(1ère édition 2008, 2ème 2015), 263 pages

Préambule

Dans ce livre D.Moïsi théorise que le monde peut être cartographié par des émotions. Cette aproche de la géopolitique est nouvelle et interessante, bien qu’inhabituelle et imprécise. Les émotions lui servent à comprendre les principaux événements et évolutions géopolitiques dont elles sont à l’origine. Il distingue ainsi les cultures de peur, en occident surtout, d’espoir, en Asie, et d’humiliation, dans le monde arabo-musulman. Pour finir, il imagine ce que serait le monde en 2025, si ces émotions s’expriment, et le met en perspective avec l’actualité.

Il est très intéressant d’avoir cet ouvrage en référence car il traite de l’ensemble de la géopolitique actuel sous un angle original.

À propos de l’auteur : Dominique Moïsi est un politologue et géopoliticien français. Il est conseillé spécial à l’Institut Français de Relations Internationales. Il a enseigné à Harvard et au Collège d’Europe.

Mots clés

Emotion : Réaction immédiate à certaines situations ou impressions.

Peur : Absence de confiance en l’avenir.

Espoir : Confiance en l’avenir, conviction qu’il sera meilleur que le passé.

Humiliation : Sentiment d’une confiance trahie, peur pour l’avenir.

Une nouvelle édition de cet ouvrage a été publiée suite aux attentas de Janvier 2015 car il semblait d’actualité de parler de « géopolitique des émotions ». C’était alors le sentiment d’humiliation qui s’exprimait en France, pays où règnait habituellement la peur.

La culture de l’espoir

L’espoir s’est, au cours des siècles, déplacé de l’Ouest à l’Est. C’est en Asie qu’il est le plus présent aujourd’hui, et s’y exprime par un renouveau dans l’architecture, le design, la mode. La Chininde, avec une croissance économique extraordinaire depuis 10 ans, représente cette confiance en l’avenir. Mais cette confiance n’est pas absolue. En Chine les décisions politiques, qui semblent osciller entre capitalisme et communisme, font douter la population (comme on l’a vu avec l’accident à Tianjin). L’Inde, quant à elle, semble désorganisée. Leur foi en l’avenir parvient tout de même à se répandre à travers le continent, sauf dans certains pays comme le Japon ou la Birmanie.

Le retour de l’empire du milieu :

La Chine, qui avait quitté le devant de la scène mondiale à l’émergence de l’Occident, y est aujourd’hui revenue. Elle connait l’humiliation, car elle constate que l’Occident offre un plus haut niveau de vie qu’elle, et la peur, car ses dirigeants voient dans sa population une masse d’opposants potentiels. Mais aujourd’hui c’est l’espoir qui la guide, elle est convaincue que le communisme est le meilleur système qui soit et qu’il leur apportera la puissance. Et, même si quelques problèmes persistent (comme la corruption), et que les menances restent nombreuses (que la population réclame plus de liberté, que le Tibet devienne indépendant…) la Chine a déjà (ré-)émergée.

L’émergence de l’Inde :

L’Inde, elle, émerge pour la première fois. Pourtant, alors qu’auparavant le pays était connu pour son spiritualisme et son démocratisme, aujourd’hui le pragmatisme et la corruption dominent, tandis que le système de castes demeure. Cela n’empêche cependant pas la population d’espérer, tant que la croissance dure.

L’exception japonaise :

Asiatique pour l’Occident, Occidental pour l’Asie, le Japon se sent isolé depuis la Seconde Guerre Mondiale. Cela lui permet de se faire la passerelle entre l’Orient et l’Occident, mais c’est insuffisant pour calmer la peur de voir ses voisins le rattraper sur le plan du développement alors que lui vieillit.

La culture d’humiliation

Il existe deux types d’humiliations : la positive qui pousse les peuples à se dépasser, comme l’a fait l’Asie du Sud-Est après la Seconde Guerre Mondiale, et la négative qui pousse au désespoir, c’est celle qui domine le monde arabo-musulman.

Sentiment du déclin qui fonde l’humiliation et Humiliation et mondialisation :

L’Occident s’est développé en parallèle du déclin de l’empire Ottoman. Son incapacité à suivre fut la première humiliation du monde arabo-musulman. La seconde est venue avec la mondialisation, dont il n’a pas profité. Enfin, la création d’Israël, la guerre des 6 jours et l’extension des colonies israëliennes, preuves géographiques que son avis ne compte pas dans les décisions internationales et que sa puissance est passée, ont achevés de l’humilier. Ce sentiment l’a poussé à se radicaliser pour exister, d’où l’émergence des mouvements terroristes. De plus ce sentiment ne favorise pas le développement : ainsi le monde arabo-musulman néglige des secteurs essentiels tels que la recherche, l’éducation et l’intégration des femmes dans la société en voulant se développer rapidement.

Islam et christianisme – Le déclin culturel arabe et Humiliation et terrorisme – Le dilemme de l’Occident :

L’islam et le christianisme cherchaient tous deux l’expansion. Le christianisme et sa culture s’est développé le premier et aujourd’hui, même si l’islam se répand à son tour, la langue et la culture arabe déclinent. De plus, depuis le 11/09/01 les amalgames conduisent à encore plus de dépréciation et de marginalisation des musulmans en Occident. C’est pourquoi, une fois encore, certains déçus choisissent l’extrémisme religieux.

Que faire ? :

Le monde arabo-musulman doit s’en sortir de lui-même, lutter contre l’humiliation, les  amalgames, et l’extrémisme religieux. L’Occident doit le soutenir dans cette lutte. Pour cela il faut surtout éviter d’interpréter l’islam comme un refus du changement et gagner en confiance. Les petromonarchies, bien qu’elles soient des cas particuliers de croissance grâce à leur ressources, sont sur la bonne voie.

La culture de la peur

L’Occident a peur car il ne « dirige » plus le monde, et se rend compte de sa vulnérabilité. Les Etats-Unis ont peur du déclin, l’Europe, de perdre son identité. La peur peut conduire à mieux se protéger mais aussi à compliquer ses rapports avec le monde extérieur, dénigrer son gouvernement et violer ses principes, ce qui affaiblit d’autant plus.

La culture européenne de la peur, Le fantôme du passé, Les incertitudes du futur et De la difficulté d’affronter le présent :

L’Europe a peur de ne plus savoir qui elle est. En effet, se sentant menacée par l’extérieur, elle érige des murs ; mais étant mal définie géographiquement, elle se questionne ; et les pays membres de l’Union Européenne la voyant comme la cause de leurs problèmes, elle n’est plus légitime. La peur de la perte d’identité a d’abord été bénéfique, c’est ainsi qu’est née l’UE à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Aujourd’hui, et depuis la guerre en Yougoslavie, elle est négative, les Européens se découvrent incapables de régler un conflit sur leur propre sol et veulent européaniser les Balkans pour éviter d’être « balkanisé », mais l’UE n’est pas encore assez approfondie et l’élan de liberté qui inspiré l’Europe après la chute du mur de Berlin est retombé.

C’est pourquoi l’eurosepticisme se répand, les européens ayant l’impression que les institutions ne les représentent plus. Les européens ont peur d’être gouvernés par une bureaucratie européenne non élue, autant que d’être gouvernés par les Etats Unis. De plus, l’Europe a peur de devenir un musée et de perdre son influence sur le monde tandis que l’Asie émerge. Elle s’interoge également sur ses fondaisons : est-elle fondée sur la culture ou la politique ? L’exutoire au nationaliste serait-il un patriotisme continental ? C’est peut-être là la seule réponse possible aux questionnements identitaires.

Culture américaine de la peur, Qu’avons nous fait pour en arriver là ? Qu’est devenu notre message universel ? et Sommes nous sur le déclin ? :

Les américains, quant à eux se posent 3 questions : qu’avons nous fait pour en arriver là ? Qui sommes nous ? Et, notre puissance décline-t-elle ? La peur fait partie intégrante de l’histoire américaine, le droit au port d’arme et la xénophobie qui y a régné en sont les preuves. Mais c’est avec les attentats du 11 septembre qu’elle s’est installée. Peut-être ont-ils surestimé leur puissance pour la sous-estimer aujourd’hui. Cela les a conduit à violer leurs principes moraux, avec par exemple le principe de la détention préventive.

Dans le même temps ils s’interrogent sur leur avenir. L’individualisme à la base de leur système ne semble plus si nécessaire alors que la Chine communiste émerge. Parfois quelques lueurs d’espoir émergent, comme avec l’élection d’Obama (et la candidate Hillary Clinton aujourd’hui). Mais ils ne sont plus les seuls puissants de ce monde. Et ils devront à présent survivre à l’ascension d’autres puissances. Ils ne sont plus aussi séduisants qu’avant, sur les plans social (toujours beaucoup de discrimination par exemple), économique (à cause de leur dette) et politique (avec des campagnes présidentielles qui coûtent de plus en plus cher). Ils pensent alors au protectionnisme. Mais peut-être tout cela n’est-il qu’une mauvaise passe,  les Américains ayant, par le passé, prouvé (par la longévité du rêve américain…), qu’ils pouvaient faire renaître l’espoir.

La peur divise l’Occident :

Le « divorce transatlantique » a débuté à la fin de la Guerre Froide, puis de la Guerre d’Irak… L’Europe s’émancipe de la tutelle américaine tandis que l’Amérique à l’impression de devoir soutenir les européens (lors de la guerre en Yougoslavie nottament). De plus, depuis le 11 septembre, les européens remettent en question l’invinscibilité américaine et les Etats-Unis se sentent trahis. Les relations sont donc ambivalentes (reconnaissance teintée de doute sur leur capacité à défendre leurs valeurs pour l’Europe, respect et mépris des Etats-Unis pour le vieux continent), tandis que les intérêts de chacun divergent.

Les inclassables

L’amalgame russe :

Les russes ont peur, car il n’ont pas une vision nette de leurs frontières. Ils se sentent humiliés, depuis l’échec du communisme, mais espèrent, car ils ré-emergent et croient en Poutine.

Israël, de l’espoir à l’angoisse :

Là aussi, les 3 émotions sont présentes. La peur, car le pays est encerclé d’ennemis et qu’il y a plus de musulmans que de juifs sur le territoire. L’espoir, depuis la création même du pays. Et  l’humiliation, à cause de l’holocaust et du terrorisme.

Afrique, entre espoir et désespoir :

L’Afrique, objet de convoitise durant la Guerre Froide, est aujourd’hui marginalisée. La violence et la désolation y règnent. Mais l’espoir persiste encore, le continent émerge, la pauvreté et la corruption régressent, les invesisseurs, surtout chinois, se mutliplient (et ne cherchent plus à s’ingérer dans les affaires nationales). Elle ne peut pas être « sauvée » par les occidentaux mais que ceux-ci peuvent soutenir la nouvelle génération de présidents, providentiels, tels que Kagame.

Amérique latine, entre « populisme et progrès » :

Tandis que le Brésil peut être comparé à la Chine et représente le sentiment d’espoir sud américain, les autres pays se sentent plutôt humilés, nottament par le libéralisme forcé. Et alors qu’ils étaient venus à bout des dictatures par la démocratie, le populisme prévaut aujourd’hui. S’ajoute à cela les problèmes de violence, de corruption et de cartels.

Le monde en 2025

La peur prévaut :

Au Moyen-Orient la violence domine et l’autoritarisme qui règne pousse la population à s’exiler. Le monde a peur du terrorisme et de l’« israélinisation », les frontières se sont fermées, l’opposition a été baillonée, les pays ne coopèrent plus, les Etats-Unis sont retournés à leur ancien protectionnisme, l’Europe connait une « balkanisation », la Turquie fait à présent partie intégrante du Moyen-Orient dévasté et la Russie menace ses voisins. La tension est constante. L’Asie est rongée par la guerre du fait de l’échec des gouvernements chinois et indiens, les investisseurs la fuit. En Afrique les pandémies, la pauvreté et la corruption font régner le désespoir. Enfin l’Amérique du Sud souffre des conséquences du protectionnisme adopté par le reste du monde.

L’espoir prévaut :

En 2025, le conseil de sécurité de l’ONU est constitué des Etats-Unis, des BRICS et de l’Union Européenne, il est devenu représentatif de la diversité mondiale. Le Moyen-Orient est pacifié. Les Etats-Unis, rassurés, se consacrent à l’écologie et soutiennent l’ONU. La Russie s’est alliée à l’Union Européenne qui a grandie et s’est constituée en un gouvernement commun. L’Afrique a émergée d’elle même et attire les investissements, le niveau de vie y a augmenté du fait de bons dirigeants. Quant à l’Amérique Latine, elle s’est unifiée sur les plans économique et judiciaire et combat ses maux

Le monde en 2015 (préface de la ré-édition)

Aujourd’hui le monde est beaucoup plus déprimé que lors de l’écriture du livre, la peur a triomphé, malgré des sursaut d’espoir comme lors des manifestations de soutien du monde entier suite aux attentas de janvier en France et la gestion de la crise des subprimes. La Russie est crainte car son sentiment d’humiliation est instrumentalisé à des fins expansionnistes. Le terrorisme a pris de l’ampleur et germe même dans les pays occidentaux. Par contre, le monde est aussi devenu de plus en plus interdépendant et l’humanité toute entière se sent concernée par le réchauffement climatique. Nous sommes donc entre les deux prospectives de D.Moïsi et, d’ici à 2025, tout peut encore se produire.