Depuis plusieurs mois, les tensions en République démocratique du Congo connaissent une recrudescence inquiétante, notamment dans l’Est du pays. Les affrontements entre les Forces armées congolaises et des groupes rebelles ont provoqué des déplacements massifs de populations, aggravant une situation humanitaire déjà catastrophique. Retour sur une crise et un conflit parfois oubliés.
Recontextualisation
La République démocratique du Congo (RDC) est un très grand pays de 2,3 millions de km² au cœur de l’Afrique centrale, la deuxième plus grande superficie du continent africain. La RDC abrite des ressources naturelles essentielles dans ses sous-sols, indispensables à l’industrie moderne, telles que le cobalt, le cuivre ou encore les diamants.
Cependant, cette manne immense ne lui a pas permis d’améliorer son niveau de vie et son niveau de développement. On pourrait même dire qu’au contraire, en devenant une telle source de convoitises, les ressources sont davantage un piège pour la RDC, alimentant guerres et instabilités depuis maintenant plus de deux décennies.
C’est plus particulièrement l’Est du pays qui est le plus touché par les affrontements entre l’armée congolaise (FARDC) et de nombreux groupes armés. Parmi eux, le Mouvement du 23 mars (M23) a récemment intensifié ses attaques, provoquant des déplacements massifs de populations et une crise humanitaire sans précédent.
Mais comment s’expliquent ces instabilités qui semblent perdurer ? Pourquoi la manne minière du pays ne parvient-elle pas à le faire progresser et à le sortir d’un tel cercle vicieux ?
Le conflit actuel : fruit de décennies de déstabilisations en tout genre
Dès son indépendance de la Belgique, le 30 juin 1960, la RDC est plongée dans différents cycles de violence et de conflits armés. En effet, la situation actuelle est bien enracinée dans le passé colonial et postcolonial du pays.
Sans être réellement préparée à l’autonomie après le départ des colons, la RDC subit une période marquée par des crises politiques. Patrice Lumumba, acteur majeur de l’autonomisation du pays, est assassiné en 1961, laissant le pouvoir à Mobutu Sese Seko dès 1965. Ce dernier impose un régime dictatorial pendant près de 30 ans, où corruption et mauvaise gestion économique plongent le pays dans un cercle vicieux.
C’est lors de la première guerre du Congo (novembre 1996-mai 1997) que ce dernier est chassé du pouvoir par l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), force rebelle soutenue notamment par le Rwanda et l’Ouganda, un premier signe d’ingérence étrangère dans la politique de la RDC.
Le nouveau chef d’État autoproclamé, Laurent-Désiré Kabila, mènera une politique similaire à son prédécesseur, ce qui plonge le pays dans la deuxième guerre du Congo, autrement appelée « première guerre mondiale africaine ». Ici, les ingérences prennent une place encore plus importante qu’auparavant dans le conflit. Kinshasa est soutenue par l’Angola, la Namibie ou encore le Zimbabwe, tandis que les factions rivales sont encouragées par le Burundi et le Rwanda. Cette guerre fera plus de cinq millions de morts et laisse encore aujourd’hui une trace difficilement effaçable.
Aux origines des conflits : le génocide rwandais
La région des Grands Lacs a été particulièrement impactée par le génocide des Hutus contre les Tutsis au Rwanda en 1994, qui a coûté la vie à environ 800 000 personnes. Celui-ci a donc directement contribué aux conflits en RDC.
En effet, après la prise de pouvoir par le Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagame, en juillet 1994, à la suite de cette tragédie, plus de deux millions de Hutus, dont des anciens membres des Forces armées rwandaises (FAR) et des miliciens responsables du génocide, fuient vers l’est de la RDC, formant donc d’immenses camps de réfugiés dans la région du Nord-Kivu.
Ces lieux deviennent rapidement des bases arrière pour les ex-génocidaires, rassemblés sous la bannière des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), dans le but de reprendre le pouvoir à Kigali. Face à cette menace étrangère, le chef d’État congolais intervient militairement en 1996, ce qui marque donc le début de la première guerre du Congo.
La deuxième guerre du Congo découle ensuite de tensions entre les gouvernements congolais et rwandais, autrefois alliés, mais désormais rivaux. Cette fois-ci, le Rwanda, aux côtés de l’Ouganda, soutient les forces ennemies au pouvoir de Kinshasa, dans le but d’exploiter les richesses minières de l’Est du pays.
Aujourd’hui encore, ce passé conflictuel continue d’alimenter les tensions. La RDC accuse régulièrement Kigali de soutenir le groupe rebelle M23 qui est à majorité tutsie et qui sévit toujours dans les régions du Nord et du Sud-Kivu, là où les minerais sont présents massivement. Ainsi, les ingérences régionales en RDC sont telles qu’elles entretiennent largement ce climat de division dans la région.
Les minerais : une manne qui se transforme en piège
La RDC est souvent qualifiée de « scandale géologique », tant son sous-sol regorge de ressources naturelles précieuses. Le pays détient en effet entre 60 et 80 % des réserves de cobalt mondiales et presque 80 % de celles de coltan, minerais indispensables à l’industrie d’aujourd’hui, tant pour les batteries que pour les smartphones, ce qui place donc la RDC en acteur incontournable de la transition énergétique et de la technologie.
Cependant, leur exploitation génère désordre et conflits, et les groupes armés sont nichés dans l’Est du pays, où est logé l’essentiel des ressources. Les milices, comme le groupe M23, contrôlent directement ou indirectement les mines artisanales et imposent des taxes illégales aux travailleurs, ce qui leur permet de financer leur activité et leurs armes.
D’un point de vue étatique, la Chine est le principal acheteur de cobalt congolais et est peu regardante quant à l’origine des minerais, tandis que les contrôles occidentaux peinent à s’appliquer sur le terrain.
Ce pillage laisse donc la RDC dans une situation difficile et inextricable. Classé 179e sur 191 pays sur l’échelle d’indice de développement humain (IDH), l’État congolais peine à redistribuer les richesses à sa population en raison de la corruption et du manque de transparence et de contrôle. En 2024, encore 73 % des Congolais vivent avec moins de 2,15 dollars par jour, soit sous le seuil de pauvreté.
Une crise humanitaire qui ne fait que s’aggraver
Cette guerre a des conséquences humaines catastrophiques. Selon l’ONU, plus de 6,9 millions de Congolais sont actuellement réfugiés internes et se déplacent donc à l’intérieur du pays, ce qui en fait un record historique. L’attention ces derniers temps est portée sur Goma, la capitale stratégique du Nord-Kivu aux mains du M23 depuis quelques mois, qui à elle seule génère plus de 600 000 déplacés en 2024.
Les camps de réfugiés se multiplient et s’agrandissent jusqu’à une surpopulation qui entraîne une multiplication des épidémies. En mars 2025, c’est le choléra qui touche surtout la région à cause du manque d’eau potable, ce qui aggrave une situation sanitaire déjà précaire.
La population est donc la première victime de ce conflit à la fois interne et soumis aux ingérences régionales. Le viol est utilisé comme arme de guerre et, selon l’ONU, plus de 123 000 cas ont été recensés en 2023, soit une agression toutes les quatre minutes, et 70 % d’entre elles se déroulent à l’Est.
Les voies de résolution : diplomatie ou hard power ?
Pour l’instant, la médiation régionale semble la solution la plus probable et la plus envisagée par les différents acteurs. En effet, l’Angola, via son Président João Lourenço, a appelé « les parties au conflit à cesser les hostilités dans l’Est de la République démocratique du Congo à partir de minuit le 16 mars 2025 ». Si le Président Tshisekedi avait accepté d’entamer des négociations avec le groupe M23 soutenu par le Rwanda et ses 4 000 soldats, il annule finalement son déplacement à Luanda prévu le 18 mars 2025. Depuis deux mois, donc, on aboutit parfois à une trêve, mais les affrontements sur le terrain ne cessent pas pour autant.
D’un point de vue militaire, Kinshasa cherche à renforcer son armée nationale avec l’aide de partenaires étrangers. L’UE avait annoncé en décembre 2024 allouer 20 millions d’euros pour soutenir les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), tout en ayant imposé des sanctions à des hauts dirigeants rwandais en mars 2025, ce qui montre un soutien affirmé envers la RDC. Les États-Unis, eux, promettent d’œuvrer pour la résolution du conflit, dans le but de sécuriser un nouvel accord d’exploitation des minerais sur le territoire congolais.
Cependant, ces initiatives sont parfois loin d’atteindre leur but premier, puisqu’elles mènent même à entraver les pourparlers entre les protagonistes, preuve encore une fois que les ingérences étrangères en RDC sont source de tensions.
Conclusion
La République démocratique du Congo semble donc loin de la résolution de ses instabilités, tant les enjeux et les acteurs se mêlent. L’histoire pèse lourd, mais les ingérences à la fois régionales et internationales encore plus, tant les ressources minières constituent également un enjeu de taille pour tous, face à des institutions étatiques corrompues et faibles.
Cependant, le cas de la RDC ne fait pas exception en Afrique, qui cache un problème plus large et commun à la majorité des pays du continent : l’exploitation des ressources minières. Si celles-ci devraient constituer un véritable trésor, la multitude d’acteurs, de méthodes et d’enjeux évoqués dans cet article n’est qu’un échantillon des obstacles empêchant leur bonne utilisation sur le continent.
Cet article a été écrit par Call’ONU ESCP, association de diplomatie et de géopolitique de l’ESCP.
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