Retour sur les objectifs et les mesures adoptées à la COP28, sommet hautement critiqué pour le choix du pays hôte, pour l’insuffisance des textes proposés et du premier projet d’accord, et pour le blocage persistant des pétromonarchies soutenues par les lobbyistes. La 28e Conférence des parties s’est tenue du 30 novembre au 13 décembre 2023 à Dubaï, aux Émirats arabes unis. Les dirigeants des 198 pays se sont réunis pour accélérer l’action collective sur le climat. Le pays étant le cinquième plus gros émetteur de CO2 par habitant et le sultan al-Jaber (président de la COP) étant le PDG du géant pétrolier ADNOC, on comprend pourquoi ce sommet est amplement critiqué. Le choix d’une pétromonarchie pour accueillir la COP28 a effectivement étonné, voire indigné le public.
Comment tenir des négociations visant à accélérer la réduction des émissions de gaz à effet de serre, largement causées par la consommation d’énergies fossiles, dans un pays qui tire sa fortune de la vente du pétrole et du gaz ? La question est légitime. Quant au choix du président, certains n’ont pas hésité à changer de ton : « C’est comme nommer le patron d’une entreprise de tabac à la tête d’un congrès sur la lutte contre le cancer », a taclé l’organisation environnementale 350.org.
Aussi, l’espoir du président de la COP de finir les négociations le 12 décembre à 11 heures s’est envolé. Ce qui bloquait, c’était le sujet central : les énergies fossiles. Les deux blocs de pays (Arabie saoudite et OPEP contre pays occidentaux et petits États insulaires, en gros) n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur les termes de l’accord. Les négociations se sont donc prolongées pour surmonter les résistances des pays exportateurs de pétrole et des lobbyistes pro-énergies fossiles.
Les enjeux et objectifs de la Conférence
Pour Simon Stiell, chef des Nations unies sur le Climat, ce sommet mondial est « la COP la plus importante depuis Paris ». En effet, huit ans après l’Accord de Paris (ou COP21), la COP28 est censée dresser le premier bilan mondial des progrès réalisés et des efforts accomplis depuis 2015. L’enjeu est d’établir une feuille de route claire et ambitieuse pour le renforcement des objectifs climatiques nationaux. Cette COP est aussi perçue pour certains comme « la dernière chance » pour tenir la limite de 1,5 °C de réchauffement, objectif le plus ambitieux de l’Accord de Paris.
Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, a déclaré que la COP28 devrait appeler en premier à « la sortie de toutes les énergies fossiles ». C’est l’objectif principal du sommet mais, sans surprise, les pays de l’OPEP se sont fortement opposés à toute mention d’une « sortie » définitive du pétrole, du charbon et du gaz.
Un premier projet d’accord jugé insuffisant, décevant et à renforcer
Retour sur le projet d’accord proposé par Ahmed al-Jaber
Revenons maintenant sur le texte provisoire proposé par la présidence émiratie, la veille de la fin théorique des négociations, le 11 décembre. Le texte, qui mentionnait la réduction de la production et de la consommation des énergies fossiles, n’appelait pas clairement à une « sortie » de ces énergies, objectif pourtant majeur de la COP.
Pour le sultan al-Jaber, sortir des énergies fossiles ramènerait l’humanité à « l’âge des cavernes ». Cette proposition de texte a immédiatement été rejetée par de nombreux pays et ONG. Le projet représentait même pour certains une régression importante par rapport aux versions précédentes. L’Union européenne a jugé le texte « insuffisant » et les États-Unis ont appelé à « renforcer fortement » le projet d’accord.
Greenpeace estimait ainsi que « si le texte est adopté tel quel, alors cette Conférence mondiale sur le climat aura été un échec total. » En effet, selon les experts, l’objectif de limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C pourra difficilement être atteint si les pays ne parviennent pas à s’accorder sur la sortie définitive des énergies fossiles. Cela montrerait aussi le poids énorme des pays producteurs de pétrole et de gaz, alors qu’ils sont de fait minoritaires et qu’il y a bien plus de pays impactés par les changements climatiques, dont les États insulaires.
Des intérêts très divergents parmi les pays présents
Plusieurs pays d’Amérique latine (Colombie, Pérou, Chili…) et de l’Union européenne ont défendu avec force de viser l’objectif de 1,5 °C plutôt que 2 °C et, pour cela, de sortir au plus vite des énergies fossiles. D’autres pays développés, producteurs d’hydrocarbures (États-Unis, Canada, Australie, Norvège), se sont aussi montrés favorables à cette sortie, mais avec un peu moins d’ambition. La plupart des pays africains étaient également en faveur d’une sortie des énergies fossiles, mais à condition de bénéficier d’un délai bien plus long que les pays déjà développés. La Chine et la Russie, quant à elles, se sont opposées à toute mention des énergies fossiles dans le texte, tout comme l’Arabie saoudite.
Un bras de fer s’est engagé entre pays partisans de la sortie des énergies fossiles (dont ceux de l’Union européenne) et le bloc des pays de l’OPEP (mené par l’Arabie saoudite), la Chine et la Russie qui s’y opposent. Le ministre irakien du Pétrole a en effet déclaré que les énergies fossiles sont et resteront la principale source d’énergie dans le monde et qu’il est inenvisageable de supprimer leur utilisation. Il a insisté sur le fait que les pays de l’OPEP n’étaient pas à l’origine des émissions, rejetant la responsabilité sur les pays consommateurs.
L’accord final : un accord historique ou une « coquille vide » ?
Le 13 décembre dernier, tous les pays ont approuvé la décision finale appelant à une « transition » vers l’abandon des énergies fossiles dans le but d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Le texte met l’accent sur le charbon, mais aussi le pétrole et le gaz, une première dans l’histoire des COP. Parce que, jusqu’ici, les énergies fossiles n’avaient jamais figuré dans les déclarations finales des COP. Il avait fallu attendre celle de Glasgow en 2021 pour qu’apparaisse la « réduction du charbon ». Pour le sultan al-Jaber, il s’agit donc d’une décision « historique pour accélérer l’action climatique ».
Mais cette décision finale déplaît à certains. Ne parlant plus de « sortie » des énergies fossiles, mais seulement de « transition hors de », l’accord est considéré comme nettement insuffisant, notamment par l’alliance des petits États insulaires (Aosis). Certains pays en développement s’inquiètent de la faiblesse de cet accord : sans objectif chiffré d’arrêt de la production et de la consommation d’énergies fossiles, il manque de détails. D’autres dénoncent le fait qu’il soit non contraignant et qu’il ne repose que sur la bonne volonté des États.
Les principales avancées à retenir
Aider les pays en développement
Première bonne nouvelle, un fonds « pertes et dommages » a été adopté dès le premier jour de la COP pour indemniser les pays les plus vulnérables aux catastrophes climatiques qui, historiquement, sont les moins responsables des émissions de gaz à effet de serre.
Le président français Emmanuel Macron a ainsi annoncé deux partenariats : une aide de 100 millions d’euros à la Papouasie-Nouvelle-Guinée, et de 50 millions à la République du Congo.
Tripler la capacité d’énergies renouvelables d’ici 2030
118 pays, soit plus de la majorité des nations présentes, souhaitent tripler leurs capacités d’énergies renouvelables d’ici 2030, que ce soit le solaire, l’éolien ou l’hydroélectricité. Mais il y a de quoi être dubitatif. Cette annonce reste, à ce stade, non contraignante.
D’ailleurs, la liste des pays fournie par la présidence de la COP28 n’inclut pas les plus grands producteurs ou consommateurs d’énergies fossiles tels que la Russie, l’Arabie saoudite, la Chine, ou l’Iran.
Tripler la capacité de l’énergie nucléaire d’ici 2050
Près de vingt pays, dont la France, ont appelé à tripler les capacités de l’énergie nucléaire dans le monde d’ici 2050, par rapport à 2020, et ce, pour réduire la dépendance au charbon et au gaz.
En effet, cette source d’électricité est considérée par beaucoup comme une alternative vertueuse aux énergies fossiles. Mais là encore, la déclaration n’est pas contraignante et n’inclut ni la Chine ni la Russie, les premiers constructeurs de centrales nucléaires dans le monde.
Décarboner le secteur énergétique
Cinquante entreprises pétrogazières, représentant 40 % de la production mondiale, ont annoncé la signature d’une « charte de décarbonation du pétrole et du gaz ».
Encore une limite ici : cette charte n’inclut ni les émissions issues de la combustion du pétrole ni celles issues du gaz, soit l’écrasante majorité des émissions de carbone liées au secteur du pétrole. Cet aspect est largement critiqué par les ONG.
Conclusion
La COP28 marque un tournant majeur dans l’action collective face au changement climatique, mettant en avant pour la première fois dans l’histoire des COP l’impact de toutes les énergies fossiles, y compris le pétrole et le gaz, sur la planète. Toutefois, la décision finale est considérée comme insuffisante par de nombreux pays, puisqu’elle ne mentionne plus une « sortie » définitive des énergies fossiles, au grand dam des pays les plus vulnérables.
Cela montre en quoi les pays producteurs de pétrole gardent un poids énorme. Eux qui ne comptent pas abandonner de sitôt leur principale source de revenus.
Cet article a été rédigé par Marine Bach, en collaboration avec Call ONU, l’association de géopolitique de l’ESCP.