Dans un sujet sur la France, les territoires ultramarins sont essentiels pour se démarquer, car ils sont peu étudiés. En effet, ces territoires, qui cumulent 2,6 millions d’habitants et plusieurs dizaines de milliards d’euros de PIB, confèrent à la France une ZEE considérable, contribuant au maintien de son statut de grande puissance maritime. Dans cet article, je te propose d’analyser la dichotomie inhérente aux territoires ultramarins français, entre désir d’autonomie et dépendance accrue.
De quoi est composé l’Outre-mer français ?
On parle aujourd’hui de DROM-COM :
- Les départements et les régions d’outre-mer possèdent les mêmes lois que les régions métropolitaines : Guyane, Martinique, Guadeloupe (continent américain) ; Mayotte et la Réunion (près de Madagascar).
- Les collectivités d’outre-mer sont sous souveraineté française, mais bénéficient d’une certaine autonomie : Polynésie française (océan Pacifique), Saint-Pierre-et-Miquelon (Amérique du Nord), Wallis et Futuna (océan Pacifique), Saint-Barthélemy et Saint-Martin (Caraïbes).
Mais aussi :
- La Nouvelle-Calédonie est un territoire à statut particulier (collectivité sui generis) bénéficiant d’une large autonomie et d’un processus de décolonisation progressif.
- Il existe aussi les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) : Terre Adélie, archipel Crozet, Îles Kerguelen, Îles Éparses, îles Saint-Paul et Amsterdam.
Des territoires ultramarins français marqués par l’héritage colonial
L’organisation territoriale des Outre-mer a fortement influencé leurs relations avec la métropole
Principalement insulaires, ces territoires ont construit leur croissance à partir de la mer, entraînant des déséquilibres marqués entre les littoraux, densément peuplés et économiquement dynamiques, et leurs hinterlands moins développés.
Exemple 1 : En Guadeloupe, la majorité des fonctions administratives et économiques se concentre à Pointe-à-Pitre, qui occupe une place stratégique entre Basse-Terre et Grande-Terre. Les territoires ultramarins sont donc marqués par une macrocéphalie importante.
Exemple 2 : La croissance démographique, que la Polynésie française a connue durant le XXe siècle, a contribué à l’organisation macrocéphale de son territoire. En effet, « l’agglomération capitale regroupe 52 % de la population totale » (1) . L’accroissement démographique futur prévu par l’Institut de statistique de Polynésie française risque de ne s’effectuer que dans les îles les plus dynamiques (îles Sous-le-vent, îles du Vent).
Ce déséquilibre territorial est une faiblesse des territoires ultramarins qui traduit un véritable enjeu d’aménagement du territoire.
Problèmes endogènes
Les économies des territoires ultramarins français, peu diversifiées, portent encore l’empreinte de l’époque coloniale. Elles se spécialisent souvent dans quelques secteurs primaires, comme l’agriculture de plantation et l’extraction minière, qui ont façonné leur développement économique de manière unidimensionnelle.
- Économies de plantations (bananes, rhum, sucre)
- Fleurs : ylang-ylang en Polynésie française
- Extraction minière : nickel en Nouvelle-Calédonie
- Industrie spatiale : base de Kourou en Guyane
Le tourisme, en forte expansion depuis les années 1950-1960, est une autre source de revenus significative dans des territoires comme la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, La Réunion et les Antilles, contribuant à l’emploi local sans toutefois compenser la faible diversification économique.
Héritage de la période coloniale
Les liens économiques des territoires d’outre-mer avec la métropole demeurent aujourd’hui profondément marqués par les anciennes structures coloniales. Entre 50 % et 70 % des échanges commerciaux de ces territoires s’effectuent avec ou via la métropole, perpétuant un modèle d’échanges asymétriques hérité du système colonial. Ce système, autrefois centré sur l’exportation de biens agricoles vers la métropole (bananes, canne à sucre…), a limité le développement industriel local, consolidant une dépendance structurelle vis-à-vis de la France métropolitaine.
En Polynésie française, par exemple, le territoire porte encore les traces de cette époque, et bien que le niveau de vie moyen ait augmenté, des déséquilibres persistants freinent le développement équilibré de l’archipel. Certaines îles, comme les Sous-le-Vent et les Tuamotu, bénéficient cependant d’un regain économique grâce au tourisme et à la perliculture (culture des huîtres perlières), illustrant le potentiel d’une diversification économique au-delà de la métropole (1).
Quels atouts et quels handicaps pour ces territoires ?
L’insularité et la tropicalité des territoires ultramarins français représentent des atouts considérables pour la France
- Ces espaces exotiques bénéficient d’une biodiversité et de paysages exceptionnels extrêmement attractifs pour les touristes, mais aussi pour les retraités. La Martinique et la Guadeloupe accueillent chacune respectivement plus de 600 000 et plus de 1 million de visiteurs par an.
- Certains territoires bénéficient d’un atout fiscal. Par exemple, les résidents de plus de cinq ans à Saint-Barthélemy bénéficient d’une exonération de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur le patrimoine.
- Ce sont aussi des lieux d’étude privilégiés pour la recherche, notamment sur le développement de technologies énergétiques innovantes ou sur la protection du patrimoine naturel (mission que se donne le CNRS). La station des Nouragues et la plateforme d’écologie expérimentale amazonienne en Guyane sont un exemple de la réussite de cette mission.
- Ces territoires offrent à la France l’une des plus grandes ZEE du monde qui permet l’exploitation de ressources maritimes variées. Quelques exemples : en 2011, des gisements de pétrole offshore ont été découverts en Guyane, tandis que le sous-sol de Saint-Pierre-et-Miquelon est riche en hydrocarbures.
Handicaps
- L’insularité crée une forte dépendance des territoires ultramarins vis-à-vis des importations, ce qui se traduit par un coût de la vie plus élevé.
- De même, l’insularité réduit les opportunités économiques et les perspectives d’emploi. Les entreprises locales ont souvent peu de moyens pour croître, innover ou exporter.
En matière de développement, ces territoires accusent des retards préoccupants, comme en témoignent des indicateurs socioéconomiques. Par exemple, le taux de mortalité infantile est plus important (8,9 ‰ à Mayotte, contre 3 ,7 ‰ en 2023 selon l’Insee), le chômage est plus prégnant, le taux de décrochage scolaire est deux fois plus élevé dans les DOM que dans l’Hexagone (2).
L’accès à l’eau potable est également un défi majeur : « 31,7 % de la population n’a pas accès à l’eau courante dans son logement à Mayotte, entre 15 % et 20 % de la population de Guyane n’a pas accès à l’eau, alors que le territoire dispose de la troisième réserve d’eau du monde. » (2) Exemple récent : Mayotte connaît depuis le début des années 2000 des épisodes de sécheresse importants. Le dernier en date est celui de 2023, durant lequel les faibles précipitations n’ont pas suffi pour remplir les réserves d’eau. Des coupures d’accès à l’eau ont été instaurées par le préfet de l’île. En juillet 2024, les habitants avaient accès à l’eau potable un jour sur deux, voire un jour sur trois. En parallèle, une épidémie de choléra a frappé Mayotte en 2024, notamment dans des zones sous-équipées en accès à l’eau et à l’assainissement, aggravant la crise sanitaire et environnementale.
Tensions avec la métropole
Il existe plusieurs types de mouvements sociaux :
- Mouvements contre la vie chère, assez récurrents. Début octobre 2024, de nouvelles manifestations ont éclaté en Martinique en réaction à la hausse du coût de la vie. Selon une étude de l’Insee, les prix à la consommation en Martinique en 2022 étaient supérieurs de 14 % à ceux de la France métropolitaine. Des solutions sont envisagées pour alléger cette pression, comme une réduction de la TVA ou la suppression de l’octroi de mer, une taxe imposée sur les produits importés et certains produits locaux.
- Grèves qui concernent les activités contestables de la France. Les populations de Guadeloupe et de Martinique ont été exposées pendant plusieurs années au chlordécone, un pesticide interdit en métropole en 1990, mais autorisé par dérogation dans les deux îles. Les effets néfastes sur la santé et l’environnement, dus à ce perturbateur endocrinien, ont provoqué de vives protestations. En 2021, des milliers de personnes ont manifesté pour que la justice continue d’instruire le dossier, craignant une prescription des poursuites.
- Désir d’autonomie et volonté d’indépendance. Ce débat est particulièrement vif en Nouvelle-Calédonie. Le 13 mai dernier, une réforme visant à élargir le corps électoral pour les scrutins provinciaux aux résidents installés depuis au moins dix ans a suscité une forte opposition de la part des indépendantistes kanaks, déclenchant des mois de tensions et d’affrontements. Les indépendantistes estiment que cette réforme affaiblirait leur influence politique en accordant plus de poids aux votes de résidents non natifs. Face à l’intensité de la crise, Emmanuel Macron a déclaré l’état d’urgence et suspendu la réforme en juin, après s’être rendu à Nouméa, en mai 2024, pour tenter de renouer le dialogue. Le territoire est aujourd’hui plongé dans une crise sociale majeure, suite à des semaines d’insurrections qui ont causé de nombreux décès et dégâts.
Quels piliers pour le développement ?
Les piliers pour le développement économique
- Insertion des territoires d’outre-mer dans leur environnement régional : le rapport Vlody (2016) souligne l’importance de l’intégration régionale pour une croissance durable des DROM-COM.
- Ainsi, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie, membres actifs des organisations régionales du Pacifique, participent aux discussions sur la gestion des ressources marines, un enjeu crucial pour les économies insulaires.
- Des initiatives de coopération entre la Guyane et le Brésil renforcent les échanges commerciaux tout en favorisant des projets communs de sécurité et de développement durable.
Cette intégration stimule la production locale, favorise les circuits courts et réduit l’impact des crises de pouvoir d’achat, comme le montre le rapport du CESE en 2023.
- Diversification : nous avons vu que les économies des DROM-COM sont souvent concentrées sur quelques secteurs, comme le tourisme et l’agriculture, ce qui les rend vulnérables aux chocs économiques et climatiques. La crise sanitaire récente a rappelé les risques de la forte dépendance aux importations. Pour pallier cette fragilité, une diversification est nécessaire, en soutenant des filières émergentes, comme l’économie bleue et l’agroécologie, et en valorisant les ressources locales.
Développement durable et transition écologique
Grâce à leur position géographique, souvent ensoleillée ou volcanique, les territoires ultramarins possèdent un potentiel significatif pour la production d’énergie décarbonée.
- Actuellement, des études sont en cours pour évaluer le potentiel de production d’énergie géothermale à Mayotte. La Réunion, également, se distingue par ses ressources géothermiques, contribuant ainsi à la transition énergétique de la région. Ce secteur représente l’un des trois piliers du plan France Relance Outre-mer, qui mobilise 100 milliards d’euros pour favoriser un redressement économique durable et la création de nouveaux emplois.
- Dans le cadre de ce plan, plusieurs projets ont déjà bénéficié du fonds d’accélération des investissements industriels. Par exemple, le projet de développement de lampadaires solaires autonomes de l’entreprise Solamaz participe à l’amélioration de l’autonomie énergétique en Guyane.
- En Guyane, la construction de la centrale bioénergie du Larivot par EDF PEI est un projet ambitieux visant à fournir une électricité durable et renouvelable, tout en respectant les objectifs d’autonomie énergétique fixés par les autorités locales.
Cohésion des territoires
Le plan France Relance Outre-mer prévoit également d’importants investissements pour améliorer la connectivité des réseaux routiers et le verdissement des grands ports maritimes. Au total, les territoires d’outre-mer devraient bénéficier de 1,5 milliard d’euros grâce à ces initiatives (4).
Sources
(1) François Merceron, Dynamiques démographiques contemporaines de la Polynésie française : héritage colonial, pluri-ethnisme et macrocéphalie urbaine
(2) Romain Imbach, « Protestation contre la vie chère à la Martinique : pourquoi l’octroi de mer est-il critiqué ? » (Le Monde)
(3) « Outre-mer : inégalités et retards de développement » (Vie Publique)
(4) France Relance Outre-mer
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