien plus proche d’un partenariat économique que d’une alliance politique. Lors du dernier forum de Davos, Donald Trump s’est adressé en duplex vidéo à son homologue saoudien, lui demandant de porter son investissement, prévu à 600 milliards de dollars, à 1 000 milliards de dollars, et à l’OPEP de faire baisser le prix du pétrole.

Les relations historiques entre les deux puissances

Depuis le partenariat scellé en 1945 par la rencontre entre le président américain, Franklin D. Roosevelt, et le roi saoudien, Abdelaziz ibn Saoud, à bord du croiseur USS Quincy, les deux nations ont entretenu une relation stratégique fondée sur un échange mutuel d’intérêts : la sécurité et la stabilité de la région pour l’Arabie saoudite en contrepartie d’un accès privilégié au pétrole pour les États-Unis.

Depuis les années 1970, la relation a connu des turbulences causées par des événements multiples : l’embargo pétrolier de 1973 imposé par l’OPAEP, la guerre du Golfe de 1991 ou la présence militaire américaine au Moyen-Orient, plus récemment l’assassinat du journaliste saoudien, Jamal Khashoggi, en octobre 2018.

Cependant, dans l’ensemble, une transformation des liens entre les deux puissances s’est opérée. Les États-Unis, devenus plus indépendants énergétiquement grâce au pétrole de schiste, ont réduit leur dépendance au brut saoudien. Par ailleurs, l’Arabie saoudite a cherché à diversifier ses alliances, notamment avec la Chine et la Russie. Néanmoins, les enjeux stratégiques, notamment face à l’Iran et aux dynamiques géopolitiques moyen-orientales, confortent le partenariat entre Washington et Riyad.

Les États-Unis cherchent coûte que coûte à se rapprocher de l’Arabie saoudite, qui se trouve au cœur de la politique moyen-orientale de Donald Trump. Le locataire de la Maison-Blanche veut pousser le pays le plus puissant et influent de la péninsule arabique à normaliser ses relations avec Israël, dans l’espoir de mettre un terme aux conflits au Moyen-Orient.

Arabie saoudite et Russie

L’Arabie saoudite et la Russie ont une relation complexe et évolutive, façonnée par des intérêts économiques, géopolitiques et stratégiques. Malgré leur soutien à des camps opposés en Syrie (l’Arabie saoudite soutenant les rebelles et la Russie défendant Assad), les deux pays trouvent un terrain d’entente sur les questions énergétiques. En 2016, sous l’impulsion de la Russie et de l’Arabie saoudite, l’OPEP+ est créée pour coordonner la production de pétrole entre l’OPEP et des producteurs extérieurs. Poutine et MBS ont joué un rôle clé dans la réduction conjointe de la production pour stabiliser les prix du pétrole, notamment après la chute des cours en 2020 due à la pandémie.

Cette complicité est de plus en plus affichée sur la scène internationale. Lors du sommet du G20 en 2018, peu après l’affaire Jamal Khashoggi, Poutine et MBS se sont serré la main de manière spectaculaire, affichant une proximité au moment où MBS était sous pression occidentale. MBS, qui de son côté cherche à diversifier ses alliances pour ne plus dépendre uniquement des États-Unis et à stabiliser le marché pétrolier, s’est rapproché de la Russie, en perte d’influence dans la région depuis la chute de son allié syrien Bachar al-Assad.

Arabie saoudite et Ukraine

L’Arabie saoudite a opté pour un positionnement neutre depuis le début de la guerre en Ukraine. Le pays n’avait pas condamné l’invasion russe de l’Ukraine et n’a jamais appliqué les sanctions internationales contre la Russie, tout en aidant l’Ukraine en promettant des aides. L’occasion pour elle d’affirmer son poids sur la scène diplomatique en assumant le rôle de médiateur. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, s’y est déjà rendu plusieurs fois et le Royaume a participé à un échange de prisonniers entre les deux belligérants en septembre 2022.

Sur ce terrain, l’Arabie saoudite est en concurrence avec le Qatar, médiateur central dans la guerre entre Israël et le Hamas, ainsi que les Émirats arabes unis, qui ont eux-mêmes contribué à un échange de captifs russes et ukrainiens en octobre 2024. Le jeu diplomatique saoudien est, pour Riyad, l’occasion de manifester son prestige international, déjà attesté par son soft power, incarné par ses investissements.

L’Arabie saoudite et la guerre à Gaza

Vendredi 28 février, Riyad a accueilli les dirigeants des six pays du Conseil de coopération du Golfe, ainsi que de la Jordanie et de l’Égypte, pour discuter d’un plan arabe de reconstruction de Gaza sans déplacement de ses 2,2 millions d’habitants. Ce plan, présenté lors de la réunion des dirigeants des pays de la Ligue arabe au Caire, a formellement été adopté samedi 8 mars en réponse au projet de Donald Trump de prendre le contrôle du territoire palestinien.

Le projet est d’ores et déjà soutenu par la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Italie, mais rejeté pour l’heure par Israël et critiqué par les États-Unis. Riyad a ainsi su démontrer sa capacité à fédérer une réponse régionale coordonnée, visant à garantir la stabilité de Gaza sans déplacement de sa population. Mais la médiation saoudienne devra encore surmonter d’importants obstacles diplomatiques.

Conclusion

À l’issue des discussions à Djeddah, l’Ukraine a accepté une proposition américaine de cessez-le-feu immédiat de trente jours et Washington annonce lever ses restrictions sur l’aide militaire et l’échange de renseignements. L’actualité la plus récente place bien l’Arabie saoudite au centre des enjeux géopolitiques du monde. Ce dernier événement confirme la place éminente de ce pays au sein de la communauté internationale. Malgré les soubresauts et les tensions qui, ces dernières années, ont compliqué les relations avec l’Arabie saoudite, ce pays devient incontestablement un des pôles majeurs de la diplomatie internationale.

L’Arabie saoudite s’impose aujourd’hui comme un acteur diplomatique incontournable sur la scène internationale. Grâce à une stratégie plus pragmatique et équilibrée, le Royaume est devenu un médiateur clé dans plusieurs conflits majeurs, notamment la guerre en Ukraine et la crise à Gaza.

L’Arabie saoudite incarne un paradoxe sur la scène internationale : infréquentable pour certains en raison de son régime autoritaire et de son bilan en matière de droits, mais incontournable en raison de son poids économique, énergétique et diplomatique. Si de nombreuses nations condamnent ses pratiques politiques, elles ne peuvent ignorer son influence croissante et son rôle stratégique pour l’équilibre des marchés mondiaux en tant que premier exportateur mondial de pétrole, la rendant à la fois partenaire difficile et alliée nécessaire.

 

Cet article a été écrit par Call’ONU ESCP, association de diplomatie et de géopolitique de l’ESCP.

N’hésite pas à consulter toutes nos ressources de géopolitique !