La Pologne est le sixième plus grand pays de l’Union européenne avec ses 313 000 kilomètres carrés et ses 38 millions d’habitants. Elle aurait pourtant pu ne plus exister aujourd’hui, ayant disparu au moins deux fois des cartes d’Europe. Une première fois au XVIIIᵉ siècle, après des annexions successives entre l’Empire d’Autriche, la Prusse et la Russie. Avant de réapparaître en 1918 et de s’effacer de nouveau en 1939, au profit de l’Allemagne (ouest de la Pologne) et de l’URSS (est de la Pologne). La Pologne retrouve ses frontières en 1945, tout en subissant une forme de dépendance vis-à-vis de l’URSS. Il faut attendre 1989 pour qu’elle devienne souveraine et se démocratise, avant de rejoindre l’Union européenne en 2004.
La Pologne, une économie forte
Le Président de la République polonais, Duda, et le Premier ministre Morawiecki, tous les deux issus du parti ultraconservateur (extrême droite) PiS (Droit et Justice), veulent garantir la pleine souveraineté de la Pologne actuelle. Ils veulent la faire devenir une grande puissance économique souveraine, quitte à laisser planer quelques dérives autoritaires.
La Pologne sur le plan institutionnel
La Pologne est membre de l’Union européenne et de l’espace Schengen depuis 2004. Ce qui a eu pour effet d’accroître ses échanges avec les pays membres de ces deux organisations. En effet, l’Union européenne est une organisation politico-économique composée de 27 membres qui a permis l’instauration d’un marché commun unique où chaque pays dispose de réglementations ressemblantes en matière de normes de sécurité, de protection des données personnelles, de douane et de gestion des frontières. Elle a également permis l’effacement des frontières physiques, facilitant les échanges commerciaux.
Par ailleurs, après son adhésion au bloc communautaire, les échanges intraeuropéens de la Pologne ont fortement augmenté. Ils représentent aujourd’hui environ 87 % des exportations, du fait notamment de sa position géographiquement stratégique au cœur de l’Europe. Le Royaume-Uni ne représente que 6 % de ses exportations et 3 % pour les États-Unis. Du côté des importations, 67 % proviennent d’un pays de l’Union européenne et 10 % proviennent de la Chine.
De plus, la Pologne est avantageuse pour les investissements directs à étrangers en Pologne. Le pays dispose d’un coût du travail relativement faible, avec un salaire moyen équivalent à 1 288 € en 2021, contre 2 520 € en France. Entre 1994 et 2015, l’État polonais a également mis en place 14 zones économiques pour faciliter les investissements étrangers en défiscalisant les entreprises, en échange de créations d’emplois.
Cette politique stratégique globale fonctionne d’ailleurs plutôt bien. En 2004, la Pologne avait un taux de chômage de 20 %, alors qu’il est aujourd’hui de 3,5 %. Un des plus faibles de l’Union européenne (7,2 % en France). Enfin, le pays a connu une forte croissance en 2022 après la crise sanitaire : 5,1 % pour la Pologne, contre 3,5 % pour la moyenne européenne.
La Pologne, une démocratie défaillante
En revanche, sur le plan démocratique, la Pologne connaît certaines difficultés depuis quelques années, l’amenant à avoir des désaccords avec Bruxelles. Notamment concernant ses réformes judiciaires qui ne respectent pas les principes européens, le non-respect du droit à l’avortement ou encore, plus récemment, l’ouverture de la commission d’enquête sur les ingérences russes en Pologne jugée illégale par la Commission européenne.
Un système judiciaire contraire aux normes européennes
Selon la hiérarchie des sources de droit, le droit communautaire prime sur le droit national. Ainsi, tous les États membres de l’Union européenne doivent appliquer règlements européens, directives et décisions européennes. Au sein de l’Union européenne, la justice de tous les États membres doit être indépendante (séparation des pouvoirs : judiciaire, exécutif, législatif) et publique. Elle doit comprendre un double degré de juridiction (première instance, cour d’appel), une collégialité (plusieurs juges), pour garantir une forme d’impartialité et éviter toute erreur judiciaire et le droit de se défendre de manière égale.
Or, selon la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), saisie par la Commission européenne, la Cour suprême polonaise ne garantit pas suffisamment l’impartialité et l’indépendance des magistrats. Elle pourrait même faire l’objet d’influence des pouvoirs exécutifs et législatifs polonais. Bien que le gouvernement ultraconservateur justifie ces mesures par la nécessité de lutter contre la corruption et mettre fin à l’héritage soviétique, la Commission européenne a déclaré qu’elles portent atteinte à l’État de droit. Pour le gouvernement, le droit européen est inférieur au droit national, ce que les institutions européennes contestent.
Une atteinte à l’avortement
La Pologne connaît un des droits à l’avortement les plus restrictifs au monde, mais le gouvernement polonais continue à le restreindre. En 2020, le tribunal constitutionnel a presque banni l’avortement légal en Pologne. Or, pour les associations de défense des droits humains, il s’agit d’une grave atteinte aux libertés individuelles mettant en danger les femmes.
Le tribunal constitutionnel a ainsi déclaré que la « malformation grave et irréversible du fœtus ou une maladie incurable qui menace la vie du fœtus » n’était plus un motif ouvrant le droit à l’avortement. Or, 90 % des avortements en Pologne étaient issus de ce motif. En septembre 2021, le groupe PiS a même déposé un projet de loi au parlement, « Stop à l’avortement », qui consistait à criminaliser l’avortement en prévoyant des peines jusqu’à 25 ans de prison pour les femmes qui avorteraient et les personnes qui les aideraient.
Pourtant, ces lois peuvent amener certaines femmes à avorter par leurs propres moyens, et ce, parfois au péril de leur vie. En mars 2023, le gouvernement avait même hésité à faire passer un projet de loi sanctionnant les Polonais incitant ou encourageant l’avortement en Pologne ou à l’étranger. Néanmoins, le parti PiS s’est rétracté, craignant de nouvelles manifestations.
Une atteinte à la liberté de la presse
En 2021, le Parlement polonais a adopté une loi controversée sur les médias pouvant menacer la liberté d’expression. Cette loi interdit notamment à tout média polonais d’être détenu par un propriétaire non européen. Or, les États-Unis, par son groupe Discovery, détenaient une grande partie du réseau de télévision privé polonais TVN, qui critiquait régulièrement le pouvoir conservateur polonais.
Le gouvernement polonais contrôlait déjà la télévision publique et les chaînes régionales, avec un droit de regard sur le contenu diffusé. Pour un bon nombre d’Européens et l’opposition, il s’agit clairement d’un recul de la liberté de la presse.
Ouverture d’une commission d’enquête sur les ingérences russes
En mai 2023, le gouvernement polonais réfléchissait à la mise en place d’une commission d’enquête concernant l’influence et l’ingérence russe en Pologne. Loi qui pourrait priver de pouvoir des responsables de l’opposition en Pologne. Les « coupables » qui ont facilité l’ingérence russe pourraient se voir priver de fonctions électives et de fonctions publiques pour une durée de 10 ans, sans qu’il y ait de recours en justice possible. Le comité de cette commission serait composé de neuf membres choisis par la Chambre basse dominée par le parti nationaliste et populiste au pouvoir. Cette répression concerne quiconque qui aurait succombé à l’influence russe entre 2007 et 2022, et ce, sans contrôle de la justice « régulière ».
Les juristes et l’opposition jugent cette loi anticonstitutionnelle. Selon Varsovie, cette loi est nécessaire pour éliminer l’influence russe. En juin, des manifestants ont protesté non seulement contre le projet de loi, mais aussi contre la vie chère, contre l’escroquerie et le mensonge, et en faveur de la démocratie, d’élections libres et de l’Union européenne. L’opposition nomme ce projet de loi, la loi « Tusk », chef de l’opposition, ancien Premier ministre polonais et ex-président du Conseil européen.
La Commission européenne a ouvert une procédure d’infraction contre la Pologne en réponse à l’ouverture de cette commission d’enquête. Pour Duda, le Président polonais, la France a réalisé aussi, entre mai et juin 2023, une commission d’enquête sur l’ingérence russe. Or, cette commission a été ouverte par l’opposition, en l’occurrence le Rassemblement national. Ce qui reflète la répartition des forces politiques au Parlement et que cette commission n’engageait aucun projet de loi et aucune répression extraordinaire. De plus, le pouvoir exécutif n’avait aucun pouvoir vis-à-vis de cette commission d’enquête.
Le projet de loi polonais a officiellement été adopté par le Parlement polonais le 28 juillet 2023.
Un tropisme américain au détriment de l’Union européenne
La Pologne ne cesse de confirmer son inclination pro-américaine. Le Président Duda a même proposé en 2018 de financer et installer une base militaire américaine permanente en Pologne, qu’il envisageait de nommer « Donald Trump ». Bien que cette initiative aurait probablement créé des tensions avec la Biélorussie et la Russie avant la guerre en Ukraine. Mais en 2019, Trump a refusé la demande du Président Duda et a préféré envoyer 1 000 soldats américains supplémentaires.
En outre, la Pologne veut être la prochaine puissance militaire européenne. C’est la raison pour laquelle elle achète de nouvelles armes, de nouveaux avions de combat, des chars… On pourrait presque croire qu’il s’agit d’une bonne nouvelle pour l’industrie militaire européenne. Et pourtant, la majorité de ces armes achetées sont américaines.
Prenons un exemple qui date de 2023, où la Pologne a acheté aux États-Unis 48 lanceurs Patriot PAC-3, plus de 600 missiles ainsi que des radars. En 2020, déjà, la Pologne avait acheté 32 F-35 américains. Varsovie n’achète en réalité que peu d’armements européens, alors que l’Union européenne a des capacités de production intéressantes.
De l’autre côté, Varsovie défie régulièrement Bruxelles sur de très nombreux sujets. À commencer par la hiérarchie des normes, lui valant de lourdes sanctions européennes, mais aussi plus récemment en refusant d’appliquer une réglementation européenne sur le droit d’asile et la gestion migratoire, considérant ce texte comme désavantageux pour la Pologne. Le gouvernement compte organiser un référendum sur son territoire pour savoir si le pays appliquera ou non la réforme migratoire européenne. La Commission européenne a déjà averti Varsovie qu’une non-application de la réglementation migratoire entraînerait une procédure d’infraction.
Conclusion
La Pologne est ainsi un grand pays européen qui connaît une situation économique satisfaisante et qui ne cesse de s’améliorer. Toutefois, le gouvernement actuel veut imposer la primauté du droit national sur le droit européen, afin de réformer les institutions polonaises et les rendre plus dépendantes du pouvoir élu. Fragilisant ainsi la démocratie, la liberté d’expression et l’État de droit. La position critique de Varsovie à l’égard de Bruxelles entraînera-t-elle un Polexit implicite ?