Mongolie

Si la Mongolie a la plus faible densité du monde, elle va néanmoins devenir un pays au poids grandissant de par ses réserves minières qui en font un nouvel Eldorado. Dans cette position, la Mongolie est un pays au futur indéterminé : devenir un petit émirat richissime et habile dans sa politique étrangère ou un nouveau pays maudit par sa rente minière et dépendant de ses voisins oppressants ?

Introduction

Son importance géostratégique

Le 3 septembre 2024, Vladimir Poutine s’est rendu à Oulan-Bator pour s’entretenir avec son homologue mongol. La Mongolie fait partie de la Cour pénale internationale qui a délivré un mandat d’arrêt à l’encontre de Poutine en mars 2023 pour déportation d’Ukrainiens vers la Russie. Seulement, l’autocrate russe a été reçu par la Garde mongole en grande pompe.

En effet, si ce pays a été libéré du joug soviétique en 1990 et tente d’affirmer son identité depuis 30 ans, il navigue entre les deux superpuissances chinoise et russe, et sa posture géopolitique en dépend. Ainsi, cette visite a mis en avant l’importance géostratégique de ce pays méconnu, enclavé entre la Chine et la Russie.

La Mongolie est marginalisée sur le plan géopolitique, car enclavée

En effet, ce territoire aux steppes immenses et à la densité la plus faible du monde ne revêt aucune importance stratégique pour les grandes puissances depuis son indépendance en 1990. Seulement, face à des ressources en hydrocarbures sur le déclin et à une transition énergétique gourmande en ressources minérales, la Mongolie est devenue de plus en plus convoitée pour ses ressources.

L’enjeu de cet article est d’étudier le cas de la Mongolie pour mettre en avant les changements géostratégiques induits par la transition énergétique sur les territoires jusqu’alors peu convoités. Ainsi, la visite de Poutine de septembre 2024 pose plusieurs questions cruciales pour la Mongolie : est-elle condamnée à subir le poids de la présence de ses deux voisins ? Réussira-t-elle à tirer profit de la richesse de son sous-sol, ou finira-t-elle par le maudire ?

Un héritage soviétique encore présent

La Mongolie est considérée depuis toujours par Moscou comme l’un des satellites de son « étranger proche ». Aujourd’hui, l’héritage de la domination soviétique se traduit surtout par la dépendance actuelle du pays vis-à-vis de la Russie sur le plan énergétique.

En effet, 90 % du pétrole consommé en Mongolie vient de Russie. Le projet de gazoduc « Power of Siberia 2 » pourrait quant à lui accroître la dépendance de la Mongolie vis-à-vis du gaz.

Mongolie et Chine : une histoire commune qui fédère ?

Pour la Chine, la Mongolie (extérieure) est une ancienne terre mandchoue qui a été sous la domination des Qing jusqu’en 1912. Aujourd’hui, c’est avant tout un fournisseur : 80 % des exportations mongoles vont en Chine, essentiellement du charbon et du cuivre.

Mais cette relation est à double tranchant, car la Chine a un moyen de pression sur le pays. En effet, la visite du dalaï-lama à Oulan-Bator en 2017 a créé des tensions avec la Chine qui a imposé certaines sanctions commerciales, affaiblissant l’économie mongole.

Une quête d’identité et de souveraineté

Après son indépendance, dans les années 90, la Mongolie s’est approprié une mémoire confisquée par les dominations chinoises puis soviétiques afin d’asseoir son identité nationale. Cet héritage national se base sur l’histoire glorieuse de Gengis Khan et de ses descendants qui ont conquis près de la moitié du globe.

Ce processus se traduit par exemple par la réécriture de l’histoire nationale par des universitaires, notamment à l’occasion du 800e anniversaire de la proclamation de l’Empire gengiskhanide en juillet 2006. La présence du père fondateur de la nation est parfois anecdotique, allant de grandes statues un peu partout aux nombreux stands publicitaires à son image.

Un autre enjeu est celui de la préservation du mode de vie nomade des Mongols ainsi que de leurs traditions culturelles face à une mondialisation grandissante.

La stratégie mongole du troisième voisin

Consciente de sa dépendance vis-à-vis de ses voisins, la Mongolie a développé des stratégies visant à renforcer ses liens avec d’autres acteurs internationaux : États-Unis, France, Inde…

En effet, la Mongolie tente de limiter ou, du moins, de maîtriser la pénétration économique et politique de ses voisins afin de développer une souveraineté géopolitique. Évidemment, l’invasion de la Russie en Ukraine, montrant la volonté du géant soviétique de reprendre le contrôle sur son étranger proche, a conduit au consensus au sein de la classe politique mongole quant à cette stratégie du « troisième voisin ».

Cette stratégie peut se décliner sur trois aspects :

  • Sur le plan diplomatique, la Mongolie entretient de bonnes relations avec le Japon, l’Inde et les deux Corée, et a un engagement accru dans les institutions internationales.
  • Sur le plan militaire, la Mongolie a notamment développé des relations avec les États-Unis et l’OTAN, tout en ayant des relations pacifiques avec des voisins.
  • Sur le plan économique, la Mongolie essaye de trouver des partenaires occidentaux pour contrebalancer le poids majeur que représente la Chine et la Russie.

 

Cette stratégie est donc celle d’un équilibriste. Si la Mongolie veut s’affirmer comme un acteur indépendant sur la scène internationale, sa situation géographique et ses ressources géologiques la poussent vers cette stratégie non sans risques. C’est en tout cas le choix fait par tous les présidents qui se sont succédé.

Le cas des relations franco-mongoles

Dans ce contexte d’une stratégie du « troisième voisin », l’approfondissement des relations avec la France est un bon exemple. Une série de visites officielles a eu lieu dernièrement. Le président français s’est notamment rendu en Mongolie en mai 2023 et son homologue à Paris en octobre de la même année.

Ces visites avaient pour but de finaliser des projets de taille, notamment sur la question de l’uranium, avec l’entreprise française Orano. Les accords sur la question du lithium ont également été signés. De plus, l’entreprise Thales a signé elle aussi un contrat dans le domaine des télécommunications, avec le lancement d’un satellite mongol visant à renforcer la souveraineté nationale.

La Mongolie pourrait rapidement devenir un partenaire stratégique pour la France et pour l’Union européenne. Cette dernière, avec son plan REPowerEU, cherche activement à diversifier ses approvisionnements en minerais et en métaux stratégiques.

Les limites de cette stratégie de non-alignement

Chaque année depuis 2010, les dirigeants russe, chinois et mongol se réunissent lors d’un dialogue trilatéral pour discuter de l’intégration économique régionale. Cette réunion annuelle permet à ces deux géants de pointer l’importance de la proximité géographique. L’argument phare : la connectivité. Que ce soit les routes de la soie chinoises ou les gazoducs russes, il est évidemment plus facile de collaborer avec ses voisins. L’incapacité des Occidentaux pendant la Covid-19 à fournir la Mongolie en doses de vaccin a été un argument utilisé par la Chine et la Russie pour renforcer leur vision pour la Mongolie : troisième voisin, oui, mais pas au niveau stratégique.

La Russie et la Chine jouent aussi sur les différences notables entre les valeurs occidentales et mongoles pour alimenter une forme de défiance de la population mongole envers l’arrivée trop importante de pays occidentaux sur leurs sols. Ainsi, la Mongolie est un exemple de pays tiraillé par deux camps dans lequel la Chine essaye avec sa rhétorique du Sud global d’éloigner les capitaux et l’assise occidentale.

Les ressources naturelles, entre bénédiction et malédiction ?

La Mongolie possède d’importantes richesses minières (cuivre, charbon, uranium) qui lui permettent d’attirer des investisseurs étrangers. Seulement, ces acteurs sont conscients du poids qu’ils représentent pour l’économie mongole et peuvent en jouer. Par exemple, la mine mongole d’Oyu Tolgoi est l’un des plus grands projets miniers du monde :

  • capacité de production : 500 000 tonnes de cuivre par an et jusqu’à 450 000 onces d’or par an ;
  • réserves estimées : environ 31,5 millions de tonnes de cuivre et 1 000 tonnes d’or (environ 36 millions d’onces) ;
  • plus de 14 000 travailleurs sur le site, dont une majorité de Mongols ;
  • le projet a représenté environ 30 % du PIB de la Mongolie à son pic d’activité.

 

Cette exploitation est détenue majoritairement par l’entreprise Rio Tinto. C’est une source de revenus essentielle pour le pays. Le défi pour la Mongolie est donc de savoir gérer ses ressources pour éviter le syndrome hollandais de dépendance à une seule ressource et tirer profit de cette rente sans se faire exploiter.

Une jeune démocratie fragile

La démocratie mongole a seulement une trentaine d’années et le futur du pays dépend également de sa gouvernance. Des élections législatives ont eu lieu le 28 juin 2024. Ces élections étaient les premières depuis le récent amendement constitutionnel de 2023 qui a remanié les sièges parlementaires et les circonscriptions.

La Mongolie a des institutions encore fragiles et des problèmes de corruption manifestes. En 2020, des manifestations ont éclaté contre le gouvernement à Oulan-Bator. Pour cause, la mauvaise gestion des richesses naturelles et la mauvaise redistribution de cette rente. Au dernier recensement, encore 28 % des Mongols vivent sous le seuil de pauvreté, soit avec moins de 2 $ par jour. Tous ces enjeux sont plutôt typiques d’un pays rentier qui attire les convoitises tant des acteurs étrangers que des élites politiques avides de pouvoir.

Conclusion

Ainsi, le cas de la Mongolie mérite d’être connu dans un contexte géopolitique où l’énergie va devenir un enjeu majeur de pouvoir et de rivalités. Bien qu’enclavée et relativement petite en termes démographiques, elle va être amenée à jouer un rôle bien plus important qu’il n’y paraît dans l’arène géopolitique mondiale. Ses relations avec ses voisins russes et chinois, son ambition de s’ouvrir à d’autres puissances et les défis internes auxquels elle fait face façonneront son avenir.

Sa position est vraiment délicate, car elle s’ouvre aux entreprises occidentales ainsi qu’à ses institutions, mais quand la pression est trop grande, sa géographie l’appelle à l’ordre et elle accueille Poutine chaleureusement, faisant fi de son engagement auprès de la CPI. C’est un jeu d’équilibrisme et d’opportunisme qui illustre la position de beaucoup de pays aujourd’hui, dont l’Inde est le fer de lance.

 

N’hésite pas à consulter toutes nos ressources en géopolitique !