Les pays baltes, situés en Europe du Nord, regroupent l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie, trois pays bordés par la mer Baltique. Indépendants de l’URSS depuis 1991, ils sont aujourd’hui membres de l’UE, de l’OTAN et de la zone euro.
Présentation
- L’Estonie compte 1,3 million d’habitants. C’est le plus petit pays des trois, à la fois en nombre d’habitants et de superficie.
- La Lettonie compte 1,8 million d’habitants et joue un rôle stratégique en matière de défense et d’infrastructures dans la région.
- La Lituanie est le plus grand des trois pays, en nombre d’habitants (2,8 millions) comme en superficie. Le pays connaît une forte croissance économique et investit massivement dans la sécurité énergétique pour réduire sa dépendance à la Russie.
Indépendance énergétique : les pays baltes franchissent « la dernière étape pour sortir de l’influence russe », Rokas Masiulis, directeur général de Litgrid, le réseau électrique lituanien, le 9 février.
Le 9 février 2025 : l’indépendance énergétique
Le 9 février 2025, Ursula von der Layen ainsi que les trois dirigeants des pays baltes se réunissaient à Vilnius pour célébrer le rattachement des pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie) au réseau électrique ouest-européen. Le système électrique a désormais fusionné avec les réseaux d’Europe continentale et nordique, grâce à plusieurs liaisons avec la Finlande, la Suède et la Pologne. Un geste de souveraineté concret et hautement symbolique qui marque « la dernière étape pour sortir de l’influence russe », se félicite Rokas Masiulis, le directeur général de Litgrid (réseau électrique lituanien). En effet, jusqu’ici, les pays baltes dépendaient du réseau russe pour leur approvisionnement en électricité.
Pour les pays baltes, cette déconnexion marque l’aboutissement de presque deux décennies de travail visant à réduire progressivement la dépendance envers la Russie en matière de pétrole et de gaz d’abord, puis d’électricité. Ces travaux représentent un investissement de 1,6 milliard d’euros, financés aux trois quarts par l’UE. Grâce à ce travail de longue haleine, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie ont été les premières à cesser toutes les importations de gaz russe au début de la guerre.
Aujourd’hui, leur sécurité énergétique repose sur quelques câbles et gazoducs stratégiques, notamment quatre interconnecteurs construits ces dix dernières années :
- Estlink 1 et 2 (Estonie-Finlande)
- NordBalt (Lituanie-Suède)
- LitPol (Lituanie-Pologne, terrestre)
Si la Lituanie importe encore la moitié de son électricité, cette nouvelle intégration européenne assure une meilleure stabilité énergétique.
Une décision historique
Pour Thierry Bros, professeur à Sciences Po Paris et auteur de Géopolitique du gaz russe, l’indépendance énergétique des pays baltes n’est pas une réaction soudaine à la guerre en Ukraine, mais l’aboutissement d’une stratégie de long terme. « Cette indépendance énergétique est en fait préparée depuis longtemps par les pays baltes, avant même l’invasion de l’Ukraine par la Russie », rappelle-t-il. En effet, depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie ont vécu sous l’influence de Moscou, qui les a annexées en 1940 avant qu’elles ne recouvrent leur indépendance en 1991. En 2004, ces trois États rejoignent l’OTAN et l’Union européenne, marquant une rupture claire avec leur passé soviétique.
Le tournant énergétique commence réellement après l’annexion de la Crimée par la Russie, en 2014. Face à cette violation du droit international, les pays baltes se montrent parmi les premiers à soutenir l’Ukraine et à alerter leurs alliés occidentaux sur la menace russe. Ils appliquent également des mesures de rétention contre Moscou, malgré le coût économique élevé, la Russie étant alors l’un de leurs principaux partenaires commerciaux. Mais, jusqu’en 2020, leur dépendance au gaz russe reste écrasante :
- la Lituanie importe encore 42 % de son gaz de Russie ;
- l’Estonie, 93 % ;
- la Lettonie, 100 %.
L’effort de diversification énergétique s’est ensuite accéléré, notamment grâce aux investissements dans des infrastructures gazières et électriques alternatives, jusqu’à aboutir à cette déconnexion définitive du réseau russe en 2025.
Maîtrise des approvisionnements en énergie : quels enjeux ?
Pour les pays baltes
Pour les pays baltes, cette indépendance énergétique représente une avancée stratégique, mais elle implique également des défis économiques. Jusqu’à présent, leur approvisionnement en énergie via la Russie bénéficiait de coûts relativement faibles. Désormais, les prix vont augmenter à court terme, avant de redescendre progressivement, notamment grâce à la mise en service d’une nouvelle centrale électrique en Lituanie. À long terme, cette transition ouvre de nouvelles perspectives, notamment dans les énergies renouvelables. Les pays baltes ambitionnent même de devenir des exportateurs d’électricité, répondant ainsi à une demande croissante en Pologne.
En ce qui concerne l’approvisionnement en gaz, des infrastructures alternatives permettent d’assurer la stabilité du réseau. En Lituanie, le terminal flottant de regazéification de GNL, baptisé « Independence », joue un rôle clé : il reçoit du gaz naturel liquéfié (GNL), principalement des États-Unis et de Norvège. Après regazéification, ce gaz est ensuite distribué à travers la Lituanie et le reste des pays baltes. Certains pays développent aussi l’exploitation de leurs propres réserves, comme la Lettonie ou bien l’Estonie, avec les schistes bitumineux.
Les pays baltes ne sont d’ailleurs pas seuls dans cette démarche. L’Ukraine et la Moldavie ont également choisi de réorienter leurs liens énergétiques vers l’Union européenne, marquant une rupture définitive avec leur ancien partenaire russe devenu menaçant. Car « être souverain sur son énergie, c’est être souverain sur son propre territoire », comme le souligne Ursula von der Layen.
Pour l’Union européenne
L’intégration des pays baltes au réseau électrique européen est une grande réussite pour l’Union européenne. Désormais pleinement souverains sur leur approvisionnement, ils ne dépendent plus de Moscou. Toutefois, cette réussite est à nuancer. Pour remplacer le gaz russe, l’Europe importe désormais du gaz de schiste américain, remplaçant une dépendance par une autre.
L’enjeu est donc d’atteindre une diversification suffisante pour qu’aucun acteur extérieur ne puisse exercer de pression sur l’UE. Pour ce qui est de ses propres infrastructures, l’UE doit s’assurer (1) qu’elles lui appartiennent entièrement et (2) qu’elles soient résilientes face aux menaces extérieures, afin de pouvoir s’assurer d’une autonomie stratégique.
D’un point de vue économique, le nouveau lien énergétique entre l’Europe de l’Ouest et les pays baltes nourrit l’espoir d’une compétitivité européenne accrue, selon la vision de Mario Draghi, pour qui la compétitivité européenne repose sur un marché unique de l’énergie.
Pour la Russie
Pour la Russie, cette transition énergétique des pays baltes a un double impact. Elle marque la rupture définitive avec l’Europe dans le domaine énergétique et prive Moscou d’un levier d’influence majeur. De fait, avant la guerre en Ukraine, la Russie était le premier fournisseur de gaz et de pétrole pour une grande partie du continent, ce qui lui permettait de faire pression sur ses voisins. En 2006, lorsque la Lituanie avait vendu une raffinerie de pétrole à un groupe polonais plutôt que russe, le Kremlin avait immédiatement coupé l’acheminement du pétrole vers le pays. Mais, aujourd’hui, ce monopole est brisé.
Ainsi, face à cette rupture, la Russie n’est pas restée passive. « Moscou n’a pas accueilli favorablement cette transition », souligne Susanne Nies, experte en énergie au centre de recherche Helmholtz Zentrum de Berlin. Selon elle, la Russie a multiplié les tentatives de déstabilisation, allant des cyberattaques aux campagnes de désinformation visant à faire croire que cette coupure entraînerait une hausse incontrôlable des prix de l’énergie.
Une décision qui intervient dans un contexte de guerre hybride menée par la Russie
La déconnexion énergétique des pays baltes intervient dans un climat de tensions croissantes, marqué par une intensification des actes de sabotage en mer Baltique et une guerre hybride menée par la Russie.
Depuis plusieurs mois, des soupçons pèsent sur une « flotte fantôme » russe, suspectée d’attaques contre les câbles sous-marins. Le 25 décembre 2024, un câble électrique reliant la Finlande à l’Estonie (Estlink 2) a été endommagé, quelques semaines après la rupture de deux câbles de télécommunications dans les eaux territoriales suédoises. La police finlandaise soupçonne le pétrolier russe Eagle-S d’être impliqué, ce dernier ayant traîné son ancre sur près de 100 kilomètres au fond de la Baltique, sectionnant l’un des deux câbles reliant l’Estonie à la Finlande.
De plus, la guerre hybride menée par la Russie ne se limite pas aux actes de sabotage. Elle se joue aussi sur le terrain de la désinformation, à l’image du discours relayé prétendant que la déconnexion des pays baltes du réseau russe fragiliserait l’approvisionnement en électricité et ferait exploser les prix.
Face à ces menaces, la Lituanie et la Pologne ont renforcé la protection du câble électrique transfrontalier LitPol Link, notamment en augmentant la surveillance, en sécurisant physiquement l’infrastructure et en améliorant la coordination entre les services de renseignement. Tous les pays ont également renforcé leurs services de cybersécurité. L’OTAN a réagi avec le lancement de l’opération « Sentinelle de la Baltique », visant à protéger les infrastructures énergétiques et les câbles sous-marins.
Depuis l’invasion de la Crimée par la Russie en 2014, les marines de l’OTAN se sont dotées de robots téléguidés et de drones pour surveiller l’état des câbles sous-marins, en complément de l’action des opérateurs privés, comme Orange Marine ou Alcatel Submarine.
Mais si l’OTAN a réussi à prendre des initiatives concrètes, l’UE peine quant à elle encore à s’imposer comme un acteur totalement souverain en matière de défense et d’énergie.
Cet article a été rédigé par l’association Call’ONU ESCP.
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