Vice-président

John Adams, premier vice-président des États-Unis de 1789 à 1797, disait : « I am Vice President. In this I am nothing, but I may be everything. » Depuis 1776, 14 présidents des États-Unis ont d’abord endossé le rôle de vice-président. Joe Biden est le dernier en date, mais peut-être plus pour longtemps. Le rôle de vice-président des États-Unis est à la fois subtil et imposant. C’est une fonction complexe, souvent méconnue, où se mêlent devoir et frustration. Mais c’est avant tout une lourde responsabilité, celle d’être l’héritier potentiel du pouvoir suprême et donc de se tenir prêt à prendre la barre en cas de vacance du siège. Si ce scénario n’a pas eu lieu depuis la démission de Richard Nixon, ce fut tout de même le cas à neuf reprises.

Introduction

En dehors des cas extrêmes de décès ou de démission, le vice-président des États-Unis joue le rôle de conseiller du Président, et peut même gérer directement certains dossiers. Il représente également le Président lors de déplacements étrangers. Enfin, le vice-président est aussi président du Sénat, rôle qui peut parfois être crucial, en particulier lorsqu’il n’y a pas de majorité claire au Sénat. Ce fut le cas sous la présidence de Joe Biden, et Kamala Harris a dû, à plusieurs reprises, départager le vote du fait d’une égalité, bien sûr en faveur du camp démocrate.

Rappelons que la Constitution américaine laisse la possibilité d’avoir un Président et un vice-président de camps opposés. La vice-présidence était en effet un « lot de consolation » offert au candidat malheureux, mais sans réel pouvoir. En 1804, le 12e amendement change cela, séparant les votes entre Président et vice-président, avec désormais un ticket validé par les partis, ce qui octroie un rôle plus important au vice-président.

Un rôle fantomatique

Le premier vice-président de l’histoire des États-Unis, John Adams, estime qu’il s’agit de la « fonction la plus insignifiante que l’homme ait jamais inventée ». Cela en dit long sur la fonction, dont le rôle n’a jamais été stipulé clairement par qui que ce soit. Pour Harry Truman, le rôle consiste principalement à « se rendre aux mariages et aux obsèques ».

Sa rancœur peut d’ailleurs se comprendre, puisque, même en tant que vice-président, il n’était pas au courant du projet de la bombe atomique d’Oppenheimer. Il remédiera à cette situation en intégrant pleinement le rôle du vice-président au sein de l’exécutif, une fois élu Président lui-même. Plus tard, Richard Nixon élargira un peu plus le rôle du vice-président en lui accordant des prérogatives au niveau des affaires étrangères, pour le représenter et même pour négocier à sa place.

Une petite révolution a lieu sous le mandat de Jimmy Carter, lorsque le très expérimenté Walter Mondale, son vice-président, exige et obtient un poids plus important, dépassant celui d’une simple vitrine. Mondale joue ainsi un rôle important dans la conclusion des Accords de Camp David en 1978 entre l’Égypte d’Anouar el-Sadate et Israël.

Comment est choisi un vice-président ?

Contrairement au poste suprême, personne n’annonce être candidat à la vice-présidence des États-Unis, cela n’aurait pas de sens. C’est donc le candidat lui-même qui désigne son colistier. Un candidat (et un parti) doit choisir son candidat à la vice-présidence avec précaution, car l’histoire, notamment récente, montre que la vice-présidence est souvent un tremplin vers la présidence, ou au moins à la candidature. Al Gore, vice-président de Bill Clinton, avait en effet échoué face à George Bush.

Aujourd’hui, l’officialisation du « ticket présidentiel » est devenue un moment politique en soi, car la personne pressentie pour la vice-présidence est censée compléter et équilibrer le profil du candidat à la présidence (expérience, État d’origine, ethnie ou couleur de peau, ligne politique…).

Autre détail souvent oublié, les deux candidats du ticket présidentiel ne doivent pas être originaires du même État.

Charles Curtis, premier vice-président métis des États-Unis

Issu d’une mère amérindienne et d’un père d’origine européenne, Charles Curtis, vice-président de Hoover (1929-1933), est en réalité le premier vice-président métis des États-Unis. Ce républicain reste jusqu’à aujourd’hui le seul vice-président d’origine indienne. Il a même grandi au sein d’une tribu indienne au Kansas, avant d’être pris en charge par la famille de son père, riche et blanche.

Curtis est élu au Congrès alors qu’il est encore très jeune (une trentaine d’années) et se voit surnommé « The Indian ». Il fut souvent victime de remarques racistes et discriminantes.

Pour autant, la communauté indienne est loin d’apprécier sa personnalité. Cela est notamment dû au Curtis Act, une loi qu’il a fait passer en 1898 et qui aide l’État de l’Oklahoma à s’approprier des terres appartenant aux tribus indiennes.

Al Gore, vice-président unique et exigeant, prix Nobel de la paix

Al Gore est probablement l’un des vice-présidents ayant le plus marqué l’histoire des États-Unis avec Dick Cheney. C’est un homme exigeant, qui ne laisse rien au hasard. Lorsque Bill Clinton le choisit comme colistier en 1992, Al Gore exige du futur Président un bureau tout près du bureau ovale et une réunion hebdomadaire impérative, quelles que soient les circonstances. Le « roi du pétrole », fils d’une puissante dynastie, avait une très grande expérience et, surtout, une rare connaissance de tous les dossiers.

De par son caractère, il n’était pas un vice-président qui pouvait se laisser faire facilement et a toujours tenu à peser sur tous les dossiers importants. Il a des prérogatives que nul autre vice-président n’avait eues avant lui. Il est, par exemple, l’interlocuteur principal avec la Russie, durant une période pourtant très troublée. La décision de bombarder Milosevic est aussi la sienne. Il est également un ardent défenseur de l’industrie du tabac. Mais la presse a souvent été ingrate avec lui, jugeant qu’il avait peu de poids en interne et surtout qu’il n’avait pas le charisme et l’énergie d’un certain Bill Clinton.

D’ailleurs, les relations avec ce dernier sont tout de même loin d’être bonnes. Lors des affaires qui ont failli mener à la destitution de Bill Clinton, notamment l’affaire Monica Lewinski, Al Gore est suspecté d’organiser un coup d’État interne pour s’emparer de la présidence. Face aux suspicions, il répond alors qu’il prépare plutôt sa candidature pour l’après-Clinton. Surtout, lors des élections qui l’opposent à George Bush, il fait quasiment campagne contre le Président, sortant et refusant même son soutien, considérant que le mandat Clinton a été sali par les affaires et l’Impeachment.

Candidature d’Al Gore en 2000

Al Gore finira par perdre l’élection face à Bush, dans des conditions très particulières, et pour le moins bizarres. En effet, cette élection fait frôler la crise constitutionnelle au pays. Les deux candidats sont au coude-à-coude et il est quasiment impossible de les départager au vote des Grands Électeurs, le seul qui compte (Al Gore ayant largement gagné le vote populaire). Toute la question tourne autour de la Floride, incapable de désigner un vainqueur. Or, celui qui remporte la Floride remporte la présidence.

S’ensuit un scénario incroyable : les chaînes de télévision annoncent la victoire d’Al Gore, puis se rétractent. Un peu plus tard, Al Gore appelle Bush pour concéder sa défaite, puis se rétracte aussi. La Floride finit par annoncer la victoire de Bush avec une avance de 0,009 %, mais le camp Al Gore exige un recomptage des voix. S’ensuivent de nombreux recours et contestations qui vont jusqu’à la Cour suprême, qui finit par entériner la victoire de Bush.

Aujourd’hui, on ne peut évoquer la personnalité d’Al Gore sans évoquer son engagement écologique après la vice-présidence. Il reçoit même un prix Nobel de la paix en 2007 pour son action en faveur du climat.

Dick Cheney, le vice-président le plus puissant de l’histoire

Dans les années 2000, le vice-président de George Bush est considéré comme l’homme le plus puissant des États-Unis. C’est Dick Cheney et non George Bush qui décide d’envahir l’Irak. How come?

En 1989, Dick Cheney devient secrétaire à la Défense du Président Bush père. Sous Clinton, il devient un grand magnat du pétrole. Il accepte ensuite d’être le colistier de George W. Bush. Leur ticket remporte l’élection de justesse.

C’est à partir du 11 septembre 2001 que Dick Cheney va commencer à jouer un rôle particulier, aux côtés d’un Président encore novice. Alors que celui-ci est n’est pas à Washington au moment de l’attaque, il donne unilatéralement l’ordre d’abattre tout avion représentant un danger. Il est un peu plus tard le grand instigateur de l’invasion de l’Irak de Saddam Hussein.

Bien que lui-même très conservateur, Dick Cheney est loin d’être un admirateur de Donald Trump, qu’il soutient tout de même en 2016 et en 2020. Mais après l’assaut du Capitole, il devient avec sa fille, Liz Cheney, très critique envers le chef des MAGA, au point de soutenir Kamala Harris pour l’élection de 2024.

Joe Biden, Mike Pence et Kamala Harris, les vice-présidents de la dernière décennie

Joe Biden

En 2008, après des primaires musclées entre Hillary Clinton et Barack Obama, ce dernier recherche un profil expérimenté, blanc, et dont les ambitions personnelles ne créeraient pas de problème. Joe Biden coche de nombreuses cases, de par sa très longue carrière et surtout sa capacité à bien s’entendre avec ses adversaires républicains. Son âge est aussi un avantage, car il est peu probable qu’il se déclare candidat à la présidentielle huit ans plus tard (le destin cache parfois bien des choses). Surtout, il apporte une grande crédibilité à la candidature de Barack Obama, dont la jeunesse et les origines peuvent repousser certains électeurs.

Il devient en 2009 le premier vice-président catholique des États-Unis. Malgré quelques accrocs au début, leurs huit années dans le bureau ovale se passent très bien et les relations sont chaleureuses entre les deux hommes. Joe Biden se voit confier deux dossiers et non des moindres : le plan de relance économique et le retrait d’Irak.

Mike Pence

En 2015-2016, Donald Trump bouleverse la machine républicaine, ancrée dans un conservatisme classique, une sorte d’establishment qui recherche toujours un héritier à George Bush. La politique-spectacle faite de populisme de Trump s’abat sur le Grand Old Party comme un rouleau compresseur, et surtout le divise beaucoup.

C’est là que Mike Pence entre en jeu. Il permet au milliardaire d’unifier le parti avec une grande personnalité de la droite chrétienne américaine, dont le caractère calme et réconfortant sert à équilibrer celui bien plus volcanique de Donald Trump. Mais la fin de leur mandat est complètement houleuse, Donald Trump refusant de reconnaître sa défaite. Mike Pence, président du Sénat, refuse d’obéir lorsque le milliardaire lui intime de ne pas proclamer la victoire de Joe Biden. Il échappe même de justesse aux émeutiers du Capitole ce jour-là.

Kamala Harris

De son côté, Joe Biden entre dans l’histoire en choisissant non pas un, mais une colistière : Kamala Harris. Le but est clairement d’attirer le vote de la population afro-américaine, Kamala Harris étant à la fois noire et d’origine indienne. C’est aussi une femme dont le parcours symbolise l’American Dream, pierre angulaire du récit de l’histoire américaine.

Une fois le duo élu, les relations entre les deux sont cordiales, mais sans être excellentes. On est bien loin de la complicité que Joe Biden avait avec Barack Obama. En effet, Kamala Harris a du mal à s’imposer et à se trouver une marque politique. Elle semble même perdue par moments, ne sachant que faire. Ses apparitions sont quasiment toujours aux côtés de Joe Biden, parfois même dans son ombre.

Les sondages montrent que les Américains ne la connaissent pas, ne savent pas quels sont ses domaines de prédilection, ses idées, laissant libre cours aux invectives des MAGA, encouragés par Donald Trump. Kamala Harris a notamment été chargée de gérer le dossier épineux de l’immigration au niveau de la frontière mexicaine, mais sans résultat tangible.

Toutefois, à partir du moment où Joe Biden passe le flambeau à Kamala Harris pour la présidentielle de 2024, le duo fait tout pour mettre en avant leur complicité et leur entente. Le Président sortant ne tarissant pas d’éloges pour son ancienne colistière devenue candidate.

Conclusion

Le rôle de vice-président des États-Unis a beaucoup évolué depuis les premières élections américaines, mais n’est toujours pas clairement défini. Il dépend surtout du caractère de la personne qui occupe ce poste et de l’alchimie avec le Président en exercice.

Alors que certains vice-présidents ont marqué l’histoire, d’autres ont vite plongé dans l’oubli. Mais il n’en demeure pas moins que le vice-président est surtout à un battement de cœur du poste suprême, pouvant ainsi passer rapidement de quasiment rien à tout.

 

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