Au terme d’une campagne présidentielle haletante, Donald Trump, déjà 45e président des États-Unis, est devenu contre toute attente le 47e à occuper ce poste outre-Atlantique. Il prend ses fonctions ce 20 janvier 2025 et, s’il reste encore de multiples mystères autour de son futur mandat, une chose est sûre : la géopolitique mondiale va être chamboulée par le retour tonitruant du fantasque homme d’affaires de 78 ans derrière le bureau ovale.
Un revirement à 180° par rapport à la politique étrangère de Biden
Avec la victoire de Trump face à l’ancienne vice-présidente Kamala Harris, nous allons assister au retour en forme du Jacksonisme : sécurité et prospérité pour le peuple américain (et seulement ce dernier) seront les maîtres-mots du futur mandat de Trump. Le retour des démocrates au pouvoir en 2020 avait conduit l’administration Biden à baser sa politique étrangère sur la réparation des années Trump. Dans ce sens, Biden a, dès ses premiers jours à la Maison-Blanche, rejoint les Accords de Paris sur le climat et mis en place sa volonté de remettre en avant les États-Unis sur la scène internationale avec son fameux « America is Back ».
Toutefois, à bien des égards, la politique économique de l’administration Biden s’est rapprochée de celle de Trump. En effet, les Bidenomics (une série de réformes, de mesures et de lois lancées à partir de 2021 pour remettre les États-Unis sur pied après la pandémie) ont vu le retour d’un État interventionniste, avec une remise à niveau des infrastructures du pays et la mise en avant de la transition écologique et de la R&D américaine.
Sur le plan international, ces mesures se sont traduites par un protectionnisme assumé du pays face à la Chine, mais aussi face à l’Union européenne (notamment au travers de l’Inflation Reduction Act), tout en multipliant les accords d’exportations avec certains pays (les exportations américaines de GNL vers l’Union européenne ont été multipliées par 2,3 entre 2021 et 2022). Mais, avec la réélection de Donald Trump, ces accords multilatéraux sont fortement en danger et le protectionnisme américain sera certainement exacerbé.
Des changements accrus d’un point de vue écologique
Alors que Biden s’était efforcé de mettre en avant l’environnement en prenant certaines mesures pour le protéger (il a réengagé le pays dans les Accords de Paris, il s’est rendu à toutes les COP…), Trump, en bon climatosceptique, ne semble pas donner un intérêt important à ce domaine. Biden avait tenté d’ériger des lois pour la protection de l’environnement aux États-Unis, notamment l’IRA.
L’Inflation Reduction Act a été lancé en août 2022 pour organiser la transition écologique du pays grâce aux incitations fiscales, aux subventions et aux prêts garantis, avec des aides pour les ménages américains et l’installation d’usines de batteries électriques dans tout le pays. 390 milliards de dollars ont été alloués à ce projet crucial, qui a notamment beaucoup fait parler de lui en Europe, car les incitations fiscales américaines étaient trop intéressantes pour les entreprises du Vieux Continent, qui auraient pu être tentées par l’exode vers le pays de l’oncle Sam afin de payer (beaucoup) moins de taxes et de profiter du vivier technologique et de recherche de la Silicon Valley.
Mais ces promesses radieuses seront bientôt de l’histoire ancienne. En effet, Trump a une nouvelle fois promis de retirer le pays des Accords de Paris sur le climat (comme en 2017) et souhaite ralentir la transition énergétique pour relancer massivement les extractions fossiles (notamment au Texas). Celui qui veut sauver le plus d’argent public possible sera donc certainement amené à diminuer ou même à arrêter complètement l’IRA.
Un mal pour un bien pour l’UE ? Une lueur d’espoir existe encore pour les habitants du deuxième pays polluant le plus au monde : Elon Musk. Ce dernier, nouveau bras droit de Trump, a basé une bonne partie de sa fortune sur les véhicules électriques, avec son entreprise Tesla, et Trump pourrait donc, en guise de gratitude, inciter les Américains à acheter des véhicules électriques via diverses mesures, ce qui ferait les affaires de Musk donc, mais aussi de l’environnement.
Des changements à venir partout dans le monde
« Make America Great Again » (and only America) était déjà le slogan phare de Donald Trump en 2016. Huit ans plus tard, il est toujours d’actualité et Trump entend user de tous les stratagèmes pour protéger son pays à l’international. L’America First exacerbée a déjà conduit à la création de nombreuses lois visant à protéger les États-Unis des autres pays et à renforcer leurs pouvoirs.
En 2018, l’administration Trump sortait le Cloud Act (Clarifying Lawful Overseas Use of Data), permettant au gouvernement de collecter des données de tous les serveurs mondiaux, peu importe leur localisation, légalement (du moment que les serveurs traitaient d’une manière ou d’une autre avec une entreprise américaine).
Sur le plan économique, Trump avait multiplié outrageusement les tariffs, ces barrières tarifaires qui permettent de taxer tous les produits importés aux États-Unis afin de combattre la balance commerciale déficitaire des États-Unis. Il a une nouvelle fois promis de taxer absolument tous les produits exportés vers les États-Unis. Mais, si le pays se protège et se referme, il tente aussi d’exporter au maximum et c’est ainsi qu’en 2020, Trump a passé « l’Energy Information Administration », visant à faire des États-Unis le premier pays exportateur net d’énergie (peu importe sa source) jusqu’en 2050.
Enfin, la protection du pays passe aussi par ses frontières. Outre le fantasque projet de construction d’un mur à la frontière mexicaine, Trump avait aussi érigé en 2020 le Title 42, un titre qui permettait l’expulsion sans délai des migrants dépourvus de titre de séjour, y compris les demandeurs d’asile potentiels. Avec les récentes vagues migratoires importantes qui ont frappé le pays, Trump a promis d’être encore plus dur sur le sujet. Et cela pourrait grandement impacter sa politique étrangère vis-à-vis de certains pays, d’Amérique latine notamment.
L’Amérique latine : de « chasse gardée » américaine à simple voisine
Le premier mandat de Donald Trump avait été marqué par un fort désintérêt économique et commercial des États-Unis vis-à-vis de l’Amérique latine et par une méfiance accrue concernant les flux migratoires. Huit ans plus tard, tout porte à croire que ce schéma va se reproduire et peut-être même de façon plus marquée.
En effet, d’un point de vue commercial, Trump a perdu son seul allié dans la région, car Jair Bolsonaro a perdu les élections face à Lula en 2023. De plus, le « Trump tropical » est inéligible pour le poste de président du Brésil jusqu’en 2030. Le sous-continent est aussi beaucoup plus indépendant des États-Unis économiquement parlant qu’il y a une vingtaine d’années. Il a trouvé de nombreux autres partenaires, en particulier la Chine, pour ses débouchés commerciaux. C’est peut-être ce seul revirement qui poussera l’administration Trump à changer son fusil d’épaule.
Plus encore, la perspective d’un accord commercial UE-Mercosur sans précédent engendrerait aussi de multiples pertes économiques pour les États-Unis. Mais Trump pourrait être amené à renégocier ses partenariats avec les pays d’Amérique latine en sa faveur, comme en 2018 lorsqu’il a renégocié l’ALENA (accord de libre-échange nord-américain entre les États-Unis, le Mexique et le Canada) en ACEUM qui permet aux États-Unis de capter 75 % des exportations de la zone et de faire prospérer leurs FTN.
D’un point de vue sécuritaire, Trump n’a pas arrêté de pointer du doigt les immigrés venus d’Amérique latine (en particulier Vénézuéliens et Haïtiens) comme étant à l’origine de la hausse des crimes outre-Atlantique. Déjà déterminé à créer un mur à la frontière mexicaine lors de son premier mandat, il tâchera sans aucun doute de contrôler et de limiter de plus en plus les allées et venues depuis le Sud avec l’aide précieuse de certains gouverneurs républicains dans les États frontaliers du Mexique, comme Greg Abbott au Texas, farouche partisan des idées trumpiennes en matière d’immigration.
Un bras de fer annoncé avec l’Union européenne ?
« J’encouragerai la Russie à faire ce qui lui chante » face à un pays de l’OTAN qui ne respecte pas la règle des 2 % de son PIB alloué à la défense. Voici les mots du nouveau Président américain lors d’un meeting à la Coastal Carolina University, le 10 février 2024. Alors que la guerre entre l’Ukraine et la Russie fait rage depuis plus de deux ans, la position américaine pourrait être amenée à changer abruptement dans les mois à venir.
Les États-Unis sont en effet l’allié le plus important du pays dirigé par Volodymir Zelensky et celui qui livre le plus d’armes à Kiev (Joe Biden vient d’autoriser les Ukrainiens à frapper la Russie à l’aide de missiles longue-portée américains). Une lueur d’espoir subsiste néanmoins pour les Ukrainiens, grâce encore une fois à l’implication du meilleur lieutenant de Trump, Elon Musk. Ce dernier a en effet commencé à aider le peuple ukrainien et son armée en donnant accès à son fournisseur d’internet haut débit par satellite, Starlink. Peu appréciés par le 47e président des États-Unis, les accords multilatéraux entre l’UE et les États-Unis pourraient passer à la trappe au profit d’une myriade d’accords bilatéraux.
Mais quels pays seraient ciblés par Trump ? La France, pays allié historique des États-Unis et seule puissance nucléaire de l’Union ? L’Italie de Meloni, très appréciée par Musk et proche des idées trumpiennes, notamment en matière d’immigration ? La Pologne de Donald Tusk, qui vient de hausser son budget militaire à 4,1 % de son PIB ? Le possible futur désintérêt de Trump pour l’UE pourrait néanmoins, une dernière fois, relancer les débats sur une « Europe de la défense », chère aux Français.
Sur le plan technologique, le mandat de Biden avait été marqué par la mise en place du TTC (Trade and Technology Council), une série de forums sur les nouvelles technologies visant à promouvoir les échanges entre les deux puissances. Enfin, d’un point de vue économique, la hausse annoncée des barrières tarifaires sur les exportations à destination du pays de l’oncle Sam pourrait durement toucher les producteurs européens (et notamment français) dans divers secteurs (vins et spiritueux, luxe…).
L’Afrique toujours plus anonyme ?
Déjà totalement désintéressé par le continent lors de son premier mandat, qualifiant même les États africains de « pays de merde », Trump ne semble pas enclin à changer d’avis. Celui qui n’a jamais effectué une visite d’État dans un seul des 54 pays africains pendant les quatre années passées à la Maison-Blanche n’a jamais compté sur une coopération entre son pays et le continent africain.
Ce désintérêt manifeste pourrait causer de grands torts aux économies du continent subméditérannéen. Effectivement, le renouvellement de l’AGOA (African Growth and Opportunity Act), mis en place en 2000 par le président démocrate Bill Clinton, qui doit intervenir en 2025, semble compromis. Cette loi permettait d’enlever les taxes sur 1 800 produits africains issus de 32 pays différents, mais Trump n’a pas arrêté de clamer son intention d’imposer tous les produits entrant dans son pays à hauteur de 10 % minimum. La seule donnée qui pourrait pousser Trump et son administration sur le continent serait la prise de conscience que le continent est quasi entièrement dévoué à son rival chinois.
Un Moyen-Orient pacifié ?
Le mandat de Biden a été marqué par la résurgence de multiples conflits dans la zone moyen-orientale. Outre le fiasco qu’a été le départ de l’armée américaine de l’Afghanistan, le 30 août 2021, laissant le pouvoir aux talibans, qui n’ont eu cesse depuis de minimiser, voire d’anéantir tout espoir de vie meilleure et tous droits de l’homme pour les Afghans, les États-Unis ont perdu leur relation privilégiée avec l’Arabie saoudite de Mohammed ben Salmane.
Durant les quatre dernières années s’est installée une crise de confiance entre des États-Unis accusateurs et une Arabie saoudite de plus en plus tournée vers l’Orient et vers la Chine (entrée dans le groupe des BRICS, paix de façade avec l’ennemi juré iranien façonnée par la République populaire de Chine, conflit autour de la crise yéménite…). Mais les relations entre les deux pays pourraient retrouver leur brillance d’antan grâce à l’arrivée de Trump. Ce dernier a même supervisé la construction d’une Trump Tower à Djeddah en juillet dernier. Le changement de présidence semble ainsi arriver à point nommé pour l’administration américaine dans la situation actuelle au Moyen-Orient, où la Chine et la Russie ne cessent de gagner du terrain, diplomatiquement et géopolitiquement parlant.
Si l’arrivée de Trump est de très bon augure pour Riyad, c’est tout l’inverse pour Téhéran. Déjà en proie à d’énormes difficultés financières (en partie causées par l’embargo commercial américain et occidental sur le pays) et aux mouvements populaires concernant le manque de droits de l’homme (et surtout de droits des femmes), rien ne va s’améliorer pour le pays perse. Déstabilisé par la mort soudaine et accidentelle de son président, Ebrahim Raïssi, en mai dernier, le pays est désormais dirigé par le réformateur
Mais l’arrivée de Trump, qui avait retiré les États-Unis de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien JCPoA (Joint Comprehensive Plan of Action), risque de précipiter encore plus l’Iran dans les bras chinois et russes. Interrogé sur sa réponse potentielle à de probables attaques iraniennes via des missiles sur Israël, Trump avait répondu sans détour : « I gonna bomb the sh*t out of them. » Il faut en comprendre qu’il n’hésitera pas à bombarder massivement Téhéran. Car, s’il y a bien un pays dans le monde qui se réjouit plus que tout du retour de l’homme d’affaires de 78 ans derrière le bureau ovale, c’est Israël. Durant son premier mandat, Trump avait réussi à protéger le petit pays dans cette région qui lui est hostile en menaçant militairement ses voisins, mais aussi en pacifiant ses relations économiques avec d’autres pays arabes dans le cas du coup d’éclat diplomatique de la fin du mandat de Trump : les accords d’Abraham.
Le gendre de Donald Trump, Jared Kushner, avait réussi à signer un accord multilatéral en septembre 2020 entre Israël, d’une part, et les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Soudan et le Maroc, de l’autre. Les deux derniers étaient motivés par des promesses économiques, alors que le Bahreïn et les Émirats arabes unis y voyaient un moyen de se protéger des agissements des pays chiites (en particulier l’Iran) dans la région. Soucieux de conserver et de remettre à l’ordre du jour cette bonne entente Trump-Israël, le leader israélien Benyamin Netanyahou a d’ores et déjà envoyé un émissaire israélien à Mar-a-Lago pour parlementer avec Trump.
Un bras de fer annoncé avec la Chine en Asie ?
Les années Biden avaient été marquées par la mise en place d’un « néo-containment » face à la Chine, grâce à la résurgence et à la création d’accords multilatéraux entre les États-Unis et des pays de l’Indopacifique : le Quad (avec le Japon, l’Australie et l’Inde), l’AUKUS (avec le Royaume-Uni et l’Australie, permettant aux États-Unis de vendre des sous-marins tactiques à Canberra), mais aussi une multitude d’accords bilatéraux avec des petits pays insulaires dans le cadre d’une guerre d’influence avec Pékin.
Moins intéressé par la diplomatie, Trump risque de se concentrer sur la composante économique de la « guerre » opposant Pékin à Washington. Grâce à son arme tarifaire, Trump va taxer les produits chinois plus que jamais. Mais cette stratégie inquiète de nombreux pays asiatiques, apeurés par les agissements chinois. En premier lieu, Taïwan, menacé par une attaque chinoise depuis plusieurs années, ne voit pas d’un bon œil l’arrivée de Trump au pouvoir, alors que les démocrates n’ont eu de cesse de défendre l’intégrité de Taipei (comme le démontre la visite de Nancy Pelosi en 2022).
Le Japon et la Corée du Sud, menacés à la fois par la Chine et par la Corée du Nord, semblent inquiets par rapport aux incertitudes qui entourent l’arrivée de Trump. La stratégie de défense de Tokyo est en effet très dépendante des États-Unis, mais Trump avait déjà demandé en 2019 au Japon de tripler sa contribution financière pour les frais de stationnement des troupes américaines (25 000 membres de l’armée américaine sont en stationnement permanent sur le sol japonais).
Conclusion
Ainsi, le changement de présidence à la tête de l’État américain, première puissance économique et militaire mondiale, va chambouler le monde de fond en comble. Diamétralement opposé à son prédécesseur sur de multiples questions, Donald Trump risque à lui seul de redéfinir les rapports de force mondiaux, permettant à certains États de tirer leur épingle du jeu géopolitiquement parlant et contraignant d’autres à faire le dos rond pendant au moins quatre années.
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