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Peu peuvent nier que la Chine est désormais un mastodonte économique de niveau mondial. Première puissance commerciale depuis 2013 et première puissance économique depuis 2021 (en PPA), rien ne semble arrêter la formidable progression de l’Empire du Milieu. Pourtant, sa monnaie nationale, le yuan, reste paradoxalement très faible par rapport aux autres devises internationales. Comment peut-on l’expliquer ? Cette situation révèle-t-elle certaines faiblesses chinoises ? Quelles sont les prédictions pour les années à venir ? Tour d’horizon du yuan, au centre de toutes les attentions internationales.

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Le yuan, qu’est-ce que c’est ?

Autrement appelé renminbi (RMB) qui signifie littéralement « la monnaie du peuple », le yuan est la devise officielle de la République populaire de Chine. Émis pour la première fois par la Banque populaire en 1948, le yuan a permis à l’époque de mettre fin à la pluralité des devises, de réduire l’hyperinflation et il a participé à l’avènement d’une nouvelle ère économique.

Certains historiens estiment même qu’il a eu un impact dans la victoire des communistes de Mao contre les nationalistes du Kuomintang en 1949. Son symbole est « Ұ » : un y avec une ou deux barres au milieu.

La notion de monnaie internationale

Une monnaie internationale est une monnaie qui, au niveau international, permet à la fois l’épargne (monnaie de réserve), le crédit et l’échange. Elle doit remplir quatre critères bien définis : être convertible, être dotée d’institutions stables et inspirant confiance, doit avoir un système financier développé pour permettre l’action de multiples acteurs à l’échelle internationale et enfin émettre des liquidités en quantité suffisante.

Les principales monnaies internationales sont le dollar, le yen japonais, l’euro, la livre sterling, le dollar australien et le yuan.

Le yuan : une devise qui reste marginale à l’échelle mondiale

Pour donner un ordre d’idée, le yuan représente 2 % des réserves de change mondial. Le billet vert représente pour sa part 59 % des réserves et l’euro 22 %. En outre, seuls 3 % des paiements internationaux s’effectuent en yuans. Ainsi, à première vue, le yuan apparaît faible et marginal par rapport aux autres devises internationales.

Alors, comment l’expliquer ? Selon l’économiste américain Barry Eichengreen, le rayonnement d’une devise ne dépend pas du seul rapport de force économique, mais avant tout de sa puissance diplomatique et militaire. Par exemple, selon lui, l’euro devrait être beaucoup plus fort, mais est fragilisé par l’impuissance européenne dans plusieurs domaines. Or, aux dernières nouvelles, la Chine est loin d’être faible d’un point de vue diplomatique et militaire.

Si l’on suit la théorie de Barry Eichengreen, le problème se situe ailleurs. En premier lieu, le yuan ne dispose pas de la confiance des marchés financiers (la plupart des transactions sont contrôlées par les autorités). Au contraire du dollar, perçu comme « sûr » et régulièrement utilisé en temps de crise. En second lieu, cette faiblesse s’explique également par une position idéologique. La Chine a effectivement fait le choix de garder un contrôle sur sa monnaie et d’émettre moins de liquidité que son rival américain.

Pour que la monnaie nationale de l’Empire du Milieu devienne une devise internationale de renom, cela nécessiterait alors que la Chine renonce à une partie de sa souveraineté. Ce qu’elle ne semble pas encore prête à faire pour le moment.

La domination du billet vert : un frein à l’expansion du yuan

En outre, malgré son déclin maintes fois annoncé, il semble que le dollar reste indétrônable. Depuis les accords de Bretton Woods de 1944, le billet vert s’est toujours placé au centre du système monétaire international. Ce « privilège exorbitant », selon les mots de l’ancien Président français Valéry Giscard d’Estaing, confère aux États-Unis une puissance économique sans égale.

Néanmoins, ces derniers temps, la domination du dollar est bousculée. Une volonté de dédollariser l’économie mondiale est de plus en plus voulue, particulièrement par les pays émergents et révisionnistes, qui souhaitent mettre fin à un monde occidentalocentré. S’il paraît improbable pour le moment que le dollar perde son hégémonie, la Chine a peut-être quelque chose à tirer de ce contexte géopolitique.

Les efforts chinois commencent toutefois à porter leurs fruits

La patience stratégique est une doctrine qui invite à penser la géopolitique chinoise sur le long terme. La Chine nourrit par exemple le rêve (« le rêve chinois ») d’être la première puissance économique en 2049, pour le centenaire de la révolution mené par Mao. Pour arriver à cet objectif, l’Empire du Milieu est conscient que cette ambition ne pourra être réalisable en l’absence d’une devise forte.

Pour atteindre cet objectif, la Chine – notamment via son projet des nouvelles routes de la soie (OBOR) – a multiplié les accords avec les pays du globe. Dans un premier temps sur le continent asiatique. Elle semble en effet voir dans la régionalisation de sa monnaie une étape vers son internationalisation. Dès les années 2000, le CMI (Chiang Mai Initiative) répondait au besoin en liquidité des pays membres. Puis, plus récemment, via des organisations régionales (RCEP) ou des institutions bancaires comme la « banque asiatique d’investissement dans les infrastructures » (BAII), Pékin a renforcé la présence de sa devise nationale sur le continent.

En outre, fort de sa posture révisionniste, la Chine souhaite également présenter des alternatives aux outils du système monétaire international, dominé en majorité par les Occidentaux. Pékin a ainsi ouvert sa propre agence de notation Dagong et a fondé CIPS, qui se veut être une alternative à l’intermédiaire bancaire SWIFT. CIPS a par exemple été grandement utilisé par les Russes depuis le début de la guerre en Ukraine et leur éviction du système. Par ailleurs, la BAII ambitionne de concurrencer le FMI.

Le yuan au niveau international

Enfin, d’un point de vue beaucoup plus international, le yuan semble de plus en plus renforcer sa posture de challenger. Fin avril 2023, l’Argentine a annoncé régler désormais l’ensemble de ses importations chinoises en yuans plutôt qu’en dollars. L’Argentine a alors suivi le pas du Brésil, qui a indiqué une décision similaire en mars dernier.

Par ailleurs, l’Inde n’utilise dorénavant plus le pétrodollar dans ses échanges avec la Russie. Enfin, suite à la signature d’un accord « sans limite » entre la Russie et la Chine, les volumes d’échange du yuan ont dépassé pour la première fois en février et mars 2023 ceux du billet vert.

Ainsi, on l’a remarqué : la Chine a bel et bien l’ambition de faire de sa devise nationale une monnaie de niveau international. Son projet des nouvelles routes de la soie (OBOR), le contexte géopolitique et sa posture révisionniste (un grand nombre d’émergents semblent vouloir s’émanciper des puissances occidentales) sont autant d’outils dont elle dispose au service de son aspiration.

Des faiblesses qui persistent

Toutefois, la Chine souffre toujours de faiblesses qui fragilisent ce renforcement du rôle du yuan dans le système international. Ces dernières années, elle a en effet vu sa croissance lourdement chuter, les institutions chinoises continuent dans l’ensemble de financer en dollars pour des raisons pratiques liées à l’absence de marché de change et le RMB – malgré de nombreux accords – suit plutôt une tendance de stagnation de son internationalisation.

En outre, jamais le yuan n’a été utilisé dans des transactions entre deux pays autres que la Chine.

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Prospectives

Numéro 1

Selon l’économiste français Jacques Mistral, il existe un décalage temporel entre le moment où une économie devient dominante et le moment où c’est sa monnaie qui devient dominante.

À la fin du XIXᵉ siècle, les États-Unis étaient par exemple déjà la première puissance économique, alors que la livre sterling (£) restait la monnaie absolument dominante.

Un scénario similaire avec les États-Unis et leur dollar et la puissance économique ascendante chinoise et leur renminbi (yuan) est alors envisageable.

Numéro 2

Selon Pierre Grosser, le « monde est à la fois unipolaire (cf. les États-Unis dans beaucoup de domaines) que bipolaire, que multipolaire, voire apolaire ». En somme, le monde est de plus en plus illisible. Les rapports de force font leur grand retour et un nombre important de pays émergents aspire à plus de pouvoir et d’autonomie dans le système international.

Ainsi, fort de ce contexte géopolitique, plutôt que de prévoir un système monétaire centré sur le yuan, le monde multipolaire que nous vivons semble davantage présager l’avènement d’un monde multimonétaire.

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