L’annonce de l’élargissement des BRICS à six nouveaux pays, en août dernier, a pu en étonner certains. Notamment quant à la présence de l’Éthiopie dans la liste. En effet, bien que dotée d’atouts réels (démographie, ressources énergétiques), l’Éthiopie demeure un pays pauvre et accusant un relatif retard de développement par rapport aux autres pays retenus.
Introduction
L’Éthiopie est un des prétendants les plus crédibles au statut d’émergent économique et géopolitique. Deuxième pays le plus peuplé d’Afrique, siège de l’Union africaine et véritable puits de ressources hydroélectriques, l’Éthiopie ambitionne depuis plusieurs années maintenant de se positionner comme un acteur économique majeur. Les réformes nationales en cours visent à attirer les investissements étrangers, à stimuler la croissance et à diversifier les secteurs clés de son économie tels que l’agriculture, l’industrie et les technologies de l’information. Alain Gascon parlera même de « 15 Glorieuses » pour qualifier la transformation éthiopienne et sa croissance économique entre 2000 et 2015.
Néanmoins, l’Éthiopie souffre d’une économie en difficulté, en plus d’être un pays isolé au sein d’un environnement instable et qui ne bénéficie pas d’une régionalisation suffisante pour se définir comme une puissance africaine.
Ainsi, un paradoxe se dessine, puisqu’on a un État qui fait déjà figure de « puissance » régionale, mais qui est néanmoins qualifié de PMA (pays les moins avancés) par l’ONU.
Un pays qui aspire au rôle de puissance régionale
L’Éthiopie est légitime à aspirer au rôle de puissance régionale puisqu’elle en a les moyens. En 2017, elle était le pays ayant eu la plus forte croissance au monde (10,2 %), selon la Banque mondiale. Depuis sept ans, elle s’inscrit dans le top 5 des pays les plus dynamiques.
Des indicateurs de puissance
- L’Éthiopie est le deuxième pays le plus peuplé d’Afrique.
- C’est une puissance militaire notable (même si elle reste affectée par la guerre au Tigré et par le fait qu’elle a perdu le contrôle de la région d’Al-Fashaga). Et, bien que dépourvue d’accès à la mer, elle demeure le leader de la corne de l’Afrique. Elle est effectivement perçue comme le pourvoyeur de stabilité dans une région en crise, déstabilisée par les conflits au Soudan et en Érythrée.
- Elle bénéficie également de ressources hydriques qui sont nécessaires à l’agriculture (laquelle est un enjeu clé pour le développement) et qui lui permettent également de développer des projets dans l’hydroélectricité. Les abondantes ressources hydroélectriques de l’Éthiopie fournissent donc de l’énergie pour le développement national et pour l’exportation.
- L’Éthiopie ne bénéficie d’aucune matière première, mais fait quand même figure de pays émergent. Cela montre comment l’absence de matières premières peut apparaître comme une bénédiction, car cela « désincite » les pôles organisateurs de la mondialisation à exercer leur impérialisme aux dépens de l’Éthiopie.
Un État développementaliste
Comme pour les « tigres asiatiques » des années 1990 (Vietnam, Thaïlande, Indonésie …), l’État joue et a joué un rôle très important dans le développement économique et social du pays. En 2019, par exemple, le risque d’une famine a été surmonté, car l’État est relativement fort.
Avec un aéroport en cours d’expansion, une compagnie aérienne de niveau international (Ethiopian Airlines) qui prospère sous l’aile protectrice de l’État, un réseau routier en développement, avec plus d’un milliard de dollars investis et, surtout, la création de la ligne de chemin de fer entre Addis Abeba et Djibouti, le pays ambitionne d’être le hub marchand de toute l’Afrique orientale et centrale.
- En effet, l’Éthiopie est un carrefour idéalement placé entre l’Asie et l’Europe, et du fait de cette position géographique stratégique, elle souhaite jouer ce rôle de nouveau hub régional. La stratégie d’Ethiopian Airlines vision 2025 fixe ainsi comme objectif de « devenir le groupe aéronautique le plus compétitif et leader en Afrique ». L’Éthiopie utilise donc sa compagnie nationale classée meilleure compagnie africaine comme un outil de développement au service de sa croissance.
- Concernant la création de la ligne de chemin de fer, celle-ci reliera l’Éthiopie au port stratégique de Djibouti, qui ouvrira ce pays enclavé aux marchés internationaux. De plus, l’investissement dans le corridor de transport reliant Addis-Abeba à Nairobi augmentera considérablement les échanges commerciaux avec le Kenya en réduisant les coûts de transit, autre moyen pour le pays d’accéder aux marchés internationaux.
- De plus, le projet de création d’une marine nationale indique clairement cette ambition d’hégémonie régionale et de contrôle indirect du détroit de Bab el-Mandeb, point stratégique du transport maritime mondial.
- Le barrage de la Renaissance, en vigueur depuis 2012, et les réalignements géopolitiques qu’il engendre sont des marqueurs des évolutions des rapports de force entre les États de la région. Le fait que le Soudan s’aligne de plus en plus sur la ligne éthiopienne illustre la capacité qu’a aujourd’hui l’Éthiopie à s’y imposer son hégémonie. L’émergence éthiopienne est ainsi symbolisée aujourd’hui par le fait qu’elle est capable de « refuser de faire » (définition de la puissance de R. Aron). Elle a par exemple refusé de ne pas mettre en service le grand barrage de la Renaissance lorsque le Soudan et l’Égypte lui avaient demandé et qu’ils avaient exercé des pressions importantes sur elle. Le barrage de la Renaissance est moins un outil qu’un indice : l’Égypte, en crise politique profonde depuis la révolte de 2011, a perdu sa prévalence sur le Nil, alors que l’Éthiopie, portée par une économie florissante et un soutien international, consolide sa place privilégiée de capitale africaine.
Le modèle éthiopien repose donc sur des infrastructures énergétiques et de transport, dans le but de développer l’industrie.
Mais dont les faiblesses sont patentes
Des indicateurs qui montrent un faible développement
Bien que deuxième pays le plus peuplé d’Afrique, avec un PIB de 1 150 dollars par habitant, il semble en effet difficile de considérer l’Éthiopie comme une « puissance émergente ».
Le problème de la sécurité alimentaire demeure, la productivité agricole reste également à un niveau relativement faible en raison du manque d’investissement et des pratiques agricoles demandant à être modernisées, et le taux d’alphabétisation pour les habitants de plus de 15 ans est l’un des plus bas du continent africain (il s’élève à 49 % selon le PNUD).
L’Éthiopie est considérée comme un PMA (pays les moins avancés) selon l’ONU, et cela pose la question de la légitimité de son intégration au groupe des BRICS. Dès lors, il semblerait qu’outre le fait d’intégrer une puissance, les BRICS, et surtout le leader chinois, ont voulu promouvoir le modèle de gouvernance dirigiste et traditionnellement étatiste éthiopien.
Un pays dont l’économie ne cesse de s’affaiblir
L’Éthiopie est avant tout un pays en crise économique structurelle et en situation d’insoutenabilité de sa dette.
Le pays est pris au piège de la dette chinoise. Les prêts chinois en Éthiopie s’élèvent à 14 milliards de dollars, l’Éthiopie ayant emprunté lourdement auprès de la Chine lors des années 2010 pour financer ses mégaprojets d’infrastructures, comme le grand barrage de la Renaissance, la ligne de chemin de fer vers Djibouti, ou encore le tramway d’Addis-Abeba. Ainsi, en décembre dernier, Addis-Abeba s’est officiellement déclarée en défaut de paiement.
L’État a invoqué les conséquences de la pandémie de Covid-19, des récentes sécheresses et de la guerre civile qui a duré deux ans pour expliquer sa mauvaise santé financière.
Un pays en proie à de nombreux conflits : une situation humanitaire désastreuse
Le miracle économique éthiopien est menacé certes par la crise de la Covid-19, mais surtout par le conflit au Tigré.
La guerre du Tigré, opposant les rebelles du Tigré et l’État éthiopien, qui a débuté courant 2020 et qui s’est officiellement terminée en 2022, est l’un des conflits les plus meurtriers des deux dernières décennies. Ce conflit a causé plus de morts au combat que la guerre en Ukraine.
Selon l’Unicef, l’Éthiopie est toujours aujourd’hui confrontée à un conflit permanent, à des déplacements à grande échelle dus notamment aux inondations, aux sécheresses et aux famines, ainsi qu’à de multiples épidémies.