Major Prépa te propose ici un corrigé détaillé sur un sujet qui pourrait très probablement tomber, mettant en lien deux notions clés en géopolitique : la guerre et la construction européenne. Ce sujet n’est encore jamais tombé au concours et il est brûlant d’actualité. L’intitulé de la dissertation que nous allons traiter est le suivant : « Guerres et construction européenne. »
Introduction
« Je veux que l’indépendance de la République Srpska se fasse de mon vivant. » C’est sur ces mots que Milorad Dodik, homme fort de la République serbe de Bosnie, conclut un discours en juillet 2022. En exprimant clairement sa volonté de se détacher du reste de la Bosnie-Herzégovine, le nationaliste serbe viole de facto les accords de Dayton de 1995, qui séparèrent la Bosnie, au lendemain de la guerre, en deux républiques distinctes : la république serbe de Bosnie et la république croato-bosniaque de Bosnie-Herzégovine.
Le fait est que ces velléités d’indépendance sont en partie animées et alimentées par la Serbie d’Aleksandar Vucic, alors même que ce pays est un candidat officiel à l’adhésion dans l’Union européenne depuis 2012. On voit ici évidemment le spectre de la guerre qui semble planer sur l’Union européenne et sa construction, en cas d’un retour de la guerre dans cette région des Balkans, semblant avoir retrouvé son triste surnom de poudrière.
La guerre est ainsi définie par le stratège prussien Carl von Clausewitz dans son ouvrage De la guerre comme la « continuation de la politique étrangère par d’autres moyens ». La guerre suppose également des armes, qui peuvent être létales, mais pas nécessairement. De plus, la guerre ne s’exerce pas forcément de manière directe sur un champ de bataille, mais peut avoir lieu sur une multitude de terrains d’affrontements. Elles sont alors « invisibles », pour reprendre les mots de Thomas Gomart, dans son ouvrage Guerres invisibles paru en 2021.
La construction européenne a quant à elle une double dimension
Une dimension spatiale, qui se matérialise par divers élargissements, dont le plus large aura été celui de 2004 avec 10 nouveaux pays, et une dimension institutionnelle, par l’adhésion des pays aux diverses institutions. Le fait est que la construction européenne a pour but premier de garantir et de pérenniser la paix sur le continent européen, c’est-à-dire l’inverse de la guerre, mais aussi un ordre établi par une puissance dominante.
Pourtant, les risques de guerre dans les Balkans, ou la guerre en Ukraine, aux portes de l’Union européenne, menacent cet équilibre. Un équilibre d’autant plus fragilisé que dans un système mondialisé, la multiformité de la guerre rend la frontière entre paix et guerre d’autant plus poreuse. Dès lors, plus de 70 ans après le début de la construction européenne, et malgré un prix Nobel de la paix accordé en 2012 à l’Union européenne, l’objectif premier des pères fondateurs de l’Europe a-t-il été véritablement rempli ?
Ainsi, si la construction européenne a pour vocation d’éradiquer la guerre sur le Vieux Continent (I), les menaces récurrentes de guerres fragilisent cet équilibre (II). De plus, face au caractère protéiforme de la guerre, la construction politique de l’Europe doit s’adapter aux défis et aux obstacles qui menacent sa pérennité (III).
I/ La construction européenne a pour vocation d’éradiquer la guerre sur le Vieux Continent
A/ L’émergence de l’idée d’Union pour pacifier le continent
Les guerres qui ont violemment ensanglanté le sol européen pendant des siècles ont suscité depuis le XVIe siècle des projets d’unité des peuples. Régulièrement, la volonté d’instaurer des « projets de paix perpétuelle » (Emmanuel Kant) apparaît sous la plume de certains écrivains comme Jean-Jacques Rousseau ou encore Victor Hugo. Ce dernier militant pour la création des « États-Unis d’Europe ».
Marquées par la brutalité de la Première Guerre mondiale, les mentalités évoluent et le projet européen semble alors se concrétiser. Dès 1923 naît l’initiative d’un mouvement paneuropéen impulsée par le diplomate austro-hongrois Richard Coudenhove-Kalergi. Également, le rapprochement opéré entre les ministres des Affaires étrangères français et allemand, respectivement Aristide Briand et Gustav Stresemann, illustre cette idée de faire du continent européen un havre de paix. En témoigne le prix Nobel de la paix que recevront en 1927 ces deux artisans d’une Europe qui souhaite se prémunir contre la guerre.
Plus tard, c’est par ses élargissements successifs que la construction européenne s’affirme comme un véritable rempart contre la guerre. Par exemple, la Slovénie accédera à son indépendance en 1991 à l’issue d’une guerre de 13 jours contre son voisin serbe, et intégrera l’Union européenne dès 2004. C’est que la construction européenne semble être le remède face aux maux provoqués par la guerre.
B/ Le doux commerce comme vecteur de paix
En effet, c’est parce que « l’effet naturel du commerce est de porter à la paix », selon Montesquieu dans L’Esprit des lois, que la construction européenne a pour objectif premier de rapprocher les économies, afin d’éloigner le spectre de la guerre. Ainsi, la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), fondée en 1951, est avant tout une coopération économique sur le charbon et l’acier entre ses six membres fondateurs, à savoir la France, la RFA, l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg.
C’est parce que l’acier a notamment permis à l’Allemagne de construire son économie de guerre sous le IIIe Reich que l’objectif est d’éloigner ce souvenir de guerre qui hante les mémoires. Élargie en 1957 lors de la signature du traité de Rome qui entérine la création de la Communauté économique européenne, cette coopération concerne désormais de multiples secteurs. Le traité de Rome instaure dès à présent une préférence communautaire par le biais de politiques communes et de tarifs extérieurs communs, afin de faire de ces pays membres de véritables partenaires économiques, sur le chemin vers la paix.
C/ Le choix d’une puissance normative et d’une diplomatie tribunitienne reposant sur le multilatéralisme
La construction européenne, par le biais de l’Union européenne, souhaite également se positionner comme une puissance qui promeut des valeurs, hostiles à la guerre. C’est parce que le continent européen aura connu trois conflits majeurs entre 1870 et 1945 qu’elle aspire à se positionner comme un modèle face aux menaces de conflits guerriers.
Ainsi, l’Union européenne est vue comme une « puissance normative » selon Zaki Laïdi, c’est-à-dire une puissance qui « s’efforce de promouvoir à l’échelle mondiale des standards régulateurs et prescriptifs capables de générer de la stabilité et de la prévisibilité dans le jeu mondial ». L’Union européenne a ainsi de fait une capacité, à travers ses membres, d’initiative.
Dès la fin du XXe siècle et le conflit en ex-Yougoslavie, les pays européens militent pour la création d’une Cour pénale internationale, chargée de juger les criminels de guerre. Ce projet sera ainsi effectif dès 2002 avec la signature du traité de Rome qui entérine de facto la création de cette instance. De même, c’est par son rôle de médiateur que l’Union européenne souhaite écarter, autant que faire se peut, les risques de guerre.
Ainsi, notamment à l’initiative de la France et de l’Allemagne, elle joue un rôle dans les tentatives de règlement des conflits sécessionnistes dans les oblasts de Donetsk et de Louhansk à l’est de l’Ukraine, avec la signature des accords de Minsk I et II en 2014 et 2015, sous la houlette d’Angela Merkel et de François Hollande.
II/ Mais les menaces récurrentes de guerres sur le sol européen fragilisent cet objectif
A/ L’Union européenne apparaît en réalité bien souvent désunie
Des menaces internes peuvent faire resurgir le spectre de la guerre, ce qui peut fragiliser l’équilibre de la construction européenne. C’est parce que la guerre est un véritable défi que tout l’enjeu réside dans le fait d’être uni. Pourtant, il en reste que c’est bien loin d’être toujours le cas. Déjà, dès 2003, les pays européens se divisent au sujet de l’intervention en Irak sous coalition internationale. Si certains pays comme l’Italie ou l’Espagne décident d’envoyer des forces, la France, par exemple, s’y refuse. Ce qui atteste d’un certain manque d’union entre les pays de l’Union européenne.
Le discours de Dominique de Villepin, ministre français des Affaires étrangères d’alors, à la tribune de l’ONU en 2003, est d’ailleurs symbolique : « Dans ce temple des Nations unies, nous sommes les gardiens d’un idéal, nous sommes les gardiens d’une conscience. La lourde responsabilité et l’immense honneur qui sont les nôtres doivent nous conduire à donner la priorité au désarmement dans la paix. »
Plus récemment, c’est la guerre en Ukraine qui aura fait resurgir le fantôme d’une division entre États membres et en pourparlers d’adhésion, sur la question de la guerre. Alors que les pays souhaitent se concerter sur une attitude commune à adopter face à l’agresseur russe, la Serbie, candidate à l’adhésion, et la Hongrie, membre de l’Union européenne depuis 2004, toutes deux alliées de Moscou, préfèrent jouer cavalier seul. Ces deux pays continuent de recevoir des hydrocarbures russes au rabais, pendant que les autres États maintiennent un embargo sur la Russie.
B/ Et les marges de cette Union sont un terrain fertile pour les conflits
Cependant, ce sont bien plus des menaces externes qui ont tendance à ramener le spectre de la guerre au-dessus de l’Europe. À l’est, le voisin russe inquiète particulièrement les Européens. La guerre impérialiste que mène Vladimir Poutine contre l’Ukraine depuis février 2022 contribue à menacer un élargissement éventuel de l’Union.
En effet, c’est tout le débat autour d’une éventuelle adhésion de l’Ukraine qui cristallise les relations entre ces deux pays. Rappelons que la crise ukrainienne de 2014 et la révolution Maïdan auront été déclenchées par la décision soudaine du président de l’Ukraine, Viktor Ianoukovytch, de suspendre l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine et de relancer un dialogue avec Moscou.
Pendant trop longtemps, par peur d’un conflit ouvert avec Moscou, l’Union européenne agit timidement contre la Russie, et ce, malgré les invasions de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie en 2008, et de la Crimée en 2014 : seules quelques sanctions économiques seront prononcées contre la Russie. Mais les conflits latents dans ses marges obligent l’Union européenne à agir pour enrayer le spectre de la guerre.
Ainsi, est proposée en 2004 la Politique européenne de voisinage à tous les pays du pourtour méditerranéen (sauf la Libye) et, dans la continuité, le Partenariat oriental en 2009. Plus récemment, l’ouverture de la Communauté politique européenne, à l’initiative du président français Emmanuel Macron, montre la volonté de l’Union européenne de lutter contre les risques de conflits à ses portes. En marge du sommet du 1er juin 2023 s’est notamment tenue une rencontre informelle entre la France, l’Allemagne, le Kosovo et la Serbie, dans un contexte de fortes tensions intercommunautaires au nord du Kosovo.
L’exemple des tensions en ex-Yougoslavie et de la guerre qui y a fait rage dès 1991 montre que peuvent se passer aux portes de l’Europe les pires atrocités. En témoignent les campagnes de purification ethnique menées par les Serbes, comme l’illustre la tristement célèbre prise de l’enclave de Srebrenica en 1995 par les troupes du général Ratko Mladic, aboutissant à l’exécution de 10 000 Bosniaques musulmans.
C/ Les États européens apparaissent ambigus face à la guerre
L’attitude des acteurs de la construction européenne est également teintée d’ambiguïté. Si l’objectif est de préserver la paix, certains pays n’hésitent pas à s’engager hors d’Europe dans des processus conflictuels. Ainsi, la France, pilier de la construction européenne, s’engagera dans des guerres de décolonisation, comme en Algérie de 1954 à 1962.
Également, les relations entre l’Europe et ses alliés ne sont pas toujours un long fleuve tranquille et peuvent parfois mener à la guerre. Celle-ci n’est ici pas militaire, mais économique, comme le montre par exemple la Chicken Tax imposée par les États-Unis à la France dans les années 1960, par crainte que les volailles produites en Europe dans le cadre de la Politique agricole commune européenne n’inondent le marché américain.
III/ Face au caractère protéiforme de la guerre, la construction politique de l’Europe doit s’adapter aux défis et aux obstacles qui menacent sa pérennité
A/ Le défi posé par la guerre hybride
L’un des défis majeurs auxquels est confrontée la construction européenne est celui posé par la guerre hybride. En effet, le caractère de la guerre évoluant, le projet politique européen se doit d’évoluer de manière simultanée dans sa façon de réagir face à la guerre, ici hybride. Celle-ci est tout d’abord définie par Dmitri Muratov, journaliste indépendant russe au Novaïa Gazeta et prix Nobel de la paix en 2020, de la manière suivante : « L’hybridité, c’est quand un état remplit ses fonctions mais que personne n’en est responsable à titre personnel. »
En d’autres termes, il s’agit de faire la guerre sans dire ni montrer que l’on fait la guerre. C’est parce que cette forme de guerre est une menace que l’un des piliers de la Politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne est justement de trouver les moyens de se défendre et de se protéger contre ce fléau.
L’Estonie, par exemple, a été victime de la première cyberattaque en 2007, un des aspects de la guerre hybride, pour avoir déplacé la statue du soldat de bronze, qui commémorait l’ère soviétique. Plus récemment, c’est la Lituanie qui en 2021, parce qu’elle souhaitait renforcer sa présence diplomatique sur l’île de Taïwan, a été victime de cyberattaques de la part de la Chine. Cette même Chine qui avait réalisé la même chose contre la France en 2008, en réaction à l’invitation par Nicolas Sarkozy du dalaï-lama Tenzin Gyatso.
Ainsi, la guerre est en mutation et pose un nouveau défi pour la construction européenne.
B/ La nécessité du compromis traduit un impératif d’unité pour apparaître moins vulnérable
Pour peser contre les menaces que peut poser la guerre, sous toutes ses formes, la construction politique de l’Europe doit passer par des compromis. En effet, les États doivent sagement doser entre intérêts nationaux et intérêts européens.
Si l’Allemagne a su le faire concernant l’euro, en acceptant dès 1989 le projet de monnaie unique en l’échange d’une réunification rapide, la France avait déjà initié cette stratégie du compromis dès 1966 avec le compromis du Luxembourg. Ce dernier mit fin à la politique dite de « la chaise vide » du général de Gaulle et instaura une majorité qualifiée pour certaines décisions (55 % de la population et 65 % des États membres), juste milieu entre majorité et unanimité.
La construction européenne est donc essentielle et ne peut être un rempart contre les guerres que si elle est forte, d’où la nécessité du compromis.
C/ Le manque, à l’heure actuelle, d’autonomie stratégique fait de l’Union européenne un acteur partiellement impuissant face à la guerre
Le fait est que l’Union européenne manque cruellement d’autonomie stratégique, ce qui peut être une faiblesse face aux risques de conflits. L’autonomie stratégique relève d’une préoccupation intermédiaire visant à réduire la dépendance d’un pays ou de l’Union européenne par rapport à d’autres pays.
Même si est créé un Eurocorps en 1992, sous l’égide du président français François Mitterrand et du chancelier allemand Helmut Kohl, l’Europe manque d’autonomie stratégique au niveau militaire. La plupart des pays européens comptent sur la protection des États-Unis et de l’OTAN, en témoigne l’élargissement récent de l’Alliance avec l’adhésion de la Finlande, alors que le projet d’une défense européenne est toujours au point mort.
Le retrait de Donald Trump des accords FNI en 2018 se fera sans consultation de l’Union européenne, alors même que cela concerne sa sécurité et sa souveraineté. C’est parce que les pays européens sont vulnérables, cela combiné à l’aléa important de la guerre, que la guerre est un risque pour l’Union européenne. Dans le domaine économique et technologique, l’Europe est trop dépendante des technologies extérieures. En témoigne par exemple la pénurie de gilets pare-balles en Allemagne, gilets confectionnés à l’aide d’un matériau très présent en Chine, ou encore la dépendance accrue des pays européens au cloud américain, où près de 84 % des informations transitent.
Les pays européens essaient donc de réagir, autant que faire se peut, afin de recouvrer une véritable souveraineté et une autonomie semblant s’être égarées. L’Allemagne a par exemple alloué près de 100 milliards d’euros à la modernisation de son armée nationale, la Bundeswehr, ce qui fera de ce pays celui ayant la plus grosse part du budget consacré à la défense. La guerre en Ukraine aura également peut-être fait éclore les prémices d’une défense aérienne européenne, exprimée par le chancelier allemand Olaf Scholz dans son discours de Prague en septembre 2022.
Conclusion
Ainsi, il semble que malgré son idéal pacificateur, le projet de construction politique de l’Europe n’aura probablement jamais été épargné par la guerre : guerres mondiales, guerre froide, guerre en ex-Yougoslavie, guerre en Ukraine… En 2019, le président français Emmanuel Macron déclarait que l’OTAN était en état de « mort cérébrale ».
Mais, c’est peut-être la construction européenne qui est aujourd’hui au point mort. Les perspectives d’adhésion de l’Ukraine et des pays des Balkans semblent s’éloigner, quand bon nombre de pays déjà membres parlent d’une « fatigue des élargissements ». Ajoutons à cela la sortie de l’Union européenne du Royaume-Uni avec le Brexit. Dès lors, le terme de construction européenne aurait-il encore du sens ?
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