La question de la fracture entre une Amérique rurale et une Amérique urbaine s’est posée lors des élections américaines de 2016, avec les grandes villes qui ont voté pour Hillary Clinton, là où les campagnes ont plébiscité la personnalité antisystème de Donald Trump. D’où vient cette fracture ?
Amérique rurale
Aux États-Unis, on dit qu’une personne est « non urbaine » lorsqu’elle réside dans une agglomération de moins de 2 000 logements ou 5 000 personnes. 17 % de la population américaine correspond à cette définition, soit une cinquantaine de millions de personnes. Il y a certes une relative diversité au niveau des campagnes du pays de l’Oncle Sam, mais il apparaît tout de même qu’il y a une indéniable homogénéité raciale.
En effet, seul un individu sur cinq n’y est pas blanc. En comparaison, 44 % de la population urbaine est non blanche (encore plus à New York, Los Angeles, Houston ou Chicago). La caricature de l’homme rural blanc souvent dessinée par Hollywood n’est donc pas si loin de la réalité. Il est également à noter que la population rurale est relativement plus âgée que celle urbaine, avec un niveau de scolarisation moins élevé.
Le sentiment d’injustice des électeurs ruraux n’est pas totalement infondé. L’état d’un certain nombre de services publics le prouve bien. Le nombre de médecins et la proportion de moins de 65 ans bénéficiant d’une assurance maladie sont plus faibles. Les transports en commun sont quant à eux peu nombreux par rapport aux besoins, ce qui rend absolument indispensable la possession d’une voiture pour se déplacer.
À cela s’ajoute un sentiment de déclassement permanent, avec un exode rural qui n’a jamais vraiment cessé. Les régions rurales connaissent un taux de mortalité supérieur au taux de natalité, notamment au Midwest. Cela s’explique en particulier par la diminution des professions agricoles du fait d’une concurrence accrue à l’échelle nationale et internationale. Les fermes familiales, qui étaient au cœur de l’économie rurale et surtout du lien humain qui caractérise tant les campagnes, disparaissent pour être remplacées par une agriculture plus industrialisée, nécessitant moins d’emplois. Quant aux activités minières et pétrolières, si elles gardent une certaine importance, elles se savent proches de leur terme.
Amérique urbaine
Les grandes villes américaines, avec leurs gratte-ciel, sont les symboles de la puissance économique des États-Unis. C’est en effet à Chicago en 1885 qu’est construit le premier gratte-ciel au monde.
Mais, alors même que l’écrasante majorité de la population vit dans les villes, la surface urbaine est résiduelle en comparaison à celle des campagnes. Les zones urbaines ne représentent en effet que 3 à 4 % de la superficie totale des États-Unis.
L’Amérique urbaine se caractérise par sa diversité ethnique et raciale, avec parfois plus de la moitié de la population qui n’est pas blanche. C’est un ensemble de zones où se concentrent l’activité économique et les possibilités d’emplois, jouissant généralement de plusieurs infrastructures, d’une offre culturelle et de possibilités de loisirs.
Mais il y a aussi de grandes inégalités qui persistent, y compris des inégalités raciales. Les crises du logement qui deviennent de plus en plus récurrentes le montrent bien.
Certains problèmes sont spécifiques à cette Amérique urbaine, comme la pollution et la criminalité.
Un clivage identitaire
Les villes et les campagnes ont l’impression de ne plus s’entendre, de ne plus se comprendre. La fracture va au-delà d’une différence sociale, économique ou même raciale, c’est un clivage identitaire. Les modes de vie ne sont pas du tout les mêmes. Les valeurs non plus. À cela s’ajoute un sentiment d’injustice chez les ruraux, qui ont l’impression de faire un travail plus difficile et de ne pas être récompensés à la hauteur de leurs efforts. Ce ressentiment des ruraux est encore plus exacerbé à l’encontre de l’État, qui les aurait abandonnés tout en continuant à compter sur eux pour faire le « sale boulot ». S’il y a une ville que les campagnards détestent, c’est bien Washington DC.
Par ailleurs, chacun des deux camps a une vision stéréotypée de l’autre, rendant ainsi une entente et une bonne communication impossibles. La différence est également culturelle. Par exemple, la part de la population possédant une arme à feu est largement plus élevée en campagne que dans les villes. La NRA (National Rifle Association), grand lobby des armes à feu, a un large succès et une grande influence dans les zones rurales, alors qu’elle est assez critiquée dans certaines grandes villes.
Le même constat s’applique pour d’autres sujets sociétaux, à l’instar de l’avortement. Il n’est donc pas surprenant qu’entre 60 et 65 % des électeurs ruraux se considèrent comme républicains. 65 % d’entre eux ont voté pour Donald Trump et Mike Pence en 2020, alors que 66 % des urbains ont voté pour Joe Biden et Kamala Harris. Il s’agit donc d’un fossé politique abyssal, quasiment un schisme.
Par rapport à l’immigration, les campagnes y sont plus hostiles, alors même qu’elles sont beaucoup moins concernées et que, surtout, leur économie aurait bien besoin d’immigration. Cela s’explique par les valeurs traditionnelles très conservatrices et l’homogénéité socioculturelle des zones rurales, rendant ses populations moins enclines à accepter la diversité.
Conclusion
En somme, la fracture entre l’Amérique rurale et l’Amérique urbaine s’inscrit dans un contexte complexe de divergences socio-économiques, culturelles et politiques. Les grandes villes, symboles de dynamisme et de diversité, se heurtent à des campagnes souvent perçues comme des bastions de traditions et de conservatisme.
Les différences de valeurs et de modes de vie exacerbent encore plus ce clivage, rendant difficile tout dialogue constructif entre ces deux Amériques. Ce schisme, qui transcende les simples clivages politiques, soulève des questions cruciales sur l’identité nationale et sur la manière dont les États-Unis peuvent aborder les défis contemporains pour construire un avenir plus inclusif et solidaire.
C’est donc un vrai défi pour les deux grands partis d’Amérique qui, aujourd’hui, semblent se satisfaire de cette fracture, vu qu’elle sert leurs intérêts réciproques.
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