Le 23 mai 2024, l’Organisation des Nations unies a approuvé la création d’une journée de commémoration en hommage aux victimes du génocide de Srebrenica. Cette résolution désigne le 11 juillet comme « Journée internationale de réflexion et de commémoration du génocide de 1995 à Srebrenica ». Zoom sur le plus grand massacre perpétré en Europe depuis l’Holocauste.
La résolution de l’Organisation des Nations unies
Chaque année désormais, l’ONU commémorera le génocide de plus de 8 000 musulmans par les Serbes de Bosnie en 1995. Cette résolution était farouchement combattue par la Serbie et par la République serbe de Bosnie, dont certains dirigeants politiques rejettent encore aujourd’hui la qualification de génocide. « Il n’y a pas eu de génocide à Srebrenica », répétait le chef politique des Serbes de Bosnie, Milorad Dodik, peu avant l’adoption de la résolution.
Le vote à l’Assemblée générale, qui compte 193 membres, a été adopté par 84 voix contre 19, avec 68 abstentions, reflet des inquiétudes de nombreux pays quant à l’impact du vote sur les efforts de réconciliation dans une Bosnie profondément divisée. Cette résolution permet également de condamner toute négation du génocide de Srebrenica et d’inscrire les faits établis par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie dans les programmes d’éducation.
Florence Hartmann, ancienne porte-parole du TPIY et correspondante du journal Le Monde pendant le conflit des Balkans, analyse aussi la nécessité de cette résolution au regard du négationnisme ambiant : « Cette résolution a été nécessaire parce qu’il y a un négationnisme et une volonté de tirer profit d’un génocide pour annexer un territoire. » L’essayiste poursuit en ce sens : « Cette résolution est un acte politique pour bien réaffirmer ce que la justice a déjà décidé. »
La guerre de Bosnie et l’éclatement de l’ex-Yougoslavie
Après l’éclatement de l’ex-Yougoslavie en 1990 et les déclarations d’indépendance de la Slovénie, de la Croatie et de la Macédoine, les peuples de Bosnie-Herzégovine sont divisés sur l’organisation du pays. Un référendum favorable à l’indépendance de la Bosnie-Herzégovine, le 29 février et le 1er mars 1992, est suivi par la partition de la minorité serbe, soutenue par le gouvernement de Slobodan Milošević en Serbie. Celle-ci ne reconnaît pas cette décision de la majorité bosniaque et croato-bosniaque, de religion musulmane. Une République serbe de Bosnie, à majorité serbe, voit ainsi le jour en avril 1992 : c’est le début de la guerre de Bosnie.
Des dizaines de milliers de musulmans de Bosnie et des environs, fuyant les attaques des forces serbes de Bosnie contre leurs propres villes et villages, ont essayé de trouver refuge à Srebrenica, une ville située dans l’est du pays. C’est un point stratégique et névralgique pour les Serbes : son contrôle est essentiel à l’unification du territoire de la République serbe de Bosnie.
Pendant trois ans, les forces serbes de Bosnie ont assiégé et bombardé l’enclave, contrôlant ainsi les routes d’accès et l’acheminement de l’aide humanitaire internationale, notamment des vivres et des médicaments. En réponse à la détérioration rapide de la situation humanitaire, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte, en avril 1993, la résolution 819 qui fait de Srebrenica une « zone de sécurité ».
Un accord de cessez-le-feu ?
Quelques jours plus tard, un accord prévoyant un cessez-le-feu total a été signé à Srebrenica. Celui-ci prévoyait la démilitarisation de l’enclave, le déploiement d’une compagnie de la FORPRONU (Force de protection des Nations unies) et l’ouverture d’un corridor humanitaire entre Tuzla et Srebrenica pour l’évacuation des grands malades et des blessés graves. La zone de sécurité était ainsi surveillée par un contingent de Casques bleus des Nations unies, principalement des soldats néerlandais. Cependant, ces derniers étaient peu nombreux, mal équipés et dépourvus d’un mandat clair pour intervenir militairement en cas d’attaque majeure.
En mars 1995, Radovan Karadžić, président et commandant suprême des forces armées de l’entité autoproclamée de la Republika Srpska (République serbe de Bosnie), donne pour instruction aux forces serbes de Bosnie d’éliminer la population musulmane des enclaves de Srebrenica. « Par des actions de combat planifiées et bien conçues, créez une situation d’insécurité totale, ne laissant aucun espoir de survie ou de vie future aux habitants de Srebrenica. »
L’attaque du 11 juillet 1995
Les troupes de l’armée de la République serbe de Bosnie (anciennement l’Armée populaire yougoslave), commandées par Ratko Mladić, prennent le contrôle de la ville de Srebrenica, alors qu’elle se trouve sous la protection de l’ONU. Des milliers de Bosniaques musulmans de Srebrenica fuient la ville pour chercher refuge à la base de l’ONU de Potocari, située à proximité.
Trente mille personnes, pour la plupart des femmes, des enfants et des personnes âgées, s’amassent dans la zone entourant la base protégée par les Casques bleus de l’ONU. Le 14 juillet, l’armée serbe de Bosnie prend le contrôle de Potocari. Au sein des réfugiés de Srebrenica, les hommes sont séparés des femmes.
À partir de ce jour et jusqu’au début du mois d’août, plusieurs milliers de Bosniaques sont détenus en divers points de la région, et 8 372 d’entre eux sont exécutés.
Le rôle de la communauté internationale
Le massacre de Srebrenica a été facilité par l’inaction de la communauté internationale. Sous-équipés, les Casques bleus néerlandais étaient également en sous-effectif, rendant complexe la protection des milliers de civils réfugiés dans l’enclave.
Le 10 juillet 1995, un appel désespéré des forces onusiennes pour des frappes aériennes fut ignoré, par crainte d’une escalade entre les deux camps. Les pays occidentaux, bien qu’informés des risques potentiels d’une attaque imminente, ont tardé à réagir. Les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, en particulier, étaient divisés sur l’opportunité d’une intervention militaire directe.
Les accords de Dayton
Le 14 décembre 1995, les accords de Dayton mettent fin aux combats qui auront causé environ 100 000 morts et forcé plus de deux millions de personnes à se déplacer. Ces accords tripartites furent négociés entre Alija Izetbegovic, président de la République de Bosnie-Herzégovine, Slobodan Milosevic, président de la Serbie (représentant également les Serbes de Bosnie), et Franjo Tudman, président de la Croatie (représentant les intérêts croates).
Ces accords ont permis une redéfinition de la Bosnie-Herzégovine comme un État unique composé de deux entités principales. D’un côté, la Fédération de Bosnie-Herzégovine, dominée par les Bosniaques et les Croates, représentant 51 % du territoire. De l’autre, la République serbe de Bosnie, représentant environ 49 % du territoire. La capitale, Sarajevo, est restée indivisible et sous l’autorité commune des deux entités.
Les enjeux actuels d’un massacre aux blessures et aux cicatrices vives
Trois décennies après les événements, le massacre de Srebrenica reste un sujet sensible dans les Balkans. Les divisions ethniques persistent et certains responsables politiques serbes minimisent ou nient encore le génocide, ce qui entrave les processus de réconciliation. En 2023, le président serbe, Aleksandar Vučić, a déclaré son attachement à la stabilité régionale tout en refusant de reconnaître officiellement le massacre de Srebrenica comme un génocide, suscitant des critiques internationales.
De plus, en République serbe de Bosnie (Republika Srpska), le leader Milorad Dodik continue de glorifier les figures controversées comme Ratko Mladić et de nier l’ampleur des crimes, exacerbant les tensions avec les Bosniaques musulmans. Par ailleurs, des initiatives locales pour promouvoir la réconciliation, comme les rencontres interethniques et les programmes éducatifs, sont souvent confrontées à des obstacles politiques.
En 2024, un projet de coopération culturelle entre Sarajevo et Banja Luka (la capitale de facto de la Republika Srpska), initialement conçu pour favoriser les échanges artistiques et historiques entre les deux communautés, a été annulé en raison de désaccords politiques. Ce projet prévoyait des expositions conjointes, des ateliers éducatifs et des concerts mettant en valeur les traditions culturelles communes.
Cependant, des désaccords sur la manière de présenter les événements historiques, notamment l’utilisation du terme génocide pour désigner Srebrenica, ont entraîné son abandon. Cette annulation a été perçue comme un symbole des tensions persistantes entre les communautés.
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