Il n’y a souvent qu’un pas entre l’amour et la haine. La France le sait, surtout lorsqu’il s’agit de son voisin d’outre-manche, la Grande-Bretagne. La rivalité entre les deux puissances remonte à très longtemps. La guerre de cent ans au Moyen-Âge qui opposa les rois de France de la dynastie des Valois aux rois d’Angleterre illustre à merveille ce passé conflictuel. La mise à mort de Jeanne d’Arc, symbole français, sous la pression des anglais à Rouen en 1431 reste un fait particulièrement marquant de l’histoire commune à ces deux pays.
Comment, malgré les animosités et les rivalités persistantes, France et Grande-Bretagne ont coopéré afin d’exister dans un monde de plus en plus multipolaire ?
Nous étudierons l’avènement des deux puissances à l’époque moderne puis nous verrons que l’opposition s’est complexifié à l’époque contemporaine à cause de tensions internes. Enfin nous montrerons que les deux puissances semblent se rapprocher depuis le début du 20ème siècle à moins que le Brexit ne mette en péril l’accalmie des tensions.

L’époque moderne ou l’avènement des puissances (1492-1789)

Le XVIème siècle renforce les divisions entre les deux pays issues du Moyen-Âge. En effet la réforme conduit la Grande-Bretagne mais les Français demeurent majoritairement catholiques. De plus, le traité de Westphalie mettant fin à une série de conflits entre les puissances européennes est largement favorable à la France. Les Anglais décident alors d’empêcher les Français de prospérer partout dans le monde. Ils s’affrontent même durant la guerre de la Ligue d’Augsbourg de 1688 à 1697. Alors que le Royaume-Uni nouvellement formé après l’Acte d’Union avec l’Ecosse en 1707 devient parlementaire, le Royaume de France poursuit sa marche vers l’absolutisme. Les deux pays s’affrontent de nouveau durant la Guerre d’Espagne entre 1702 et 1713. Refusant toute union politique entre la France et l’Espagne afin d’empêcher l’émergence d’une puissance continentale et mondiale ultra dominante, le Royaume-Uni obtient le renoncement de Philippe V d’Espagne à la couronne de France. En effet, le pays se pose en défenseur de « l’équilibre des puissances » en Europe et tend à lutter contre tout ce qui pourrait le menacer directement ou indirectement. A cette époque, l’Angleterre se repose la puissance de sa marine qui lui octroi une position de force sur les questions maritimes, commerciales et coloniales tandis que la France possède une puissance terrestre qui lui permet de dominer l’Europe continentale.

Avec le début de l’ère coloniale, la rivalité franco-anglaise d’exporte dans le « Nouveau-monde ». L’Angleterre est en 1763 à la tête du premier empire colonial centré sur le continent américain. Elle domine la région du continent américain allant des côtes du Labrador au Canada à la Floride mais également la Jamaïque achetée à l’Espagne en 1652 ou de nombreux pays d’Afrique. La France quant à elle, s’établit le long du Mississipi, au Canada et dans les Caraïbes. Les deux pays établissent des comptoirs commerciaux en Inde en raison de son potentiel pour le commerce. Toutefois, le pays reste majoritairement contrôlé par les britanniques avec la domination jusqu’en 1858 de la compagnie des Indes Orientales puis directement du gouvernement par la suite. Les affrontements entre les deux puissances ont donc également lieu en Amérique du Nord et en Asie. Avec le concours de l’Espagne, les Français soutiennent les Etats-Unis nouvellement Indépendants et obtiennent une victoire majeure à Yorktown en 1781. Les Etats-Unis sont reconnus officiellement, la France obtient le contrôle du Mississipi et l’Espagne la Floride. Mais ces guerres coûtent cher au Royaume de France qui rentre dans le cercle vicieux de la dette publique.

Une opposition complexifiée par des tensions et conflits au sein de chaque puissance à l’époque contemporaine.

L’Angleterre profita de l’affaiblissement de la France pendant la Révolution Française pour entretenir les tensions avec sa rivale. Soutenant originellement la révolution de l’autre côté de la France, elle accusa dans un second temps cette dernière de vouloir répandre les idées révolutionnaires et républicaines à travers l’Europe. Ainsi, après la décapitation de Louis XVI en 1793, elle lui déclara une guerre qui s’étend sur près de 20 ans. Mais la France résiste et envahit même l’Irlande en 1798, en vain. Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne par peur d’une nouvelle invasion signe alors un nouvel acte d’union avec le Royaume d’Irlande.

La période napoléonienne qui début en 1804 et se termine en 1815 marque un pic dans la courbe des tensions entre les deux voisins. Les anglais étaient d’ailleurs les meilleurs ennemis de Napoléon. Ils sont d’ailleurs encore aujourd’hui très fiers de leurs deux victoires probantes sur l’empereur des Français. L’une d’elle est la bataille de Trafalgar où la majeure partie de la flotte française fut détruite par la flotte de l’Amiral Nelson. On parle encore communément d’un coup de Trafalgar pour désigner un coup aux conséquences très lourdes. La seconde reste gravée dans la mémoire collective des deux côtés de la manche comme la dernière bataille de Napoléon et la fin de son règne impériale : c’est la bataille de Waterloo en 1815. Le Général Britannique Wellington contraint Napoléon à l’abdication. Il fut exilé sur l’île de Sainte-Hélène où il mourra.

Les tensions se furent plus rares par la suite. Toutefois quelques décennies plus tard, une dernière crise vit s’opposer les deux puissances européennes : la crise de Fachoda. Ce poste militaire avancé situé au Soudan est un point géopolitique stratégique pour les deux empires coloniaux. La France souhaite étendre sa puissance vers l’Est afin de relier l’Atlantique à la mer rouge tandis que la Grande-Bretagne envisage de relier le Caire au Cap en Afrique du Sud. Le 18 septembre 1898, cette dernière exige le départ d’un détachement français venu occupé les lieux. Après des négociations politiques tendus-La Grande-Bretagne se déclarant prête à entrer en guerre-la France cède finalement et les militaires français quittent les lieux le 11 décembre de la même année. Cette crise relève d’une véritable humiliation diplomatique pour la France vis-à-vis de son voisin. Paradoxalement, cet épisode fait prendre conscience aux dirigeants des deux pays de la nécessité de plus de dialogue et d’une forme de rapprochement.

Un XXème siècle synonyme de rapprochement

Le XXème siècle marque une période de relative détente entre les deux voisins. Les deux guerres mondiales et la Guerre Froide poussent les rivaux de toujours à faire fi de leurs rivalités et rancœurs afin de défendre l’Europe face aux menaces de puissances venues de l’Est. En réaction à la signature de la Triple-Alliance par l’Empire Austro-Hongrois, l’Allemagne et l’Italie, l’Entente cordiale est signée entre les deux pays en 1904. Complété par des traités avec la Russie pour les deux pays, cette alliance fondera alors la Triple-Entente, victorieuse lors du premier conflit mondial.
La Grande Guerre vit les deux armées combattre côte à côte mais avec des secteurs d’opérations soigneusement délimitées. Mais au fur et à mesure de la guerre, la coopération entre les deux puissances s’approfondit jusqu’à la nomination de Foch comme commandant en chef des forces alliées.

L’entre-deux-guerres laisse place à de nouvelles tensions. La Grande-Bretagne considère que la France est revenue à un niveau de puissance continentale jamais vu depuis 1815 et souhaite donc limiter son expansion. Plus tard pendant la Seconde Guerre mondiale, les relations sont quelques peu ambiguës puisque le régime de Vichy fut profondément anglophobe, l’Angleterre étant pour les pétainistes l’incarnation d’un cosmopolitisme qu’il méprisaient. Mais le débarquement de Normandie mené par les troupes américaines et anglaises semble avoir rapproché encore un peu plus les deux pays.

Ces rivalités ne réapparaissent que de manière épisodique après le second conflit mondial. Ce fut le cas pendant la crise de Suez lorsque la Grande-Bretagne décida unilatéralement de retirer ses forces du canal sous la pression des Soviétiques et des Etats-Unis, laissant la France assumer seule la crise. De même, le double refus par le Générale de Gaulle de l’entrée de la Grande-Bretagne dans la communauté européenne semble nous rappeler que les relations entre les deux puissances n’ont jamais été et ne seront jamais simple.

Conclusion : Vers un retour des tensions au XVIème siècle ?

Toutefois, des obstacles à un plus profond rapprochement et à une profonde coopération subsistent à l’heure actuelle. Tout d’abord l’atlantisme de la Grande-Bretagne a longtemps empêché le développement d’une défense européenne autonome au sein de l’OTAN. Malgré un changement de position depuis les années 2000 sur cette question, le vote du Brexit en 2017 semble anéantir tout espoir de coopération plus profonde entre les deux puissances. Toutefois, la visite de Theresa May à l’été 2018 à Brégançon pour rencontrer Emmanuel Macron afin de négocier les conditions de sortie de l’UE pour la Grande-Bretagne témoigne de la volonté des deux parties de garder de bonnes relations diplomatiques.