L’annonce d’un contrat de 4,8 milliards de dollars entre Total et l’Iran visant à l’exploitation d’un nouveau champ gazier marque une petite révolution dans la politique du pays. En effet, Total est la première compagnie internationale à signer un IPC (Iranian Petroleum Contract) en Iran. Difficile de ne pas y voir la main du président modéré Hassan Rohani élu en 2013 puis en 2017 et de son ouverture promise à l’Occident, concrétisée par les accords sur le nucléaire … La révolution iranienne de 1979 ayant favorisée la montée du nationalisme et d’une idéologie ultra-conservatiste avec l’omniprésence de la religion semble dès lors être à bout de souffle.
Dans quelle mesure la situation politique et sociale en Iran est-elle à la croisée des chemins ?
L’influence de son passé islamiste
Pourtant, la mouvance ultra-conservatiste est omniprésente. La religion représente en Iran un véritable fondement, si bien qu’on parle communément de la théocratie iranienne.
En 1979, le projet de l’Ayatollah Khomeiny de transformer l’Iran en une véritable République Islamique a consacré la domination du pouvoir religieux au sein des institutions majeures. Cet héritage est encore présent aujourd’hui. En effet, malgré la défaite du candidat conservateur Ebrahim Raisi, l’islam conserve une place centrale. Les ultra-conservateurs, contrôlent toujours certaines instances à l’image du pouvoir judiciaire, du service de sécurité, de la télévision d’état, etc. La liste est longue !
De plus, le rôle du Guide de la Révolution au sein de la théocratie iranienne demeure prépondérant. En effet, Ali Khamenei (successeur de l’Ayatollah Khomeiny) a depuis 1989 une influence directe sur toutes les problématiques intérieures et étrangères, à l’image d’un chef d’état. Il s’agit aussi de ne pas oublier que ce dernier est élu par les 86 membres d’un puissant réseau clérical issu directement de la révolution islamique de 1979.
Une autre organisation, le Conseil des gardiens de la Constitution composé de 12 religieux veille au caractère islamique des lois proposées.
Pour assurer leur influence sur le pouvoir, les ultra-conservateurs s’appuient sur une milice, les Pasdarans. Ces derniers dépendent directement du Guide la Révolution, totalement indépendante de l’armée iranienne. Leur influence n’est pas minime étant donné qu’ils contrôlent directement certains aéroports ou ports à l’image du port stratégique de Bandar Abbas. Un vrai dilemme lorsque l’on sait que H. Rohani souhaite une ouverture à l’international…
Conséquence : le président reste seulement cantonné à gérer les dossiers économiques et à nommer ses ministres.
Durant la campagne électorale, E. Raisi a tenté de critiquer le bilan de H. Rohani, en s’appuyant sur une reprise économique jugée trop lente malgré l’accord de Vienne sur le nucléaire en juin 2015. Le taux chômage a en effet progressé de 2 points entre 2013 et 2016 (12,4%).
De plus la politique budgétaire rigoureuse conduite par H. Rohani dans le but de canaliser l’inflation est souvent dénoncée par le candidat conservateur. E. Raisi défend en effet une certaine forme de populisme en se présentant comme le « candidat des pauvres ». Il a aussi tenté de profiter de l’arrestation du frère d’Hassan Rohani accusé de fraude financière. Toutefois, gardons à l’esprit que l’autorité de justice est aux mains des conservateurs…
Les 4 prochaines années à venir s’annoncent complexes au sujet des avancées sociales. En effet, seul E. Raisi est proche du Guide Suprême grâce à son conservatisme social. La volonté de H. Rohani d’offrir plus de liberté sociale semble alors être dans une impasse… Toutefois à long terme, sa réélection lui laisse la possibilité de peser sur la succession du Guide Suprême.
Toujours à long terme, il n’est pas exclus que les conservateurs surfent sur le durcissement de la position américaine vis-à-vis de l’Iran. D. Trump porte un tout autre regard sur l’Iran comparé à B. Obama. La multiplication des incidents maritimes et la mise en place de nouvelles sanctions américaines (malgré les accords de Vienne) remettent progressivement en cause la politique internationale de H. Rohani. De plus, l’administration Trump se positionne de plus en plus comme l’allié inconditionnel de l’Arabie Saoudite, majoritairement sunnite … Or l’A.S et l’Iran sont en plein conflit de substitution au Yémen sur fond de guerre de religion, le régime d’H. Rohani soutenant la rébellion outhiste. Pas étonnant que les 2 pays aient rompu le dialogue diplomatique en janvier 2016. L’Iran est également directement touché par l’embargo frappant le Qatar, les deux pays étant plus ou moins alliés car ils se partagent le plus grand gisement de gaz off-shore (celui de North Dome). Ainsi, l’Iran se trouve de plus en plus seul à l’échelle régionale mais aussi à l’international.
Vous l’aurez compris, malgré la volonté de s’ouvrir, la position de l’Iran n’est pas au beau fixe, situation qui pourrait directement bénéficier à la mouvance conservatrice du pays.
Le nouveau visage modéré de l’Iran
Pourtant, seule la politique d’Hassan Rohani semble pouvoir contenter les 84 millions d’iraniens et surtout sa vaste classe moyenne éduquée … Tel est l’enseignement des résultats de l’élection présidentielle avec 57% des suffrages exprimés (avec une participation relativement élevée) en sa faveur en mai 2017 (contre 50,7% en 2013).
En effet, depuis 2013, il représente pour le pays un vent de modernité. Ce modéré défend un rapprochement avec les pays occidentaux et acte en faveur du respect des droits de l’homme. Par exemple, H. Rohani essaye depuis 2013 de donner aux femmes une nouvelle place dans la société. Il a ainsi aboli la non-mixité dans les universités et tente de s’attaquer aux lois du travail discriminatoire, malgré l’opposition conservatrice. Mais les résultats de cette politique sont peu visibles aujourd’hui : Une Iranienne doit ainsi toujours demander à son mari une autorisation avant de quitter le territoire …
Mais sa principale réussite a été de donner une nouvelle place à l’Iran au sein de la gouvernance mondiale. L’accord sur le nucléaire a ainsi été la clé de voute de ce changement.
L’élection présidentielle de 2013 s’apparentait en réalité à un référendum sur la question nucléaire. La première victoire de Rohani a alors mis en évidence une chose : la volonté de donner à l’Iran une nouvelle légitimité internationale et de ne pas cantonner le pays à une simple puissance régionale. Sa politique semble aujourd’hui être majoritairement soutenue par l’ensemble de l’éventail politique, les conservateurs soutenant qu’il n’y a pas de raison de revenir totalement sur l’accord.
L’élection de mai 2017 s’apparentait, quant à elle, plus au choix de développement et de liberté désiré par les Iraniens. D’un côté un libéralisme économique « à la chinoise » soutenu par H. Rohani, et de l’autre un autoritarisme autarcique « à la russe » défendu par E. Raisi (le candidat conservateur), s’exposant dès lors à un renforcement des sanctions.
Les élections municipales se tenant en même temps que les présidentielles annoncent également un épuisement de l’ultra-conservatisme. La capitale Téhéran, bastion conservateur depuis 14 ans passe désormais aux mains des réformateurs.
Cependant, il ne faut pas oublier que l’Iran s’apparente à une gigantesque mosaïque de minorités. Convaincre chacune d’entre elles est alors périlleux. Pendant des élections de 2013 et 2017, H. Rohani a su s’appuyer sur les minorités sunnites du pays (Kurdes, Baloutches, …) qui représentent tout de même plus de 13% de la population. (N’oublions pas que l’Iran est majoritairement chiite et que les minorités y sont souvent bâillonnées). Ces dernières, principalement regroupées aux frontières se tournent majoritairement vers le vote réformateur et modéré. Il bénéficie également d’un fort soutien de la part de la population urbaine du pays, en quête d’une liberté sociale nouvelle, loin des standards religieux et conservateurs.
Ebrahim Raisi, principal adversaire de Rohani dans cette élection, bénéficie quant à lui du soutien du clergé traditionnel et des bastions conservateurs à l’image de la ville de Machhad au Nord-Est du pays.
Finalement, malgré la volonté de modernité et d’ouverture incarnée par H. Rohani depuis 2013, l’Iran reste profondément marqué par la révolution de 1979 ayant pour but de ré-islamiser le pays par le haut comme par le bas … La charia reste le fondement de la théocratie Iranienne incarnée par le Guide Suprême Ali Khamenei.
On peut ainsi dire que les deux derniers principaux candidats à la présidentielle sont la représentation même d’un pays tiraillé entre ses racines islamiques et sa volonté de modernisation sociale. Toutefois, l’Iran demeure le précurseur d’une modernité sociale nouvelle pour l’Orient.
Par ailleurs, le retour de l’Iran sur le marché du pétrole, a de quoi renforcer l’animosité de ses voisins. En effet, la fin des sanctions a contribué à la baisse des cours du pétrole en jouant sur l’offre. Ce qui est problématique quand on sait que H. Rohani cherche à se réintégrer au jeu régional et international …
En bref
– L’Iran : une mosaïque de minorités, partagée entre l’influence de l’Islam et une quête de liberté sociale.
– H. Rohani, réélu en 2017 (avec 57% des suffrages exprimés) incarne le visage moderne et internationale de l’Iran symbolisé par l’accord sur le nucléaire (2015)
– Le pays reste cependant attaché à ses fondements islamiques (depuis la Révolution Islamique de 1979). à Cf. Le rôle important de la religion au sein des différentes institutions.
– Les résultats économiques tardent à se faire sentir à Critiques de la politique de H. Rohani et de son ouverture régionale et internationale.