Alors que Raul Castro a quitté le pouvoir à Cuba le 19 avril 2018, 57 ans jour pour jour après le débarquement raté de la baie des Cochons, un premier bilan s’impose pour l’île à la croisée des chemins entre fin du castrisme, ouverture économique et complexification des relations avec les États-Unis.
Bilan politique : le changement dans la continuité
Depuis avril dernier, ce n’est plus un Castro qui dirige l’exécutif cubain. Si depuis 2008, c’est le frère de Fidel qui dirigeait le Conseil d’État, son vice-président Miguel Diaz-Canel l’a remplacé, marquant par là-même la fin de près de 60 ans de castrisme. Pour autant, Cuba est loin d’avoir emprunté la voie du pluralisme politique et la passation de pouvoir a bien insisté sur la continuité entre l’ancien et le nouveau pouvoir : “Raul Castro présidera aux décisions de grande importance pour le présent et l’avenir de la Nation” a affirmé Diaz-Canel, alors qu’il est prévu que Raul reste à la tête du PCC jusqu’en 2021.
Et ce en dépit de l’urgence des réformes, dont certaines avaient été esquissées par Raul Castro, qui a annoncé un projet soumis à référendum visant à la création d’un poste de Premier Ministre dans un pays où le Parti Communiste garde un rôle central ; mais Diaz-Carnel a prévenu : il n’est nullement question de remettre en cause « le caractère irrévocable du socialisme ». Si l’accès à Internet (avec restrictions) est possible à Cuba depuis 2013, et si le nombre de mandats est désormais limité à deux, rappelons qu’en 2017 Amnesty International ne comptait toujours pas moins d’une centaine de prisonniers politiques sur l’île.
Bilan économique : entre réformes et conservation du modèle communiste
D’un point de vue économique, la situation s’améliore bel et bien depuis l’ouverture progressive impulsée sous Raul Castro, aidée par l’assouplissement de l’embargo, décidé par Obama en 2009. Depuis cette date, le PIB a été multiplié par 2 (il a progressé de 1,7% en 2017), et l’île accueille chaque année plus de 4 millions de touristes, symboles les plus visibles de l’ouverture au monde.
Raul Castro n’avait en effet pas manqué de débuter plusieurs réformes visant à donner plus de poids au secteur privé et à réduire la place de la fonction publique : les « cuentapropistas », travailleurs privés, représentent aujourd’hui près de 10% de la population active. L’investissement extérieur est encouragé, en témoignage la création en 2014 du Port de Mariel près de la Havane, destiné à devenir la plus grande zone industrielle du pays. C’est une véritable diversification qui s’est opérée dans ce pays qui a perdu 85% de son commerce extérieur à la chute de l’URSS. Tout laisse à penser que Diaz-Canel s’inscrira dans la continuité de ces réformes, mais là aussi Diaz-Canel a donné le ton : « sous cette législature il n’y aura pas d’espace pour ceux qui aspirent à une restauration capitaliste », a-t-il martelé lors de la passation de pouvoir.
Bilan sociétal : un modèle hérité de la révolution, à préserver ?
L’IDH cubain reste assez élevé (0,77), tiré vers le haut par une très forte alphabétisation, la 3ème au monde, un système de santé performant – l’accès aux soins est gratuit depuis la révolution castriste- et des investissements continus dans les structures éducatives, sanitaires ou encore culturelles. En outre, les Cubains sont autorisés depuis 2013 à voyager hors des frontières, ce qui a ouvert la voie au rapatriement des cubain émigrés. Pourtant, avec un salaire moyen de 30$, nombreux sont ceux qui continuent de choisir l’exil : ils sont plus d’un million depuis 1959, et leur eldorado ne se situe qu’à quelques kilomètres de là : il s’agit de la Floride.
Bilan sur les relations internationales : la nouvelle guerre froide ?
Alors que Barack Obama avait joué un rôle décisif dans le réchauffement des relations entre les États-Unis et Cuba, matérialisé notamment par la réouverture de l’Ambassade à Washington en 2015 et une visite officielle du président américain un an plus tard (une première depuis 1928), l’investiture de Trump a ouvert une ère d’incertitudes. En 2017, le Président américain a en effet dénoncé l’accord de rapprochement signé entre La Havane et Washington en décembre 2014 ; et a rendu plus difficile les visites de tourisme sur le sol cubain. Et même si au-delà de l’effet d’annonce, la rupture des liens est difficile à percevoir, c’est un climat bien tendu qui règne entre les deux ex-ennemis, signe, une fois de plus, du choix d’une politique anachronique du Président Trump, que ce dernier justifie par un attachement aux droits de l’homme : il a en effet déclaré que la démocratisation du régime et la libération des prisonniers politiques étaient les conditions de la poursuite de relations cordiales.
Conclusion
À l’aune de tous ces éléments, il reste difficile d’imaginer un tournant libéral plus marqué pour Cuba, et un changement radical de régime est à exclure, en dépit des réformes impulsées qui pâtissent encore de l’embargo américain et d’un fort héritage communiste.