Moldavie

Le 14 décembre 2023, les 27 chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne se sont mis d’accord pour ouvrir les discussions d’adhésion avec la Moldavie. Le petit pays de 2,6 millions d’habitants poursuit ainsi son chemin en direction de l’Union européenne. Pour sa Présidente, Maia Sandu, le pays « tourne une nouvelle page avec le feu vert de l’Union européenne ». Cependant, pour prétendre l’intégrer, le gouvernement moldave devra avant tout régler la question du séparatisme prorusse qui agite l’est du pays : la Transnistrie. Major-Prépa te propose aujourd’hui un focus sur ce pays qu’est la Moldavie.

Perspective historique et présentation du pays

Après avoir été sous domination ottomane, la Bessarabie, nom donné à la partie orientale (à l’est du fleuve Proust, qui forme aujourd’hui la frontière naturelle entre les actuelles Roumanie et Moldavie) de la Moldavie roumaine, est cédée par l’Empire ottoman à l’Empire russe en 1812.

La politique russe vise, dès le XIXe siècle, à séparer Moldaves et Roumains, qui partagent la même langue et la même religion. En mars 1918, pour éviter la bolchevisation, le Parlement moldave vote son rattachement à la Roumanie. Mais, pour conserver un droit sur cette région stratégique qui donne à l’URSS un accès au fleuve Danube, Staline décide de créer en 1924 une République autonome moldave en prélevant à l’est du fleuve Dniestr une longue bande de terre : c’est la Transnistrie.

La Moldavie au temps de la guerre froide

Comme pour les États baltes, le pacte germano-soviétique prévoit le rattachement de la Bessarabie à l’URSS, qui l’annexe en 1940, avant que la Roumanie, alliée de Hitler, ne la réoccupe en 1941. En septembre 1944, quand l’Armée rouge reprend le contrôle de la région, Staline décide de créer la République socialiste soviétique de Moldavie, fusion de la Bessarabie et de la Transnistrie, mais procède à un changement notable du territoire. Il donne à l’Ukraine le Boudjak, un territoire situé au sud de la Bessarabie, au bord de la mer Noire. La Moldavie est désormais une région enclavée.

En mai 1989 se forme le Front populaire moldave, dont les principales revendications sont l’autonomie de la République et la reconnaissance que le moldave et le roumain sont une même langue. Ainsi, le 31 août de la même année, le moldave est rétabli langue d’État à la place du russe. Le Front va même plus loin en proposant une revendication plus radicale : le rattachement de la Moldavie à la Roumanie voisine. Dès la formulation de ce projet, qui sera finalement rejeté, deux régions menacent de faire sécession : la Transnistrie et la Gagaouzie.

Deux mouvements séparatistes en Moldavie : Transnistrie et Gagaouzie

Deux facteurs font de la Moldavie un État complexe et explosif.

Premièrement, à l’instar de l’Ukraine, c’est un pays tampon entre l’Union européenne et la Russie, où la vie politique s’organise autour de la ligne de séparation entre proeuropéens et prorusses.

Deuxièmement, la traduction géopolitique de cette situation est l’existence de deux régions qui s’opposent historiquement et culturellement aux aspirations européennes et atlantistes de la Moldavie : la Transnistrie et la Gagaouzie. À majorité non roumanophone, ces territoires craignent un assujettissement à Bucarest et comptent sur le voisin russe pour assurer leur souveraineté.

La Transnistrie

Sous domination de l’empire russe depuis le XVIIIe siècle, la région de Transnistrie, située sur la rive droite du fleuve Dniestr, à la frontière avec l’Ukraine, a d’abord intégré la République socialiste et soviétique d’Ukraine entre 1917 et 1923. Elle jouit en son sein d’une certaine autonomie, qui garantit notamment des droits linguistiques à la minorité, qualifiée alors de roumaine. Mais Moscou change de ligne politique à la fin des années 1930 et procède à une russification de la région. L’alphabet cyrillique remplace les lettres latines de l’alphabet roumain, pour souligner que l’influence slave a imprégné les minorités roumanophones des marges de l’empire tsariste, au point de former une culture propre.

Le 2 septembre 1990, quelques mois après que le gouvernement moldave a proclamé son indépendance, la Transnistrie revendique elle aussi à son tour son droit à l’indépendance. En mars 1992, une tentative de reprise en main militaire de la région débouche sur des affrontements auxquels vient mettre fin un accord de cessez-le-feu, signé le 21 juillet de la même année. Depuis 1992, des troupes de maintien de la paix russes, moldaves et transnistriennes, sont déployées le long du fleuve. Trois décennies plus tard, le proto-État de Transnistrie subsiste comme vestige de cette crise géopolitique.

La Russie n’a pas reconnu l’indépendance de la République, mais lui fournit une importante aide économique, tout comme elle l’alimente en gaz subventionné. Les Transnistriens, de leur côté, n’ont jamais caché leurs aspirations à l’idée d’intégrer la Russie d’une manière ou d’une autre. Le Président de la Transnistrie affirme que son premier objectif est « l’indépendance et la reconnaissance de la communauté internationale » pour à terme demander une intégration à la Russie.

La Gagaouzie

À la fin du XXe siècle, la Gagaouzie, région située dans le sud du pays comptant environ 135 000 habitants, a elle aussi failli suivre le même chemin. Les Gagaouzes, peuple turcophone et chrétien orthodoxe, étaient traditionnellement communistes et souhaitaient rester dans l’Union soviétique.

La présence des Gagaouzes dans la région est due à un échange de populations en 1828 entre le tsar russe Alexandre Ier et le sultan ottoman Mahmoud II. En 1994, ils ont réussi à négocier avec le pouvoir central moldave un statut d’autonomie. En 2014, tout bascule lorsque les citoyens gagaouzes ont voté à 95 % en faveur d’une intégration à l’Union économique eurasiatique et pour le droit à la sécession.

Les aspirations européennes de Chisinau, freinées par le poids de la Russie

L’objectif déclaré du gouvernement moldave d’intégrer l’Union européenne, même s’il se heurte à la question de la Transnistrie, s’est traduit par des progrès orientés vers l’économie de marché. Déjà en 2009, le Partenariat oriental proposé par Bruxelles pose les prémices d’une éventuelle adhésion du pays dans l’Union européenne.

Au cours de l’année 2014, la Moldavie a signé un accord d’association et un accord de libre-échange approfondi et complet avec l’Union, garantissant l’accès des produits moldaves au marché européen. Le statut de candidat à l’adhésion dans l’Union européenne a été attribué à la Moldavie en juin 2022, en même temps que pour l’Ukraine. Et ce, seulement trois mois après la demande officielle du gouvernement de Maia Sandu. Depuis le début de la guerre en Ukraine, la coopération moldavo-européenne s’est approfondie, notamment au sujet de l’énergie.

En effet, la Moldavie est complètement dépendante des exportations de gaz et d’électricité russes, ce qui la rend extrêmement vulnérable aux perturbations des chaînes d’approvisionnement et à la hausse du prix des carburants. Sur fond de coupures de gaz par Moscou, l’inflation a atteint 34 % en 2022, alors que le pays accueille des dizaines de milliers de réfugiés ukrainiens. La difficulté majeure vient de l’absence de source alternative d’approvisionnement, la principale centrale électrique, Cuciurgan, se situant en Transnistrie. En novembre 2022, le Président français Emmanuel Macron a annoncé une enveloppe d’aide de 100 millions d’euros pour la Moldavie, afin de pallier le manque d’autonomie énergétique du pays.

La Moldavie est constitutionnellement neutre, mais entretient depuis 1992 des relations avec l’OTAN. La coopération bilatérale a commencé lorsque le pays a rejoint le programme du Partenariat pour la paix de l’OTAN en 1994. L’armée moldave fournit un petit contingent à la Force de l’OTAN au Kosovo depuis 2014, et un bureau de liaison civil de l’OTAN s’est établi en Moldavie en 2017.

En juin 2023 s’est tenu le deuxième sommet de la Communauté politique européenne, à Bulboaca en Moldavie, à quelques kilomètres du front ukrainien. Cet évènement est le signe des ambitions du pays de se rapprocher de l’Occident et de rompre avec son passé dominé par la Russie. La localisation du sommet n’a rien d’anodin et le message envoyé par les Européens à Vladimir Poutine est clair. Il vise à montrer que l’Europe soutient à la fois l’Ukraine et la Moldavie face aux velléités offensives russes. « Nous avons ressenti les tentatives de la Russie de déstabiliser notre pays […] et c’est pourquoi l’intégration dans l’Union européenne est si importante pour nous », a déclaré Maia Sandu, à l’occasion du sommet.

In fine, l’adhésion de la Moldavie à l’Union européenne pourrait ancrer de manière définitive le virage européen amorcé depuis quelques années. Il n’en demeure pas moins que ce pays reste un pays complexe, un pays polarisé, comme il en existe peu, entre russophiles et atlantistes.

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